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« Une inflation maîtrisée est souhaitable pour relancer la croissance »

Jean-Baptiste Michau
Jean-Baptiste Michau
professeur d'économie à l'École polytechnique - CREST (IP Paris)

Cer­tains acteurs économiques s’inquiètent d’une reprise de l’inflation. Est-ce une bonne ou une mau­vaise nou­velle ? Et ces craintes sont-elles fondées ?

Pour com­pren­dre l’inflation, il faut regarder du côté du Japon. Cela fait 25 ans que ce pays ne con­naît pas d’inflation et une crois­sance molle mal­gré une poli­tique moné­taire et budgé­taire ultra expan­sion­niste : la masse moné­taire émise par la Banque du Japon a été décu­plée tan­dis que l’endettement pub­lic atteint 250% du PIB, plus du dou­ble de la France ! La sit­u­a­tion est totale­ment para­doxale. Et pour­tant, il faut bien la com­pren­dre puisque, depuis la crise finan­cière de 2008, elle con­cerne la zone euro et dans une moin­dre mesure les États-Unis.

Cette « stag­na­tion sécu­laire » s’explique par une insuff­i­sance per­sis­tante de la demande due au vieil­lisse­ment démo­graphique. Les gens épargnent pour leur retraite, puis pour leurs dépens­es de san­té et enfin pour trans­met­tre à leurs enfants et petits-enfants. D’autres fac­teurs vien­nent aggraver ce phénomène : l’augmentation des iné­gal­ités, qui con­cen­tre le pou­voir d’achat entre les mains des plus rich­es dont les taux d’épargne sont élevés, ain­si que le ralen­tisse­ment des gains de pro­duc­tiv­ité, qui encour­age les ménages les plus pes­simistes sur l’avenir à épargn­er davantage.

Pour con­tre­car­rer une baisse de la demande, les ban­ques cen­trales bais­sent leurs taux d’intérêt. Cela décourage l’épargne des ménages et encour­age les entre­pris­es à inve­stir. La clef du prob­lème c’est que les ban­ques cen­trales sont à court de muni­tions : les taux ne peu­vent descen­dre en dessous de 0 % car la mon­naie fidu­ci­aire est un act­if qui rap­porte pré­cisé­ment 0 %. Or, aucun act­if financier peut avoir un ren­de­ment sen­si­ble­ment inférieur à celui de la mon­naie. Les ban­ques cen­trales peu­vent créer de la mon­naie, mais cela n’a aucun impact macro-économique puisque les épargnants thésaurisent. Dans ces cir­con­stances, une infla­tion maîtrisée est souhaitable car elle per­me­t­trait de stim­uler la demande.

L’inflation est souhaitable car l’augmentation des prix fait fon­dre la valeur de l’épargne comme neige au soleil.

Expliquez-nous cela.

L’inflation est souhaitable car l’augmentation des prix fait fon­dre la valeur de l’épargne comme neige au soleil. Les ménages sont donc incités à con­som­mer. Ils anticipent une hausse des prix et achè­tent des biens avant qu’ils ne soient plus chers. La hausse de la con­som­ma­tion fait croître le besoin en main d’oeuvre des entre­pris­es, ce qui génère une pres­sion à la hausse sur les salaires et sur les prix. L’inflation peut devenir une prophétie auto-réalisatrice.

Va-t-on assis­ter à un retour de l’inflation ?

Aux États-Unis, c’est pos­si­ble. Le vieil­lisse­ment est moins mar­qué qu’en Europe, et la poli­tique budgé­taire – beau­coup plus agres­sive – stim­ule forte­ment la demande. Avant la pandémie, on obser­vait déjà des pres­sions infla­tion­nistes ali­men­tées par la poli­tique fis­cale expan­sion­niste de Don­ald Trump, qui a per­mis aux États-Unis d’atteindre le plein emploi : 3,5 % de chô­mage. Le stim­u­lus budgé­taire améri­cain a été con­sid­érable­ment ampli­fié avec la pandémie. Joe Biden engage main­tenant un plan de relance de 1 900 mil­liards de dol­lars, qui vient s’ajouter aux 900 mil­liards décidés en décem­bre dernier. On arrive donc à 2 800 mil­liards, un chiffre stratosphérique qui représente 13 % de leur PIB. Le risque infla­tion­niste existe, mais il n’y pas de con­sen­sus chez les écon­o­mistes à ce sujet. Cela dépen­dra de la réac­tion de la Fed, la Banque cen­trale améri­caine. Mais les États-Unis sem­blent prêts à pren­dre le risque d’une infla­tion mod­érée afin d’échapper aux décen­nies per­dues du Japon.

L’inflation peut-elle devenir galopante ?

On ne peut pas élim­in­er cette pos­si­bil­ité, mais le risque est maîtrisé. La Fed a des instru­ments et peut relever ses taux. Et, en cas de besoin, les impôts peu­vent être aug­men­tés, notam­ment grâce à l’instauration d’une taxe sur la valeur ajoutée (dif­férente et fis­cale­ment beau­coup plus pro­duc­tive que les « sales tax » actuelles). Cela frein­erait la demande et donc l’inflation. 

Qu’en est-il de l’Europe ?

Il peut y avoir une infla­tion pas­sagère liée à la reprise et à des goulets d’étranglement dans les chaînes d’approvisionnement. Mais le risque d’une infla­tion durable est faible en zone euro car le stim­u­lus budgé­taire est mod­éré. Le plan de relance de la Com­mis­sion européenne se lim­ite à 700 mil­liards d’euros, dont la moitié sont des prêts, le tout dépen­sé sur cinq ans et répar­ti entre 27 pays. En zone euro, comme sou­vent, c’est « too lit­tle, too late ». C’est dom­mage car la pandémie est une oppor­tu­nité unique pour génér­er un stim­u­lus budgé­taire mas­sif et sor­tir une fois pour toute de la stag­na­tion sécu­laire. Sou­venons-nous que les États-Unis n’ont véri­ta­ble­ment tourné la page de la Grande dépres­sion qu’avec un stim­u­lus budgé­taire mas­sif : la Sec­onde Guerre mon­di­ale. Ceci étant, il ne faut pas sous-estimer la dif­fi­culté de la sit­u­a­tion. Mal­gré une sacrée audace, le Japon n’a tou­jours par réus­si à renouer avec la crois­sance et à sor­tir du piège de la trappe à liquidité.

Y a‑t-il d’autres pistes pour stim­uler la demande ?

Il y a plusieurs pistes. Par exem­ple l’économiste Lar­ry Sum­mers pro­pose de décourager l’épargne en ren­forçant la pro­tec­tion sociale, avec davan­tage de redis­tri­b­u­tion, une assur­ance san­té plus généreuse ou encore en dévelop­pant la retraite par répar­ti­tion. Aux États-Unis, c’est une voie pos­si­ble, mais en France nous n’avons pas de marge de manœuvre. 

Une autre solu­tion con­sis­terait à rem­plac­er la mon­naie papi­er par de la mon­naie élec­tron­ique, qui per­me­t­trait d’avoir des taux négat­ifs en tax­ant les dépôts ban­caires. Mais cela ne serait pas très pop­u­laire… L’inflation est une manière bien plus indo­lore de tax­er les dépôts !

Propos recueillis par Clément Boulle

Auteurs

Jean-Baptiste Michau

Jean-Baptiste Michau

professeur d'économie à l'École polytechnique - CREST (IP Paris)

Les recherches de Jean-Baptiste Michau portent sur la macroéconomie, l’économie du travail et les finances publiques. Il a publié « Sur la fourniture d'une assurance contre les fluctuations des salaires induites par les recherches », Scandinavian Journal of Economics 2021, « Politique monétaire et budgétaire dans un piège de liquidité avec persistance de l'inflation », Journal of Economic Dynamics and Control 2019 ou encore « Sécurité sociale optimale avec marquage imparfait » (avec Oliver Denk), Scandinavian Journal of Economics 2018.

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