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Pourquoi les prix du lithium s’envolent-ils ?

Maria Eugenia Sanin
María Eugenia Sanin
maîtresse de conférences en économie à l’Université Paris Saclay et coordinatrice de l'axe Politiques Sectorielles à la Chaire Energie et Prospérité
En bref
  • Selon Benchmark Mineral Intelligence (BMI), le prix du spodumène, matière première riche en lithium, a augmenté de près de 480 % entre janvier 2021 et janvier 2022.
  • L’Association of European Automotive and Industrial Battery Manufacturers prévoit une hausse de la valeur du marché européen des batteries, passant de 15 milliards d’euros en 2019 à 35 milliards en 2030.
  • La sous-estimation de l’importance de ce marché a entravé les flux de capitaux vers l’industrie tout au long de la chaîne de valeur, ce qui signifie que la demande n’est pas satisfaite actuellement.
  • Afin d’améliorer la situation en Europe, il faut investir dans l’extraction de lithium européen et dans la chaîne de valeur du secteur des batteries.

Selon Bench­mark Min­er­al Intel­li­gence (BMI)1, le prix du spo­dumène, matière pre­mière riche en lithi­um, a aug­men­té de près de 480 % entre jan­vi­er 2021 et jan­vi­er 2022. En jan­vi­er, par exem­ple, il a bon­di de 45,5 % pour attein­dre 2 400 dol­lars améri­cains la tonne, con­tre 1 650 dol­lars améri­cains en décem­bre. D’une façon sim­i­laire, le prix du car­bon­ate de lithi­um — con­sid­éré comme un prix de référence dans l’industrie des bat­ter­ies — a été mul­ti­plié par 5 par rap­port à 2020 et des hauss­es de prix sim­i­laires ont été enreg­istrées pour l’hydroxyde de lithi­um (lithi­um raf­finé à dif­férents stades de pureté) au cours de l’année dernière. Le BMI s’attend à ce que les prix du lithi­um con­tin­u­ent d’augmenter pen­dant au moins les six prochains mois. Mais, quelles sont les raisons de cette hausse vertigineuse ?

En 2019, les acteurs économiques de ce marché pen­saient que l’offre de lithi­um était bien supérieure à la demande et s’attendaient à ce que son prix baisse sys­té­ma­tique­ment2. La sit­u­a­tion est com­plète­ment inverse aujourd’hui. Nous assis­tons à une très forte aug­men­ta­tion de la demande excé­den­taire en rai­son des goulots d’étranglement dans la chaîne d’approvisionnement. Qui a donc rai­son ? Cette ten­dance à la hausse de la demande est-elle sus­cep­ti­ble de se poursuivre ?

En effet, l’Asso­ci­a­tion of Euro­pean Auto­mo­tive and Indus­tri­al Bat­tery Man­u­fac­tur­ers prévoit que la valeur du marché européen des bat­ter­ies passera de 15 mil­liards d’euros en 2019 à 35 mil­liards d’euros en 20303, le lithi­um-ion représen­tant env­i­ron la moitié de cette somme. La valeur du marché mon­di­al, quant à elle, passera de 90 à 150 mil­liards d’euros. Selon ces prévi­sions, il est donc peu prob­a­ble que le prix du lithi­um dimin­ue dans un avenir proche.

Le lithi­um est un élé­ment impor­tant pour les appli­ca­tions d’énergie durable. Les bat­ter­ies lithi­um-ion, par exem­ple, domi­nent aujourd’hui le marché du stock­age de l’énergie recharge­able grâce à la faible masse de cet élé­ment, à son impor­tant poten­tiel de réduc­tion chim­ique et à sa forte den­sité énergé­tique. Ces dis­posi­tifs sont égale­ment de plus en plus util­isés comme bat­ter­ies dans l’électronique, des smart­phones aux téléviseurs, ain­si que pour stock­er l’énergie pro­duite par les pan­neaux solaires, les éoli­ennes et, surtout, les voitures élec­triques, qui sont presque la seule option pour décar­bon­er le trans­port privé dans un avenir proche.

Le lithium et la transition énergétique

Le New Green Deal, par exem­ple, qui vise la neu­tral­ité car­bone en Europe d’ici 2050, a pour objec­tif de réduire les émis­sions de gaz à effet de serre de 55 % d’ici 2030 par rap­port au niveau des années 1990 et de réduire à zéro les émis­sions des voitures neuves d’ici 20354. Selon la Banque mon­di­ale5, la pro­duc­tion de minéraux, tels que le graphite, le lithi­um et le cobalt, devrait aug­menter de près de 500 % d’ici à 2050. L’Euro­pean Coun­cil on For­eign Rela­tions estime que pour attein­dre la neu­tral­ité car­bone au milieu du siè­cle, il fau­dra 18 fois plus de lithi­um qu’actuellement d’ici à 2030 et près de 60 fois plus d’ici à 20506.

Nous nous sommes fon­da­men­tale­ment trompés en prédis­ant ce qui allait se pass­er. Ce n’est pas sur­prenant, car les experts ont sou­vent sous-estimé l’adoption des nou­velles tech­nolo­gies. Les éner­gies renou­ve­lables en sont un bon exem­ple. Même si leur adop­tion a con­nu une crois­sance expo­nen­tielle, le World Ener­gy Out­look de l’Agence Inter­na­tionale de l’Énergie, par exem­ple, les a sys­té­ma­tique­ment sous-estimées année après année7. Une sit­u­a­tion sim­i­laire s’est pro­duite avec le lithium.

La sous-esti­ma­tion de l’importance de ce marché et du marché des bat­ter­ies a, en général, entravé les flux de cap­i­taux vers l’industrie tout au long de la chaîne de valeur, ce qui sig­ni­fie que la demande n’est pas sat­is­faite pour le moment et que nous aurons du mal à répon­dre à la forte demande dans un avenir proche — par exem­ple, pour les voitures élec­triques, telles que celles de Tes­la, pour lesquelles il existe une liste d’attente de plusieurs mois.

Difficile à extraire et à traiter

Une autre rai­son du prix élevé du lithi­um est que, bien que le lithi­um soit un métal rel­a­tive­ment abon­dant sur Terre, il n’est pas facile à extraire. Actuelle­ment, il est extrait de gise­ments d’un minéral appelé peg­matite et de saumures par éva­po­ra­tion solaire — un proces­sus coû­teux et inef­fi­cace qui peut pren­dre plus d’un an. L’exploration de nou­velles sources peut pren­dre de 3 à 5 ans, l’installation de minéralurgie de 2 à 3 ans et l’organisation de toute la chaîne logis­tique ain­si que la qual­i­fi­ca­tion de la main d’ouvre peut égale­ment pren­dre beau­coup de temps.

C’est une sit­u­a­tion assez excep­tion­nelle : presque tout le lithi­um dont nous dis­posons au niveau mon­di­al aujourd’hui provient d’une poignée d’endroits dans le monde : 6 exploita­tions minérales en Aus­tralie, 2 opéra­tions d’extraction de saumures en Amerique Latine (une en Argen­tine et l’autre au Chili) et 2 (une de saumures et une minérale) en Chine. Presque toutes ses ressources sont ensuite envoyées en Chine ou 70 % des bat­ter­ies lithi­um-ion sont pro­duites8. Cela pose le prob­lème de la dépen­dance stratégique pour les économies occi­den­tales ain­si que celui des « bot­tle­necks ». Sor­tir de cette dépen­dance deman­dera beau­coup de temps et d’efforts, ce qui, com­biné à la crise géopoli­tique actuelle de l’énergie, fera inévitable­ment grimper les prix du lithi­um — à court terme du moins.

Que devons-nous faire ?

Il existe des ressources disponibles en Europe et cer­tains pro­jets se met­tent en place petit à petit, mais leur des­tin est encore incer­tain. Au-delà de la ressource, la con­cen­tra­tion dans le marché de pro­duc­tion de bat­ter­ies en Chine représente une bar­rière très impor­tante pour le développe­ment de la voiture élec­trique, en par­ti­c­uli­er pour arriv­er à respecter les objec­tifs de décar­bon­i­sa­tion du trans­port privé que l’Europe s’est fixé. C’est là que nous pou­vons avancer plus vite en instal­lant gigafac­to­ries d’avantage. Les pré­dic­tions indiquent que nous allons avoir 35 gigafac­to­ries en 2035, avec l’Allemagne comme pre­mière des­ti­na­tion suiv­ie de la France et l’Italie.

Il y a essen­tielle­ment deux choses aux­quelles nous devons penser dès main­tenant pour amélior­er la sit­u­a­tion en Europe : la pre­mière est d’investir davan­tage dans l’extraction du lithi­um dans les pays où c’est plus économique, en diver­si­fi­ant leur prove­nance et nos parte­naires ; la sec­onde est d’investir dans l’ensemble de la chaîne de valeur du secteur en nous posi­tion­nant comme joueur clé dans la pro­duc­tion de bat­ter­ies. Le lithi­um pour les bat­ter­ies doit être d’une qual­ité spé­ci­fique et son extrac­tion est bien plus com­plexe que celle du char­bon, par exem­ple. Nous devons donc inve­stir dans le tal­ent. C’est là que la géopoli­tique peut devenir un prob­lème, car pour l’instant nous dépen­dons de la Chine pour un traite­ment du lithi­um de qual­ité. Pour résoudre cette dépen­dance, les États-Unis et l’Europe devront unir leurs forces avec des pays comme le Chili, l’Argentine et l’Australie. Le faire avec ce dernier sera plus com­pliqué, car l’Australie et la Chine entre­ti­en­nent actuelle­ment de très bonnes rela­tions commerciales.

Propos recueillis par Isabelle Dumé
1https://​www​.bench​mark​min​er​als​.com/
2https://​www​.spglob​al​.com/​e​n​/​r​e​s​e​a​r​c​h​-​i​n​s​i​g​h​t​s​/​a​r​t​i​c​l​e​s​/​w​h​y​-​l​i​t​h​i​u​m​-​h​a​s​-​t​u​r​n​e​d​-​f​r​o​m​-​g​o​l​d​-​t​o​-​d​u​s​t​-​f​o​r​-​i​n​v​e​stors
3https://www.eurobat.org/news-publications/press-releases/492-avicenne-study-eu-battery-demand-and-supply-2019–2030-in-a-global-context-shows-that-in-the-next-decade-lead-and-lithium-batteries-are-critical-to-clean-energy-transition
4https://ec.europa.eu/info/strategy/priorities-2019–2024/european-green-deal/delivering-european-green-deal_en
5https://​www​.world​bank​.org/​e​n​/​n​e​w​s​/​p​r​e​s​s​-​r​e​l​e​a​s​e​/​2​0​2​0​/​0​5​/​1​1​/​m​i​n​e​r​a​l​-​p​r​o​d​u​c​t​i​o​n​-​t​o​-​s​o​a​r​-​a​s​-​d​e​m​a​n​d​-​f​o​r​-​c​l​e​a​n​-​e​n​e​r​g​y​-​i​n​c​r​eases
6https://​ecfr​.eu/​a​r​t​i​c​l​e​/​t​h​r​e​e​-​k​e​y​-​a​r​e​a​s​-​o​f​-​e​u​r​o​p​e​s​-​c​l​i​m​a​t​e​-​d​i​p​l​o​macy/
7https://​pub​li​ca​tions​.iadb​.org/​e​n​/​f​r​o​m​-​s​t​r​u​c​t​u​r​e​s​-​t​o​-​s​e​r​v​i​c​e​s​-​t​h​e​-​p​a​t​h​-​t​o​-​b​e​t​t​e​r​-​i​n​f​r​a​s​t​r​u​c​t​u​r​e​-​i​n​-​l​a​t​i​n​-​a​m​e​r​i​c​a​-​a​n​d​-​t​h​e​-​c​a​r​i​b​b​e​a​n​-​e​x​e​c​u​t​i​v​e​-​s​u​mmary
8https://​www​.iea​.org/​r​e​p​o​r​t​s​/​t​h​e​-​r​o​l​e​-​o​f​-​c​r​i​t​i​c​a​l​-​m​i​n​e​r​a​l​s​-​i​n​-​c​l​e​a​n​-​e​n​e​r​g​y​-​t​r​a​n​s​i​t​i​o​n​s​/​e​x​e​c​u​t​i​v​e​-​s​u​mmary

Auteurs

Maria Eugenia Sanin

María Eugenia Sanin

maîtresse de conférences en économie à l’Université Paris Saclay et coordinatrice de l'axe Politiques Sectorielles à la Chaire Energie et Prospérité

María Eugenia Sanin mène des projets de recherche internationaux et supervise de nombreux étudiants en doctorat à l’Université Paris Saclay. Elle a été consultante en énergie et environnement pour des organismes multilatéraux ainsi que pour le secteur public et privé en Amérique, Europe et Afrique. Post-doctorante à l'Ecole Polytechnique, María Eugenia Sanin a un Doctorat de l'Université Catholique de Louvain et une License de l'Université uruguayenne UDELAR.

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