Infrastructures incontournables pour le fret maritime, les ports s’engagent dans la décarbonation. Ce sont des espaces qui abritent de nombreuses activités – industrie, transport, tourisme – en contact direct avec la ville, et c’est cette proximité avec les habitants qui a longtemps poussé le secteur à œuvrer en faveur de la réduction des nuisances sonores, olfactives, polluants atmosphériques… Mais aujourd’hui les décideurs sont de plus en plus concernés par un type de nuisance plus grave encore : les émissions de gaz à effet de serre (GES).
Pour une transition écologique
« À travers le monde, l’Europe est la région la plus en avance concernant la transition énergétique des ports, avance César Ducruet, géographe CNRS au laboratoire Economix de l’Université Paris Nanterre. De nombreux projets se concentrent dans le Nord-Ouest, ils sont plus rares en Méditerranée. » En France, seuls les ports employant plus de 250 salariés sont soumis à l’obligation d’évaluer leur empreinte carbone. Pourtant, d’autres intègrent la transition écologique dans leurs projets stratégiques1.
« Les ports peuvent contraindre les navires : après le 11 septembre 2001, les États-Unis ont imposé des mesures de sûreté importantes par la suite diffusées à travers le monde, rappelle Gaëlle Guéguen-Hallouët, professeure de droit public à l’Université de Bretagne Occidentale. On peut espérer observer le même phénomène avec la décarbonation : depuis quelques années, nous constatons que les autorités portuaires veulent être des moteurs pour la transition écologique. » L’association internationale des ports (IAPH) a par exemple mis en place en 2011 un indicateur environnemental (l’Environmental Ship Index) évaluant les émissions des navires. Selon un seuil défini par chaque port, les navires les moins polluants peuvent bénéficier de réductions sur les droits de port. Si l’adhésion au dispositif est optionnelle, près de 7 000 navires y prennent part aujourd’hui.
Les facteurs d’émission de GES
Il est difficile de quantifier précisément les émissions de GES des ports. Les contours géographiques de la zone portuaire varient selon les estimations, que ce soit en mer ou à terre, et les activités industrielles (non liées au fret) sont parfois comptabilisées. Pour l’Organisation maritime internationale (OMI), la zone portuaire commence là où le navire réduit sa vitesse en pleine mer pour entrer en phase d’approche2. Les GES sont émis lors des manœuvres des navires, du chargement et déchargement des marchandises à quai, des diverses activités portuaires, du transport terrestre, etc. Une récente analyse de l’organisation Transport & environnement3 estime notamment que le port de Rotterdam, le plus polluant d’Europe, rejette 13,7 millions de tonnes (Mt) de CO2 par an, suivi par ceux d’Anvers (7,4 Mt de CO2) et Hambourg (4,7 Mt de CO2) (contre un milliard pour l’ensemble du fret maritime, voir cet article).
Les principaux responsables ? Les navires. Ils émettent 10 fois plus de GES que les activités portuaires elles-mêmes4. Notons tout de même que les émissions des navires en zone portuaire ne représentent que quelques pourcents de leurs émissions totales5. Pour certains, comme les chimiquiers et les pétroliers, cette part est cependant plus élevée et peut dépasser 20 % de leurs émissions totales. « Les navires représentent 60 % des émissions du port, suivis par le transport terrestre (30%) et le terminal (10 %) », précise César Ducruet.
Les navires représentent 60 % des émissions du port, suivis par le transport terrestre (30%) et le terminal (10 %).
Les leviers d’action de la décarbonation
La solution ? « Le port idéal mettrait en œuvre tout un ensemble de mesures de réduction ! », résume César Ducruet. À quai, les moteurs auxiliaires brûlent du carburant pour générer l’électricité nécessaire à bord du navire : refroidissement des containers, ou encore activation des pompes et des grues pour le chargement de la marchandise. C’est le poste d’émissions le plus conséquent (environ la moitié des émissions pour 4 ports étudiés6) : il représente 11 % des émissions maritimes globales7. Le branchement électrique des navires à quai – disponible dans le port de Stockholm depuis les années 1980 – permet quant à lui la mise à l’arrêt des moteurs auxiliaires. Les émissions sont alors directement liées au mode de production de l’électricité. Plusieurs réglementations poussent donc les ports à s’équiper : l’Union européenne impose notamment l’installation de branchements à quai d’ici 2025. En 2020, 66 ports dans 16 pays différents proposaient déjà ce service8, dont 8 ports majeurs9.
Le transfert des marchandises est un autre levier majeur de décarbonation. Les navires secondaires transportant les marchandises des ports internationaux à domestiques, les engins de manutention ou encore les camions sont en effet des postes importants d’émissions de GES10. L’utilisation de GNL pour le matériel de manutention offre par exemple l’opportunité de réduire de 25 % les émissions portuaires de GES11. L’électrification des engins de manutention permettrait, elle, de réduire les émissions de CO2 des ports américains de 27 à 45% d’ici 205012. L’électrification des trains et des poids lourds offre enfin un potentiel de réduction de 17 à 35 % au même horizon. « 75 % du transport de marchandises en Europe se fait par la route, pour le Havre ce chiffre s’élève à 90 %, appuie César Ducruet. Le potentiel de décarbonation est donc majeur. »
Dernière piste : les mesures organisationnelles et techniques. Le calcul est simple : en réduisant le temps passé à quai, les émissions issues des moteurs auxiliaires des navires sont directement diminuées. Au port de Sydney, les pétroliers et chimiquiers passent en moyenne 32 à 52 heures à quai13. Améliorer la productivité, réduire le temps d’attente pour charger/décharger, fluidifier le trafic ou encore rendre plus efficaces les procédures de dédouanement sont autant de mesures efficaces et peu coûteuses à mettre en œuvre14. Différentes études estiment leur potentiel de réduction des GES à 10–20 %. D’autres mesures techniques sont également préconisées, comme des systèmes d’amarrage automatisés, l’utilisation de LED pour illuminer le terminal (second consommateur d’énergie) ou encore l’optimisation de la surface du terminal qui permettrait de réduire les GES d’environ 70 %15.
Contrairement à d’autres segments du fret maritime, il n’existe pas de recette universelle pour décarboner les ports. « Les conditions variées que connait chaque port suggèrent que les mesures de réduction des émissions doivent être adaptées à chaque port », écrivent les auteurs d’une étude publiée en 201716. Lors d’une enquête auprès de différents acteurs portuaires, l’OMI met en évidence l’importance des réglementations et normes comme levier d’action pour les décideurs17. « L’OMI produit une grande partie des réglementations internationales qui régissent le transport maritime, mais les ports ne sont pas uniquement liés au transport maritime », ajoute Gaëlle Guéguen-Hallouët. La diversité des acteurs impliqués dans la gestion des ports – et la variété de leurs intérêts – est une barrière opérationnelle importante. « Je pense que l’Union Européenne a un rôle essentiel à jouer : le droit européen est par nature contraignant pour les pays membres, conclut Gaëlle Guéguen-Hallouët. Si l’on décide à l’échelle européenne que seuls les navires faiblement émetteurs sont autorisés à entrer dans les ports européens, cette obligation s’appliquera aux navires battant à toutes les flottes du monde. »