La capture du carbone face à ses limites technologiques et économiques
- Pour atteindre l’objectif de la capture de 450 millions de tonnes de CO2 à l’horizon 2050, la question des stratégies de décarbonation à adopter se pose.
- Une étude de l’ADEME montre que l’inaction climatique de la France coûtera entre 5 et 7 points du PIB annuel d’ici 2100, soulignant les enjeux économiques de la décarbonation.
- Une forte hausse de la pénalité carbone sur l’EU ETS est envisagée d’ici 2035 pour les investissements lourds, mais il est d’abord prioritaire d’investir dans la capture du CO2.
- En vue des objectifs de décarbonation de 2050, le GIEC et l’AIE estiment que les technologies de captage, transport, stockage et l’utilisation du CO2 sont cruciales.
- Pour cela, il s’agit notamment de combiner 3 leviers de décarbonation : la réduction des émissions de CO2, la défossilisation des usages et l’élimination directe du carbone.
La contribution future de la technologie CCS (Carbon Capture and Stockage) et CCU (Carbon Capture and Utilisation) aux enjeux de décarbonation est désormais indiscutable, la question étant : quelle stratégie afin d’atteindre la capture de 450 millions de tonnes de CO2 à l’horizon 2050 ?
« La feuille de route pour le déploiement du CCS (stockage) et CCU (utilisation) n’est pas gravée dans le marbre, mais pour la suivre il faut impérativement que les États se dotent d’une vision de long terme », déclare Paula Coussy, cheffe de projet Externalités CO2 – Marchés et Certification carbone à l’IFP Energies nouvelles (IFPEN1), soulignant l’importance des Contributions déterminées au niveau national (NDCs). Parmi les éléments clés d’un scénario plausible :
- Les technologies de captage doivent prioritairement viser les secteurs sans autres alternatives de réduction d’émission de CO2.
- Les premières chaînes CCS et CCU doivent démarrer à l’horizon 2030 sur les sites industriels couverts par le marché du carbone (EU ETS2), que sont les domaines de la cimenterie, de la chimie, de l’aciérie et de l’aluminerie.
- Dans la logique du phasage en France, l’objectif de capture cumulée de 4 à 8 Mt CO2/an devrait être atteint d’ici à 2035 par les hubs industriels portuaires du Havre, Dunkerque, Saint-Nazaire et l’axe Rhône.
La stratégie européenne fixe quant à elle trois jalons : stocker 50 Mt/an de CO2 à l’horizon 2030, en capter 280 Mt/an à l’horizon 2040 (dont 60 Mt/an par Direct Air Carbon Capture [DACC]), et 450 Mt/an (dont 150 par DACC) à l’horizon 20503. Des objectifs ambitieux atteignables selon les experts… à « quelques conditions » près, au premier rang desquelles un prix carbone (EU ETS), permettant de soutenir les investissements CCS et CCU.
Challenges économiques au déploiement du CCS et CCU
« Face au cadre législatif et règlementaire européen nous avons des outils », affirme Paula Coussy, rappelant que dès 2026, les quotas carbones devraient disparaître peu à peu au bénéfice du Mécanisme d’Ajustement Carbone aux Frontières (CBAM). Ces outils sont ceux devant répondre aux directives de la Commission européenne.
« À l’aube de son déploiement, le marché va être conduit par la réglementation », assure Raphaël Huyghe, responsable de programme Captage et Stockage CO2 au sein de IFPEN, soulignant au passage le coût de l’inaction par rapport à celui de l’action. Ainsi une étude de l’ADEME (2023) estime que l’inaction climatique pour la France coûterait entre 5 et 7 points de PIB annuel d’ici 2100, soit plus de 180 milliards d’euros, entraînant une réduction de 13 % du revenu médian d’ici 2050, alors que le coût de financement pour l’action est chiffré à 66 milliards d’euros par an à l’horizon 20304. À l’échelle mondiale, une étude publiée par Nature5, estime à 38 000 milliards de dollars de dommages l’inaction à l’horizon 2050, soit 6 fois plus que pour l’action climatique.
Certitude à l’investissement vs incertitude à la pénalité
Le risque n’est aujourd’hui, selon Paula Coussy, pas technique mais financier : « Il y a un fossé entre le besoin actuel en investissement et la pénalité carbone encore inconnue en 2050. » Alors que les modèles d’affaires commerciaux sont à construire le long de la chaîne CCS et CCU, il s’agit de « clarifier la responsabilité financière du CO2 » au travers d’un cadre de certification des émissions évitées ou éliminées.
Face au coût de la chaîne CCS et CCU, la pénalité carbone sur l’EU ETS est aujourd’hui de 80 €/t CO2… De fait, actuellement peu incitative pour les investissements lourds, elle est envisagée à 180 €/t CO2 en 2035. Pour autant, « la vision long terme doit être d’investir dans la capture », assure Paula Coussy, observant que la position majoritaire actuelle des industriels est de préférer payer des quotas CO2 ! À leur décharge, la chaîne commerciale CCS est nouvelle pour eux (130 à 230 €/t CO2, selon le type de chaîne CCS), d’où la nécessité pour les émetteurs de s’associer afin de réduire les coûts et de poursuivre l’innovation.
La technologie comme levier
Pour atteindre les cibles de décarbonation à horizon 2050, le GIEC et l’Agence Internationale de l’Energie estiment que les technologies de captage, transport, stockage et l’utilisation du CO2 sont incontournables. « Il s’agit en fait d’un enchaînement de briques technologiques visant à réduire les émissions de CO2 – principale cause du réchauffement ou du dérèglement climatique – en intégrant son captage, son transport et son stockage », explique Raphaël Huyghe, soulignant que les deux chaînes, CCS et CCU, sont complémentaires, mais avec des finalités différentes.
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Or ces « briques » sont technologiquement maîtrisées et peuvent être combinées : on sait capter le CO2 dans les fumées industrielles (CO2 issu de combustion fossile), à partir de sources biogéniques (CO2 issu de la combustion de biomasse) ou directement dans l’atmosphère par la technologie Direct Air Carbone Capture (avec un niveau de maturité plus faible, mais qui promet des émissions négatives). On sait l’injecter dans des formations géologiques étanches afin de le stocker de manière permanente en toute sécurité et, enfin, on sait aussi l’utiliser pour la fabrication de produits et matériaux.
Si le modèle d’économie circulaire du carbone via l’utilisation du CO2 capté en e‑carburants et e‑produits est particulièrement séduisant, en plein développement pour la valorisation du CO2 en Carburants d’Aviation Durable (CAD), il n’est en revanche pas du tout à l’échelle du stockage qui va représenter des millions de tonnes et doit apporter la réponse la plus rapide possible à l’urgence climatique.
« La technologie est maîtrisée, fonctionne par briques, et l’enjeu est le déploiement à grande échelle, d’une part en réduisant les coûts sur l’ensemble de la chaîne CCUS, en particulier le captage, et en stimulant les investissements par les stratégies ou les politiques nationales et européennes et les financements publics combinés avec les mécanismes financiers (CCfd) », résume Raphaël Huyghe. La technologie doit reposer sur sa viabilité technico-économique pour permettre son déploiement à grande échelle, afin de passer de 50 Mt CO2 capturées en 2025 à 1 Gt en 2030 et 6 Gt CO2 en 20506. Il sera parallèlement nécessaire d’accélérer le développement des sites de stockage et de coordonner l’ensemble des acteurs de la chaîne.
« On sait capter le CO2 depuis un siècle mais on change aujourd’hui de finalité », confirme Florent Guillou, chef de projet CCS – procédés en rupture pour le captage de CO2, précisant que dans le scénario Neutralité Carbone « net zero » de l’Europe en 2050 (EU Industrial Carbon Management Strategy, Févier 2024), il s’agit de combiner 3 leviers de décarbonation : la réduction des émissions de CO2, la défossilisation des usages et l’élimination directe du carbone. Parmi les 4 familles de captage du CO2 (précombustion, oxycombustion, post-combustion et DACC) deux ont fait l’objet de démonstrations et sont désormais prêtes pour l’industrialisation :
- La technologie DMXTM permet le captage de CO2 en post-combustion de seconde génération. Le démonstrateur industriel construit et opéré sur le site d’ArcelorMittal à Dunkerque dans le cadre du projet européen 3D/DinamX coordonné par l’IFPEN, a permis de valider les performances du procédé (11 partenaires de l’Union européenne pendant 5 ans de 2019–2024, pour un budget de 24 millions d’euros).
- La technologie CLC (combustion en boucle chimique de charges solides, fossiles/biomasse [1 t/h]) résulte de 7 ans de R&D (2017–2024) par 9 partenaires d’Union européenne et de Chine, pour un budget global de 22 millions d’euros7.
« Ces technologies sont désormais prêtes pour la commercialisation auprès des gros émetteurs, et nos développements futurs consisteront à intensifier les procédés pour des unités plus compactes et plus accessibles, destinées aux petits et moyens émetteurs », confie Florent Guillou.
Après près d’un siècle d’expérience dans la séparation du CO2, l’heure est à la démocratisation des technologies pour contribuer à relever le défi de la lutte contre le changement climatique. Si la technologie CCUS n’est pas la solution globale à la décarbonation elle peut en être un acteur majeur !