La gamification pour inciter à la sobriété
- La sobriété énergétique implique que chaque foyer mette une attention quotidienne et durable à réduire sa consommation d’énergie.
- Ces résolutions sont particulièrement difficiles à tenir dans un monde de surconsommation et de pression constante.
- Pour encourager cette transition, la gamification met en place des dispositifs d’accompagnement des ménages, sous forme ludique.
- Une étude de l’institut i3-CRG a mis en évidence quatre profils de ménage et caractérisé l’évolution de leurs comportements avec la gamification.
- Résultat : le jeu favorise les écogestes, mais modifier les habitudes à long terme nécessite des changements plus structurels.
En France, de nombreuses politiques publiques visant à encourager la maîtrise de l’énergie domestique émergent. Malgré tout, cela reste insuffisant pour soutenir les efforts quotidiens des ménages vers la sobriété énergétique. Dans ce but, l’institut i3-CRG de l’École polytechnique tente de souligner l’intérêt des instruments de gamification.
La gamification désigne l’intégration d’éléments de jeu, ou de mécanismes ludiques. Adapter ce concept à des dispositifs d’accompagnement au changement de comportements pourrait aider à développer la « pleine conscience des ménages ». En clair, cela illustrerait l’ampleur des efforts fournis et leur durée dans le temps, pour intégrer la sobriété énergétique dans leurs routines quotidiennes.
Le défi de la sobriété énergétique dans les ménages
Peu tangible, la consommation d’énergie dans les foyers peut échapper à l’attention quotidienne, même chez ceux déterminés à mieux contrôler leur consommation. Il est, en effet, plus facile de constater ses progrès au jour le jour, lorsque l’on s’engage dans une démarche de réduction des déchets, plutôt que dans une tentative de réduction des consommations d’énergies. Changer ses habitudes nécessite du temps et de l’attention à long terme.
Dans une société de surconsommation et de pression temporelle constante, de nouvelles résolutions peuvent facilement être abandonnées ou déviées. Cette forme de conscience (« mindfulness ») est particulièrement importante dans un contexte domestique, où les ménages font face à des préoccupations quotidiennes multiples et parfois contradictoires. La gamification est ainsi un des moyens d’enclencher de nouveaux comportements pouvant devenir à terme de nouvelles habitudes ; mais peut-elle les maintenir ?
Ces premiers résultats permettent de questionner l’efficacité de la gamification dans l’initiation d’un changement de comportements.
Les recherches du i3-CRG étudient les « défis Déclics », une initiative française qui vise à engager les ménages dans des démarches de réduction énergétique, par le biais de la gamification. Les données s’intéressent à six types de pratiques de sobriété tels que la réduction de ses besoins ou habitudes – notamment en chauffage – ou le remplacement de dispositifs énergivores. Ces données sont croisées avec les différents niveaux d’attention requis pour les adopter. Des entretiens avec les ménages ayant participé aux défis Déclics permettent de mesurer l’intensité attentionnelle de leurs pratiques, avant, pendant et après les défis. Plus précisément, avec la description des pratiques adoptées par les participants, le temps et les efforts induits, les chercheurs peuvent, avec un codage des verbatim, mesurer l’impact de la gamification sur le niveau d’attention.
La gamification est-elle efficace ?
Les résultats montrent que les défis n’ont pas les mêmes effets selon les profils de ménages. Quatre profils ont été identifiés :
- Les potentiels révélés : ménages originellement peu attentifs aux éco-gestes de sobriété énergétique, qui sont parvenus – suite aux défis – à changer une partie de leurs routines durablement. Ces profils de ménage ont été particulièrement réceptifs à la gamification. Pour autant, une fois le challenge terminé, ils n’ont pas cherché à aller au-delà des pratiques mises en place durant le défi.
- Les opportunités manquées : ménages également peu attentifs aux éco-gestes énergétiques, mais sur qui les défis semblent avoir eu peu d’impact. Souvent inscrits par un membre de la famille « moteur », ces foyers ont rencontré des difficultés à s’approprier les dispositifs du défi, soit parce que les formats proposés étaient inadaptés à leurs contraintes de vie (horaires, lieu, format…), soit parce que les autres membres du foyer se sont montrés passifs, voire résistants à la mise en place de nouvelles routines.
- Les compétitifs : ménages déjà attentifs à la sobriété dans leurs quotidiens, et qui ont été particulièrement stimulés par l’idée de compétition, les feedbacks et les retours sur leurs propres performances. Si ces ménages ont montré un engagement fort durant le défi, la disparition des stimuli au terme du jeu a fait retomber leur attention : certains admettent avoir perdu leurs « bonnes » habitudes quelques mois ou années plus tard.
- Les désillusionnés :ménages qui, paradoxalement, étaient déjà engagés dans une démarche de sobriété, mais qui n’ont pas été davantage stimulés par le défi. Ces participants regrettent de ne pas avoir appris de nouvelles pratiques pour opérer un changement plus profond ou plus structurel dans leurs modes de vie. Pour ces désillusionnés, les incitations du défi – en particulier la mesure des baisses de consommation d’électricité par rapport à l’année précédente – n’étaient pas adaptées, puisque la majorité des écogestes proposés était déjà intégrés dans leurs propres routines.
Ces données sont exploratoires et ne permettent pas de quantifier la part des profils dans le jeu. De futures recherches quantitatives permettront de la mesurer. Ces premiers résultats permettent de questionner l’efficacité de la gamification dans l’initiation d’un changement de comportements. Pour réussir à s’intégrer sur le plus long terme, il est nécessaire de mieux prendre en compte les contraintes du quotidien et de mieux accompagner les ménages. Finalement, si la gamification permet d’initier des changements individuels, leur stabilité dans le temps repose sur des changements plus structurels.
Référence : Chamaret, C., Guérineau, M., & Mayer, J. C. 2023. When saying “enough” is not enough: How cultivating households’ mindfulness through gamification can promote energy sufficiency. Energy Research & Social Science, 105: 103294.