« Une inflation maîtrisée est souhaitable pour relancer la croissance »
Certains acteurs économiques s’inquiètent d’une reprise de l’inflation. Est-ce une bonne ou une mauvaise nouvelle ? Et ces craintes sont-elles fondées ?
Pour comprendre l’inflation, il faut regarder du côté du Japon. Cela fait 25 ans que ce pays ne connaît pas d’inflation et une croissance molle malgré une politique monétaire et budgétaire ultra expansionniste : la masse monétaire émise par la Banque du Japon a été décuplée tandis que l’endettement public atteint 250% du PIB, plus du double de la France ! La situation est totalement paradoxale. Et pourtant, il faut bien la comprendre puisque, depuis la crise financière de 2008, elle concerne la zone euro et dans une moindre mesure les États-Unis.
Cette « stagnation séculaire » s’explique par une insuffisance persistante de la demande due au vieillissement démographique. Les gens épargnent pour leur retraite, puis pour leurs dépenses de santé et enfin pour transmettre à leurs enfants et petits-enfants. D’autres facteurs viennent aggraver ce phénomène : l’augmentation des inégalités, qui concentre le pouvoir d’achat entre les mains des plus riches dont les taux d’épargne sont élevés, ainsi que le ralentissement des gains de productivité, qui encourage les ménages les plus pessimistes sur l’avenir à épargner davantage.
Pour contrecarrer une baisse de la demande, les banques centrales baissent leurs taux d’intérêt. Cela décourage l’épargne des ménages et encourage les entreprises à investir. La clef du problème c’est que les banques centrales sont à court de munitions : les taux ne peuvent descendre en dessous de 0 % car la monnaie fiduciaire est un actif qui rapporte précisément 0 %. Or, aucun actif financier peut avoir un rendement sensiblement inférieur à celui de la monnaie. Les banques centrales peuvent créer de la monnaie, mais cela n’a aucun impact macro-économique puisque les épargnants thésaurisent. Dans ces circonstances, une inflation maîtrisée est souhaitable car elle permettrait de stimuler la demande.
L’inflation est souhaitable car l’augmentation des prix fait fondre la valeur de l’épargne comme neige au soleil.
Expliquez-nous cela.
L’inflation est souhaitable car l’augmentation des prix fait fondre la valeur de l’épargne comme neige au soleil. Les ménages sont donc incités à consommer. Ils anticipent une hausse des prix et achètent des biens avant qu’ils ne soient plus chers. La hausse de la consommation fait croître le besoin en main d’oeuvre des entreprises, ce qui génère une pression à la hausse sur les salaires et sur les prix. L’inflation peut devenir une prophétie auto-réalisatrice.
Va-t-on assister à un retour de l’inflation ?
Aux États-Unis, c’est possible. Le vieillissement est moins marqué qu’en Europe, et la politique budgétaire – beaucoup plus agressive – stimule fortement la demande. Avant la pandémie, on observait déjà des pressions inflationnistes alimentées par la politique fiscale expansionniste de Donald Trump, qui a permis aux États-Unis d’atteindre le plein emploi : 3,5 % de chômage. Le stimulus budgétaire américain a été considérablement amplifié avec la pandémie. Joe Biden engage maintenant un plan de relance de 1 900 milliards de dollars, qui vient s’ajouter aux 900 milliards décidés en décembre dernier. On arrive donc à 2 800 milliards, un chiffre stratosphérique qui représente 13 % de leur PIB. Le risque inflationniste existe, mais il n’y pas de consensus chez les économistes à ce sujet. Cela dépendra de la réaction de la Fed, la Banque centrale américaine. Mais les États-Unis semblent prêts à prendre le risque d’une inflation modérée afin d’échapper aux décennies perdues du Japon.
L’inflation peut-elle devenir galopante ?
On ne peut pas éliminer cette possibilité, mais le risque est maîtrisé. La Fed a des instruments et peut relever ses taux. Et, en cas de besoin, les impôts peuvent être augmentés, notamment grâce à l’instauration d’une taxe sur la valeur ajoutée (différente et fiscalement beaucoup plus productive que les « sales tax » actuelles). Cela freinerait la demande et donc l’inflation.
Qu’en est-il de l’Europe ?
Il peut y avoir une inflation passagère liée à la reprise et à des goulets d’étranglement dans les chaînes d’approvisionnement. Mais le risque d’une inflation durable est faible en zone euro car le stimulus budgétaire est modéré. Le plan de relance de la Commission européenne se limite à 700 milliards d’euros, dont la moitié sont des prêts, le tout dépensé sur cinq ans et réparti entre 27 pays. En zone euro, comme souvent, c’est « too little, too late ». C’est dommage car la pandémie est une opportunité unique pour générer un stimulus budgétaire massif et sortir une fois pour toute de la stagnation séculaire. Souvenons-nous que les États-Unis n’ont véritablement tourné la page de la Grande dépression qu’avec un stimulus budgétaire massif : la Seconde Guerre mondiale. Ceci étant, il ne faut pas sous-estimer la difficulté de la situation. Malgré une sacrée audace, le Japon n’a toujours par réussi à renouer avec la croissance et à sortir du piège de la trappe à liquidité.
Y a‑t-il d’autres pistes pour stimuler la demande ?
Il y a plusieurs pistes. Par exemple l’économiste Larry Summers propose de décourager l’épargne en renforçant la protection sociale, avec davantage de redistribution, une assurance santé plus généreuse ou encore en développant la retraite par répartition. Aux États-Unis, c’est une voie possible, mais en France nous n’avons pas de marge de manœuvre.
Une autre solution consisterait à remplacer la monnaie papier par de la monnaie électronique, qui permettrait d’avoir des taux négatifs en taxant les dépôts bancaires. Mais cela ne serait pas très populaire… L’inflation est une manière bien plus indolore de taxer les dépôts !