Cavernes de sel : la clé pour stocker l’hydrogène ?
Les projections montrent qu’en 2050 l’énergie consommée en Europe sera répartie à parts égales entre électricité et hydrogène alors que les combustibles fossiles représentent aujourd’hui la plus grande part. Il est donc nécessaire de concrétiser dès à present notre maitrise de ce gaz à grande échelle. En effet, la chaîne de production, de transport, de distribution et d’utilisation de l’hydrogène nécessitera d’importantes capacités de stockage – particulièrement si l’énergie primaire qui permet de le produire est intermittente, comme c’est le cas pour les éoliennes et les panneaux solaires.
Pour ce faire, nous aurons besoin d’un système permettant de relier l’équipement de production (notamment les électrolyseurs) au réseau de distribution. Ce système devra donc être capable de stocker l’hydrogène en masse au moment où il est produit tout en le rendant accessible dès que le réseau en réclame. Pour y arriver, nous proposons de stocker l’H2 dans les cavités salines profondes. Avec la montée en puissance de la filière hydrogène, nous pensons qu’en 2050 l’Europe pourrait avoir besoin de plusieurs centaines de cavités de ce type.
Une solution déjà existante
Les cavernes de sel sont très utilisées aujourd’hui en Europe, notamment pour stocker le gaz naturel. Elles tirent parti de la présence dans le sous-sol de couches ou de dômes de sel de plusieurs centaines de mètres d’épaisseur qui s’étendent sur de grandes surfaces ; leur extension totale est de l’ordre de 20 000 km2 en France. Le sel, très peu perméable, peut être facilement dissous afin de créer des cavernes avec des puits de type pétrolier pour creuser la roche jusqu’à la formation salifère. On dispose ainsi, après un certain temps, d’une caverne d’une taille typique de 500 000 m3. En théorie, il suffit d’étendre l’utilisation de ces cavités au stockage d’hydrogène tout en sachant qu’elles seraient capables de stocker environ 6 000 tonnes d’hydrogène à des pressions variables entre 6 et 24 MPa – exploitées comme une bouteille de plongée !
Aujourd’hui en France il existe une trentaine de cavités de stockage de gaz, réparties sur trois sites. Certaines sont exploitées depuis une cinquantaine d’années. Au niveau mondial, on en trouve plusieurs centaines dont quelques cavités de stockage d’hydrogène pour des usages liés à l’industrie chimique. Plusieurs projets de pilotes industriels de production-utilisation de l’hydrogène sont organisés autour de certaines de ces cavités salines existantes. En France, il y a le projet Hypster conduit à Etrez par Storengy et soutenu par l’Union européenne, Hygéo par Terega, HdF et BRGM à Carresse-Cassaber et Hygreen conduit à Manosque par Storengy-Geostock. Si ces projets existent, c’est parce qu’il reste encore quelques défis à relever pour parvenir à un stockage d’hydrogène à grande échelle.
1/ Empêcher les fuites
Même pour des ouvrages classiques, l’acceptabilité sociale est le défi majeur de la construction de nouveaux grands équipements énergétiques (centrales nucléaires, barrages, parcs d’éolienne) et il appartient aux concepteurs d’identifier et d’expliquer au public les particularités des ouvrages du point de vue de leur sûreté et les solutions apportées. Les cavernes de sel n’en sont pas épargnées. Étant donné que la molécule d’hydrogène est particulièrement mobile, le problème le plus important est l’étanchéité du puits d’accès métallique (plusieurs kilomètres). Un certain nombre d’accidents ou d’incidents dans les quelques 2 000 cavités salines de stockage d’hydrocarbures liquides ou gazeux exploitées dans le monde sont connus et bien décrits. Ces incidents sont en général anciens, la profession ayant progressivement adopté un principe appelé la « double barrière » grâce auquel la pression est surveillée continûment pour détecter le passage du gaz à travers une première barrière, évitant ainsi le risque de passage à travers la deuxième
Une autre vérification indispensable est l’essai d’étanchéité. Il consiste, avant la mise en exploitation, la cavité étant encore pleine de saumure, à faire descendre une colonne d’azote un peu au-dessus du toit de la caverne et à suivre l’évolution de l’interface gaz-saumure : une remontée rapide est le signe d’une étanchéité médiocre. A l’échelle de la caverne, le puits est un capillaire très mince et le système ressemble à un baromètre ou à un thermomètre, extrêmement sensibles. L’enjeu est de traquer des fuites minimes, de l’ordre de 10-4/an du volume stocké. Une abondante littérature, à laquelle le LMS a beaucoup contribué, est consacrée à cet essai et l’on peut s’attendre, à l’occasion du stockage d’hydrogène, à des développements importants concernant la méthode, la périodicité et les critères d’acceptabilité.
2/ Maîtriser le comportement du sel
Le sel étant, sur de grandes échelles de temps, un liquide visqueux, toute cavité se ferme progressivement. Il faut que la perte annuelle de volume qui en résulte reste inférieure au pour cent pour éviter que le volume stockable ne diminue trop vite, surtout pour les cavités les plus profondes. Mais aussi parce qu’elle peut engendrer des dommages sur la paroi ou à l’interface sel-puits d’accès. La description du comportement du sel est ancienne mais a été profondément renouvelée ; la Physique des Roches établit qu’il existe un mécanisme propre de déformation sous très faibles sollicitations, difficile à mesurer car les vitesses de déformation impliquées sont de l’ordre de seulement 10-12/s. Mais le sel est aussi un matériau fragile – susceptible de rupture – notamment sous l’effet d’une modification brutale de charge mécanique. Or on peut attendre des variations brutales de stock, et donc de pression, si les cavités sont alimentées par une production d’hydrogène fortement intermittente et doivent satisfaire une demande elle aussi discontinue.
3/ Comprendre la thermodynamique du gaz
Les usages de l’hydrogène pour la mobilité requièrent une pureté extrême. Or, le gaz sera amené à séjourner durablement dans une cavité au fond de laquelle subsistent des milliers de m3 de saumure. Ce dernier contient notamment des sulfates qui proviennent de l’anhydrite (H2S) fréquemment associée au sel souterrain. À sa sortie le gaz est humide et chargé de diverses impuretés dont H2S, particulièrement nocif pour les utilisations du gaz en aval. La purification peut représenter une dépense important.
Enfin, compte tenu de ses grandes dimensions, la caverne est une machine thermodynamique complexe – on peut parler d’une météorologie des cavernes avec de la pluie, de la neige et des inversions de température, rendue très exotique par les changements de pression à très grande échelle. Le moteur de cette machine est la présence d’un gradient naturel de température dans le sous-sol qui engendre une convection intense du gaz dans la partie haute de la caverne, contrée en partie basse par le maintien d’une température relativement froide de la saumure qui résulte de la succession d’épisodes de vaporisation et de condensation de l’eau. Ces phénomènes, mis en évidence par le LMS avec Storengy, ont des conséquences, qui restent encore largement inconnu, pour la pureté du gaz extrait.