La filière éolienne fait face à un tournant majeur. Le parc est vieillissant : au Danemark, 50 % des éoliennes ont plus de 15 ans, 40 % en Allemagne1. Si les éoliennes sont conçues pour une durée de vie d’environ 20 ans, l’âge du renouvellement varie en Europe de 9 à 27 ans. En France, seule une petite part (moins de 5 %) de la capacité installée dépasse 15 ans, et l’Ademe souligne que les renouvellements pourraient avoir lieu majoritairement entre 15 et 20 ans. Ces prochaines années, le potentiel de renouvellement va même s’accélérer en Europe : il pourrait passer de 3 GW par an en 2020 à plus de 6 GW en 2030 d’après Windeurope2.
Gérer les déchets éoliens
Une question se pose alors : comment gérer les déchets issus du démantèlement des parcs éoliens ? Les éoliennes sont composées à 90 % de béton (840 tonnes en moyenne) et d’acier (246 t) selon la DREAL Grand Est3. Ces matériaux sont facilement recyclables et bénéficient de filières aux débouchés importants. Les autres matériaux comme la fonte, le fer et le cuivre sont eux aussi recyclés. Le marché de l’occasion est également développé et compte de grands acteurs européens. « Plus de 90 % de la masse d’une éolienne peut déjà être recyclée en France, ces marchés sont bien structurés et pourront absorber des volumes plus importants. », précise Amandine Volard, ingénieure en énergies renouvelables à l’Ademe.
Plus de 90 % de la masse d’une éolienne peut déjà être recyclée en France.
Seules les pales posent problème aujourd’hui. Elles sont en effet constituées d’un matériau composite : un mélange de matrice polymère (résine époxy, polyuréthane ou encore polyester) et de fibres de renforcement (majoritairement du verre ou du carbone pour les éoliennes en mer). L’idéal ? Récupérer chacun des matériaux pour les réutiliser. Néanmoins, « il est très compliqué de séparer la matrice et les fibres de renforcement. », explique Céline Largeau, chef du projet Zebra à l’IRT Jules Verne. Plusieurs voies de séparation existent : la pyrolyse (voie thermique), la solvolyse (voie chimique), la gazéification ou encore le broyage.
Ces procédés permettent de récupérer les fibres et/ou la matrice, pourtant, aucune filière de recyclage efficace n’est en place aujourd’hui4. Certains procédés sont matures et utilisés à l’échelle industrielle, comme la pyrolyse et le broyage, mais ceux-ci dégradent fortement les propriétés mécaniques des fibres de verre. Les fibres ainsi récupérées sont plus chères et de moins bonne qualité que des fibres non recyclées, et la filière n’est pas économiquement viable. La solvolyse permet quant à elle de récupérer des fibres de verre intactes ainsi qu’une résine réutilisable.
10 000 à 15 000 tonnes de composites issus du secteur éolien seront à traiter chaque année à partir de 2028 en France.
Mais le procédé manque d’efficacité, nécessite de grandes quantités de ressources – solvant, eau, énergie – et n’a pas atteint un stade de maturité suffisant. Résultat : à ce jour, seule l’incinération des pales en cimenterie est développée, par exemple en Allemagne où le renouvellement des parcs éoliens est déjà important5. Le composite y est utilisé comme combustible et les résidus sont incorporés au clincker, un constituant du ciment. « Nous estimons que 10 000 à 15 000 tonnes de composites issus du secteur éolien seront à traiter chaque année à partir de 2028 en France6, détaille Amandine Volard. Or la filière des cimenteries est déjà sollicitée par d’autres secteurs que celui de l’éolien et ne pourra pas traiter seule de telles quantités. »
Revalorisation, recyclage, réemploi
Poussée par de nombreux facteurs (voir l’encadré), la filière développe de nouvelles voies de valorisation des anciennes pales. Certains procédés de séparation encore peu matures – la solvolyse, la gazéification ou la fragmentation à haute tension – font l’objet de démonstrateurs. Les procédés matures comme la pyrolyse sont améliorés dans le but d’obtenir des fibres en sortie aux propriétés intéressantes. Le projet R3FIBER7, porté par la société Bcircular, permet par exemple d’intégrer les fibres recyclées à du ciment commercialisé pour en améliorer les performances. D’autres initiatives portent sur la chaîne de valeur. « L’un des objectifs de notre projet Zebra est d’identifier de nouvelles filières qui pourraient utiliser les fibres issues des éoliennes, explique Céline Largeau. L’automobile est par exemple un secteur privilégié. » Autre possibilité : le réemploi. Dans son analyse8, le cabinet Bax & Company pointe : « Pour le moment, le recyclage a la plus grande attention même s’il ne s’agit pas de la stratégie de gestion des déchets la plus souhaitable. » Les auteurs soulignent en effet la possibilité de réutiliser directement les pales par exemple pour les façades de bâtiments.
Dernier levier d’action : la mise au point de pales innovantes entièrement recyclables. Le zéro déchet s’est invité à la table des constructeurs qui visent cet objectif d’ici 20409. Siemens Gamesa commercialise déjà depuis 2021 la première pale d’éolienne entièrement recyclable, la RecyclableBlade. Composée d’une nouvelle résine et de fibre de verre, le matériau composite peut être séparé en fin de vie par voie chimique. En France, le projet ZEBRA piloté par l’IRT Jules Verne mise sur une autre résine innovante pour le secteur, la résine thermoplastique. Associée à une fibre de verre haute performance, le matériau composite obtenu est ainsi recyclable par voie chimique. « La fibre de verre développée par Owens Corning peut intégrer une certaine part de fibre de verre recyclée, permettant donc de valoriser cette ressource », précise Céline Largeau. La résine peut elle aussi être réutilisée. « L’un des enjeux de ces nouvelles pales est de caractériser leur empreinte carbone sur l’ensemble de leur vie (ACV), car cela n’a jamais été fait, souligne Céline Largeau. Nous serons bientôt en mesure de fournir l’ACV de la pale Zebra, les résultats semblent prometteurs. »
LA FILIÈRE POUSSÉE VERS LE RECYCLAGE
Les industriels se préparent à faire face à des flux grandissants de déchets éoliens dans un contexte tendu. L’arrêté du 22 juin10 relatif aux installations éoliennes prévoit que 90 % de la masse totale des éoliennes démantelées soit réutilisée ou recyclée depuis juillet 2022 ; et 95 % d’ici le 1er janvier 2024. « Ce sont des objectifs déjà atteints aujourd’hui par les premiers parcs démantelés en France, souligne cependant Amandine Volard. Les incitations économiques – comme la prise en compte du taux de recyclage dans les critères de notation au dernier appel d’offre éolien offshore – sont aussi un catalyseur important pour faire évoluer la filière. » Autre changement récent : la crise économique. « La fabrication de fibre de verre nécessite beaucoup d’énergie, les coûts ont donc fortement augmenté depuis quelques mois, témoigne Céline Largeau. Cela rend les fibres recyclées plus compétitives sur le marché. » Elle poursuit : « L’opinion publique joue enfin un rôle très important : l’incinération ou l’enfouissement des déchets ne renvoient pas une très bonne image de la filière. »