Pourquoi les fintech ne bousculent pas les banques traditionnelles
- Le secteur de la banque de détail n’a pas attendu les néobanques pour entamer sa mue digitale.
- C’est après 2008 que la transformation s’accélère, quand l’effondrement des taux d’intérêt diminue la rémunération des crédits. La vente d’autres services prend une importance croissante.
- Plateformisation et valorisation des données sont les deux tendances montantes : les banques s’essaient à de nouveaux métiers.
- Symétriquement les métiers de la banque sont investis par une myriade d’acteurs, parmi lesquels il n’y a pas que des pure players numériques.
- Mais avec la complexité du core banking et la difficulté de rentabiliser des bases clients trop petites, les acteurs historiques sont protégés par de fortes barrières à l’entrée.
Le secteur de la banque de détail semble mieux résister que d’autres aux nouveaux acteurs du numérique. Pourquoi ?
La banque a toujours été une industrie tirée par la technologie et elle n’a pas attendu les néobanques pour se remettre en question. Dans la banque de détail, la transformation a commencé il y a plus de trente ans, avec l’informatisation et la dématérialisation. Les clients ont pu accéder directement aux opérations de base, virements ou consultations de compte courant. Le numérique a aussi facilité l’accès à l’épargne financière et contribué à démocratiser la bourse.
Cette transformation posait des questions : à quoi sert une agence ? Mais dans un premier temps, l’exploration du numérique est allée de pair avec une extension des réseaux d’agences. Ce n’était pas contradictoire : dans un métier qui repose sur la relation humaine, le maillage physique compte, y compris pour le premier contact. Les réseaux d’agences permettaient la conquête d’une base de clients et leur fidélisation. Cette logique n’a pas disparu. Et même si depuis dix ou quinze ans sont apparues des banques « digitales », aucune ne s’est vraiment substituée à une banque de proximité.
Mais l’autonomie nouvelle du client dans les opérations du quotidien a fait évoluer les agences. Au guichetier-payeur, se sont substitués des conseillers, certains spécialisés, dont le rôle était d’accompagner le client au fil de sa vie.
Jusque dans les années 2000 les banques ont pu investir autant dans le physique que le numérique. Mais dans le sillage de la crise financière de 2008 on a assisté à une bascule massive vers le numérique. Pourquoi ?
Cette inflexion des investissements correspond à une évolution très rapide du modèle d’affaires. Avant la crise financière, le gros de la rémunération était assis sur les encours, qui permettent de faire du crédit. La banque faisait sa marge sur l’intermédiation, et ses revenus dépendaient donc principalement du volume des encours et de leur rotation.
Après 2008, avec l’effondrement des taux d’intérêt la rémunération des crédits est devenue très faible. La marge d’intermédiation s’est fortement réduite. Pour reconstituer leur marge les banques ont joué sur deux tableaux : réduire les coûts grâce au digital (sachant que le ratio revenus/coûts était historiquement très faible dans ce secteur), et vendre des produits.
Les banques de détail ont donc commencé à vendre des « packs » de services différenciés, notamment pour une clientèle « mass affluent » qui n’est pas assez riche pour les banques privées, mais qui est prête à payer pour des services premium comme les cartes Gold ou Premier. Les banques cherchent à vendre des avantages, des privilèges : conseillers spécialisés, coupe-file. Elles réfléchissent aussi à du « reward » : information, formation, événements sur la finance ou le développement durable, rencontres entre pairs.
Les nombreuses données dont elles disposent leur sont-elles utiles, ici ?
Oui, la data est cruciale : mais les banques exploitent encore très peu cette richesse, alors qu’elles disposent de bases de données à la fois très larges (des millions de clients) et très précises (des centaines de transactions pour chacun), bien supérieures à celles des assurances, par exemple.
Leur positionnement historique est celui d’un tiers de confiance, qui dispose d’une information confidentielle et la conserve. Mais cela pourrait changer, sous la pression des fintech (start-ups digitales des métiers de la finance) qui n’ont pas ces préventions. Les banques pourraient en particulier exploiter ces données pour mieux servir leurs propres clients, mais aussi vendre des insights marketing (anonymisés) à d’autres industries.
Elles pourraient également contractualiser avec leurs clients pour transmettre ou exploiter certaines de leurs données. Cet aspect est à peine émergent et, contrairement à ce que l’on pourrait croire, les clients intéressés ne sont pas ceux aux revenus les plus faibles mais des personnes appartenant aux CSP+, qui attendent plus d’efficacité et de personnalisation grâce à l’exploitation de la connaissance client et donc de leurs données. Ces développements sont visibles aux États-Unis. En Europe, où la réglementation est plus stricte, les banques testent et expérimentent.
Un autre volet, c’est la plateformisation, qui permet de rentrer dans les écosystèmes des besoins du client, comme les banques l’ont déjà fait en fournissant des services d’assurances, ou de télécommunications. Les banques de détail s’intéressent notamment aux écosystèmes de la mobilité, de la santé, du divertissement. Les incursions dans ces écosystèmes sont permises par une technologie facilitante, l’API. Mais l’interconnexion des systèmes d’information ne règle pas tout. Il leur faut définir le bon positionnement stratégique dans des univers déjà très convoités et s’assurer des sources de revenus suffisantes.
Les questions que se pose une banque, c’est quels sont les écosystèmes où elle peut être un point d’entrée et, dans les autres, quels sont les bons partenariats pour avoir sa part de marché. Elle dispose d’un avantage concurrentiel qui n’est pas négligeable : sur l’écran de votre smartphone, vous avez forcément aujourd’hui l’application de votre banque.
Les fintech et les néobanques ne sont-elles pas mieux armées pour entrer dans ces dynamiques écosystémiques ?
Elles sont plus agiles, sans doute, et aussi bien leurs dirigeants que leurs équipes entrent spontanément dans cette logique. De fait, on observe aujourd’hui la montée en puissance d’une myriade d’acteurs, parmi lesquels, d’ailleurs, il n’y a pas que des pure players numériques : les opérateurs télécoms et les assureurs sont également très présents.
Pour autant, dans les services relevant de la banque de détail on ne voit pas aujourd’hui émerger d’acteurs majeurs du digital et les acteurs historiques du secteur se portent plutôt bien. Il y a plusieurs raisons à cela. Tout d’abord les clients expriment encore le besoin d’avoir une banque qui a pignon sur rue, et ceci d’autant plus que les banques ont poursuivi leur transformation numérique : les retours clients montrent qu’il n’y a pas de différence majeure entre banques et néobanques en termes d’expérience.
Ensuite on assiste moins à un bouleversement qu’à une consolidation : les banques achètent les bonnes fintech, trouvent des partenaires et les intègrent. Cela correspond d’ailleurs à l’état d’esprit des startupeurs et des investisseurs qui les soutiennent : ils cherchent le plus souvent une « sortie », ce qui signifie dans les faits soit une introduction en bourse soit un rachat.
Les néobanques demeurent souvent des banques secondaires, attirant leur clientèle sur des offres ciblées telles que la banque au quotidien, les opérations à l’étranger, le micro-crédit… Celles qui ont perduré sont souvent des filiales des banques traditionnelles. Les néobanques comme N26 ou Revolut n’ont pas pris une grosse part de marché : on est loin des croissances exponentielles observées dans d’autres secteurs bousculés par les pure players du numérique. Notons au passage que les clients des néobanques sont souvent « multibancarisés » : ils ont des comptes dans plusieurs établissements. Or ces clients ne sont pas faciles à rentabiliser. La rentabilité d’une banque ne se rapporte plus au volume de ses encours, mais la taille compte encore énormément. Or dans ce métier très régulé, la gestion et l’industrialisation du « core banking » sont complexes (le « noyau bancaire » désigne l’ensemble des composants logiciels de base qui gèrent les services fournis par une banque à ses clients) si l’on veut couvrir les différentes clientèles et l’ensemble de la palette de leurs besoins. C’est une redoutable barrière à l’entrée pour les nouveaux venus.