Quel bilan carbone pour le nucléaire en France ?
- Beaucoup de français pensent que le nucléaire émet du CO2, alors que la réalité est bien différente.
- Il faut différencier les émissions de CO2 d’une technologie pendant son fonctionnement de son empreinte carbone, qui comprend celles résultant de toutes les phases de construction, d’exploitation et de démantèlement.
- Le nucléaire a une empreinte carbone très faible, mais il ne pourra pas, à lui seul, répondre à la demande de pointe. Il doit donc être complété par des énergies renouvelables.
- Le facteur d’émission du mix électrique de chaque pays est donc parlant et la France, tant que son nucléaire sera fort, est très performante.
- À titre comparatif, en 2020, les émissions de la France, du Danemark, de l’Espagne, de la Hollande et de l’Allemagne étaient, respectivement, de 45, 102, 144, 290 et 300 gCO2/kWh.
Cet article fait partie de notre magazine Le 3,14 dédié au bilan carbone des énergies en France. Découvrez-le ici.
Proportionnellement à sa population, la France possède le plus grand parc nucléaire du monde. En effet, 70,6 % de l’électricité française provient de l’énergie nucléaire, 21,5 % des énergies renouvelables et 7,9 % des énergies fossiles en 2019. L’énergie nucléaire permet à la France d’être indépendante énergétiquement à 50 %, tout en ayant la possibilité d’exporter de l’électricité.
Aujourd’hui, la France a pour objectif une réduction de ses émissions de gaz à effet de serre (GES) de 40 % d’ici 2030, par rapport à 1990. Elle devra peut-être faire encore plus puisque l’Europe a décidé d’accélérer son programme de décarbonation, avec un objectif « Fit for 55 » (de baisse de 55 % en 2030), en prenant en compte les puits de carbone.
Si les enquêtes d’opinion publique ont révélé que beaucoup de Français pensent que le nucléaire émet du CO2, la réalité est bien autre. En effet, avec une présentation du programme de transition énergétique affirmant la nécessité de réduire simultanément les émissions de GES et le nucléaire, le lien a pu se concevoir. Ce qui peut montrer le danger d’une information approximative.
Qu’est-ce que l’énergie nucléaire ?
L’énergie nucléaire est la fission d’un combustible, l’uranium, qui dégage de la chaleur. Cette chaleur est utilisée pour chauffer à haute température, 330 °C, et haute pression, 155 bars, l’eau primaire du réacteur. Le circuit secondaire produit ensuite de la vapeur à 220 °C et 70 bars qui entraine la turbine et le turboalternateur.
Comment calcule-t-on l’empreinte carbone de l’énergie nucléaire ?
Il faut différencier deux notions :
- Les émissions de CO2 d’une technologie pendant son fonctionnement et, dans ce cadre, le nucléaire n’en émet quasiment pas, comme l’éolien ou le solaire.
- L’empreinte carbone, qui comprend les émissions durant la totalité de la vie de l’installation, dite « du puits à la roue », c’est-à-dire celles qui résultent de toutes les phases de construction, d’exploitation et de démantèlement.
Deux unités sont proposées : les émissions de gaz carbonique, exprimées en grammes de CO2 par kWh, ou gCO2/kWh, ou les émissions de GES, incluant tous les gaz à effet de serre en gCO2eq./kWh, les impacts des autres GES étant normalisés en « équivalent CO2 ».
Par exemple, dans le cas du nucléaire, outre la construction, doivent être pris en compte l’extraction du minerai, l’enrichissement de l’uranium par ultracentrifugation, l’ensemble des transports, la production ainsi que la distribution d’électricité et, bien sûr, le démantèlement et la gestion des déchets.
Bien que semblant simples, ces notions sont dans la réalité extrêmement complexes à évaluer puisque doivent être prises en compte des activités directement mesurables ainsi que des contributions indirectes, éventuellement hors de nos frontières. Par exemple, pour le nucléaire, la France importe son uranium de mines situées au Canada, en Australie, au Niger et au Kazakhstan, et doit le transporter après transformation vers nos ports. Par contre, une part très importante des matériaux et équipements est nationale.
Si l’on considère les autres moyens de production d’électricité, il y a une quantité massive d’équipements provenant de l’étranger, comme les éoliennes et les panneaux solaires, et nous devons donc inclure leur empreinte dans la nôtre.
Le nucléaire a une très faible empreinte carbone
Trois technologies sont très performantes du point de vue climatique : l’hydraulique, l’éolien et le solaire. Même une erreur d’évaluation d’un facteur de deux ou trois ne changerait pas cette conclusion. Le solaire photovoltaïque, bien qu’un peu moins efficace, reste très bon. Mais chaque pays bénéficiera plus ou moins de chacune de ces technologies :
- Le solaire photovoltaïque sera très performant dans un climat sec de basse latitude, et certainement beaucoup moins près du cercle polaire.
- L’électricité intermittente devra s’appuyer, par pénurie de vent ou de soleil, sur une capacité de secours, qui sera très souvent une centrale à gaz naturel, affaiblissant ainsi sa performance.
- Le nucléaire lui-même ne pourra pas répondre à la demande de pointe et sera complété par des énergies renouvelables, mais en partie également par des centrales à combustibles fossiles.
C’est pourquoi nous utilisons le facteur d’émission du mix électrique de chaque pays. La France est de ce point de vue, tant que son nucléaire sera fort, très performante avec en complément l’hydraulique et les autres renouvelables. À titre de comparaison, en 2020, les émissions des pays de l’UE étaient les suivantes (en g/kWh) : Suède (13), France (55), Autriche (83), Danemark (102), Espagne (190), Belgique (192), Italie (212), Allemagne (301), Pays-Bas (318) et Pologne (724)1.
Comment compare-t-on nucléaire, énergies renouvelables et énergies fossiles ?
Nous nous limiterons à deux documents de référence, celui de l’ADEME (L’agence du ministère de l’Environnement), et celui du GIEC (Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), le premier étant plutôt hostile au nucléaire et le second neutre.
Ces chiffres sont très comparables à ceux du GIEC, à l’exception notable du nucléaire qui présente une empreinte carbone deux fois inférieure en France. Ceci s’explique par l’alimentation de l’usine Georges Besse 2 (de séparation isotopique), pour enrichir l’uranium, par l’électricité française qui est remarquablement décarbonée (contrairement aux autres pays maîtrisant cette technologie, qui ont encore massivement recours aux énergies fossiles pour produire leur électricité).
Entre opposants ou partisans de telle ou telle énergie, les chiffres peuvent diverger, d’autant plus que le calcul est lui-même techniquement complexe, voire être l’objet de choix politiques : comment comparer un acier produit dans chaque pays en fonction du niveau technologique et de l’usage d’un charbon de plus ou moins bonne qualité ?
C’est en ce sens que les deux évaluations de l’ADEME et du GES sont intéressantes car très convergentes. Les données du GIEC présentent l’avantage d’être multinationales, les chiffres retenus sont évalués par des experts du monde entier selon un processus très structuré, avec des revues par des pairs.
La montée en puissance de l’électricité comme énergie
Afin d’atteindre les objectifs de la COP21 de 2015 — d’où est issu l’Accord de Paris, signé par 195 pays s’engageant à prendre des mesures pour maintenir la hausse des températures en dessous de 2 °C d’ici 2100 —, la France doit, comme les autres nations, réduire ses émissions de GES. Cet objectif, qui impose à la France de réduire ses émissions de GES de 40 % d’ici 2030 (voire plus avec les nouveaux objectifs européens), ne pourra être atteint que si elle opère un virage radical vers une économie bas carbone.
L’analyse des émissions de notre pays révèle clairement les domaines dans lesquels il est urgent d’agir : en 2019, transports et bâtiments étaient responsables de 63 % des émissions et l’on ne cesse de répéter qu’il faudra réindustrialiser notre pays si nous voulons réduire notre empreinte carbone. La solution ne peut venir que d’un vecteur électrique qui, selon l’Agence Internationale de l’Énergie, pourrait véhiculer 80 % des besoins énergétiques mondiaux d’ici la fin du siècle (les énergies fossiles fournissent aujourd’hui encore les trois quarts de la consommation mondiale).
L’énergie nucléaire, avec sa faible empreinte carbone et sa souplesse de production, jouera nécessairement un rôle important, associé à l’hydraulique et à la biomasse solide (forcément limitée) pour produire de l’électricité quand on en a besoin. Ces productions pilotables seront complétées par l’électricité intermittente, éventuellement basée sur un stockage de masse d’électricité qui reste à démontrer. Mais ce basculement d’une société « fossile » à une société « électrique » est un véritable défi et nécessitera d’énormes investissements. Étant sur un temps long et fortement capitalistique (c’est vrai autant pour le nucléaire que pour les énergies renouvelables), notre avenir énergétique repose sur des stratégies claires, robustes et sur le long terme.
Les aléas politiques, querelles souvent stériles quand on considère le risque climatique, ont malheureusement fragilisé la France qui, face à la croissance nécessaire de la production d’électricité, affaiblit son réseau année après année, comme l’a bien montré la flambée des prix subie par le pays cet automne. Après avoir arrêté toutes nos centrales à charbon en 2024, en ayant refusé de lancer depuis 15 ans de nouvelles centrales nucléaires et nous interdisant la construction de centrales à gaz naturel, notre parc de production pilotable n’a plus la puissance nécessaire. Il est urgent d’agir, car la relance du nucléaire demandera une douzaine d’années et nous ne pourrons éviter, pour électrifier notre société, la construction de quelques centrales à gaz naturel, comme énergie de transition.
En France, EDF a engagé avec le « grand carénage » une importante jouvence de ses réacteurs pour prolonger leur exploitation dans des conditions de sûreté reconnues par l’Autorité de sûreté nucléaire. Elle développe également, avec l’EPR2, un nouveau modèle plus performant tant du point de vue de la production que du climat, dont le gain est proche de 15 à 20 %. Les décisions sont toujours attendues, mais le vent tourne et nous pouvons espérer une relance vigoureuse du nucléaire en France comme en Europe.
En parallèle, bien d’autres efforts devront être consacrés à une meilleure efficacité énergétique, et la réduction de notre empreinte climatique en rapatriant des activités industrielles sur notre territoire.
Propos recueillis par Isabelle Dumé
Pour aller plus loin :
- V. Nian, S. Chou, B. Su et J. Bauly, « Life cycle analysis on carbon emissions from power generation – The nuclear energy example », Applied Energy, no 1118, pp. 68–82, 2014
- https://www.ademe.fr : base carbone ADEME
- https://www.ipcc.ch/languages‑2/francais/
- https://www.edf.fr/groupe-edf/espaces-dedies/l‑energie-de-a-a‑z/tout-sur-l-energie/produire-de-l-electricite/l‑epr
- http://www.cap2030.com