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Pourquoi les fintech ne bousculent pas les banques traditionnelles

Valérie Gitenay
Valérie Gitenay
consultante en stratégie et transformation, experte du secteur bancaire et ingénieure Télécom SudParis
En bref
  • Le secteur de la banque de détail n’a pas attendu les néobanques pour entamer sa mue digitale.
  • C’est après 2008 que la transformation s’accélère, quand l’effondrement des taux d’intérêt diminue la rémunération des crédits. La vente d’autres services prend une importance croissante.
  • Plateformisation et valorisation des données sont les deux tendances montantes : les banques s’essaient à de nouveaux métiers.
  • Symétriquement les métiers de la banque sont investis par une myriade d’acteurs, parmi lesquels il n’y a pas que des pure players numériques.
  • Mais avec la complexité du core banking et la difficulté de rentabiliser des bases clients trop petites, les acteurs historiques sont protégés par de fortes barrières à l’entrée.

Le secteur de la banque de détail sem­ble mieux résis­ter que d’autres aux nou­veaux acteurs du numérique. Pourquoi ?

La banque a tou­jours été une indus­trie tirée par la tech­nolo­gie et elle n’a pas atten­du les néoban­ques pour se remet­tre en ques­tion. Dans la banque de détail, la trans­for­ma­tion a com­mencé il y a  plus de trente ans, avec l’informatisation et la dématéri­al­i­sa­tion. Les clients ont pu accéder directe­ment aux opéra­tions de base, vire­ments ou con­sul­ta­tions de compte courant. Le numérique a aus­si facil­ité l’accès à l’épargne finan­cière et con­tribué à démoc­ra­tis­er la bourse.

Cette trans­for­ma­tion posait des ques­tions : à quoi sert une agence ? Mais dans un pre­mier temps, l’exploration du numérique est allée de pair avec une exten­sion des réseaux d’agences. Ce n’était pas con­tra­dic­toire : dans un méti­er qui repose sur la rela­tion humaine, le mail­lage physique compte, y com­pris pour le pre­mier con­tact. Les réseaux d’agences per­me­t­taient la con­quête d’une base de clients et leur fidéli­sa­tion. Cette logique n’a pas dis­paru. Et même si depuis dix ou quinze ans sont apparues des ban­ques « dig­i­tales », aucune ne s’est vrai­ment sub­sti­tuée à une banque de proximité.

Mais l’autonomie nou­velle du client dans les opéra­tions du quo­ti­di­en a fait évoluer les agences. Au guicheti­er-payeur, se sont sub­sti­tués des con­seillers, cer­tains spé­cial­isés, dont le rôle était d’accompagner le client au fil de sa vie.

Jusque dans les années 2000 les ban­ques ont pu inve­stir autant dans le physique que le numérique. Mais dans le sil­lage de la crise finan­cière de 2008 on a assisté à une bas­cule mas­sive vers le numérique. Pourquoi ?

Cette inflex­ion des investisse­ments cor­re­spond à une évo­lu­tion très rapi­de du mod­èle d’affaires. Avant la crise finan­cière, le gros de la rémunéra­tion était assis sur les encours, qui per­me­t­tent de faire du crédit. La banque fai­sait sa marge sur l’intermédiation, et ses revenus dépendaient donc prin­ci­pale­ment du vol­ume des encours et de leur rotation.

Après 2008, avec l’effondrement des taux d’intérêt la rémunéra­tion des crédits est dev­enue très faible. La marge d’intermédiation s’est forte­ment réduite. Pour recon­stituer leur marge les ban­ques ont joué sur deux tableaux : réduire les coûts grâce au dig­i­tal (sachant que le ratio revenus/coûts était his­torique­ment très faible dans ce secteur), et ven­dre des produits.

Les ban­ques de détail ont donc com­mencé à ven­dre des « packs » de ser­vices dif­féren­ciés, notam­ment pour une clien­tèle « mass afflu­ent » qui n’est pas assez riche pour les ban­ques privées, mais qui est prête à pay­er pour des ser­vices pre­mi­um comme les cartes Gold ou Pre­mier. Les ban­ques cherchent à ven­dre des avan­tages, des priv­ilèges : con­seillers spé­cial­isés, coupe-file. Elles réfléchissent aus­si à du « reward » : infor­ma­tion, for­ma­tion, événe­ments sur la finance ou le développe­ment durable, ren­con­tres entre pairs.

Les nom­breuses don­nées dont elles dis­posent leur sont-elles utiles, ici ?

Oui, la data est cru­ciale : mais les ban­ques exploitent encore très peu cette richesse, alors qu’elles dis­posent de bases de don­nées à la fois très larges (des mil­lions de clients) et très pré­cis­es (des cen­taines de trans­ac­tions pour cha­cun), bien supérieures à celles des assur­ances, par exemple.

Leur posi­tion­nement his­torique est celui d’un tiers de con­fi­ance, qui dis­pose d’une infor­ma­tion con­fi­den­tielle et la con­serve. Mais cela pour­rait chang­er, sous la pres­sion des fin­tech (start-ups dig­i­tales des métiers de la finance) qui n’ont pas ces préven­tions. Les ban­ques pour­raient en par­ti­c­uli­er exploiter ces don­nées pour mieux servir leurs pro­pres clients, mais aus­si ven­dre des insights mar­ket­ing (anonymisés) à d’autres industries.

Elles pour­raient égale­ment con­trac­tu­alis­er avec leurs clients pour trans­met­tre ou exploiter cer­taines de leurs don­nées. Cet aspect est à peine émer­gent et, con­traire­ment à ce que l’on pour­rait croire, les clients intéressés ne sont pas ceux aux revenus les plus faibles mais des per­son­nes appar­tenant aux CSP+, qui atten­dent plus d’efficacité et de per­son­nal­i­sa­tion grâce à l’exploitation de la con­nais­sance client et donc de leurs don­nées. Ces développe­ments sont vis­i­bles aux États-Unis. En Europe, où la régle­men­ta­tion est plus stricte, les ban­ques tes­tent et expérimentent.

Un autre volet, c’est la plate­formi­sa­tion, qui per­met de ren­tr­er dans les écosys­tèmes des besoins du client, comme les ban­ques l’ont déjà fait en four­nissant des ser­vices d’assurances, ou de télé­com­mu­ni­ca­tions. Les ban­ques de détail s’intéressent notam­ment aux écosys­tèmes de la mobil­ité, de la san­té, du diver­tisse­ment. Les incur­sions dans ces écosys­tèmes sont per­mis­es par une tech­nolo­gie facil­i­tante, l’API. Mais l’interconnexion des sys­tèmes d’information ne règle pas tout. Il leur faut définir le bon posi­tion­nement stratégique dans des univers déjà très con­voités et s’assurer des sources de revenus suffisantes.

Les ques­tions que se pose une banque, c’est quels sont les écosys­tèmes où elle peut être un point d’entrée et, dans les autres, quels sont les bons parte­nar­i­ats pour avoir sa part de marché. Elle dis­pose d’un avan­tage con­cur­ren­tiel qui n’est pas nég­lige­able : sur l’écran de votre smart­phone, vous avez for­cé­ment aujourd’hui l’application de votre banque.

Les fin­tech et les néoban­ques ne sont-elles pas mieux armées pour entr­er dans ces dynamiques écosystémiques ?

Elles sont plus agiles, sans doute, et aus­si bien leurs dirigeants que leurs équipes entrent spon­tané­ment dans cette logique. De fait, on observe aujourd’hui la mon­tée en puis­sance d’une myr­i­ade d’acteurs, par­mi lesquels, d’ailleurs, il n’y a pas que des pure play­ers numériques : les opéra­teurs télé­coms et les assureurs sont égale­ment très présents.

Pour autant, dans les ser­vices rel­e­vant de la banque de détail on ne voit pas aujourd’hui émerg­er d’acteurs majeurs du dig­i­tal et les acteurs his­toriques du secteur se por­tent plutôt bien. Il y a plusieurs raisons à cela. Tout d’abord  les clients expri­ment encore le besoin d’avoir une banque qui a pignon sur rue, et ceci d’autant plus que les ban­ques ont pour­suivi leur trans­for­ma­tion numérique : les retours clients mon­trent qu’il n’y a pas de dif­férence majeure entre ban­ques et néoban­ques en ter­mes d’expérience.

Ensuite on assiste moins à un boule­verse­ment qu’à une con­sol­i­da­tion : les ban­ques achè­tent les bonnes fin­tech, trou­vent des parte­naires et les intè­grent. Cela cor­re­spond d’ailleurs à l’état d’esprit des star­tu­peurs et des investis­seurs qui les sou­ti­en­nent : ils cherchent le plus sou­vent une « sor­tie », ce qui sig­ni­fie dans les faits soit une intro­duc­tion en bourse soit un rachat.

Les néoban­ques demeurent sou­vent des ban­ques sec­ondaires, atti­rant leur clien­tèle sur des offres ciblées telles que la banque au quo­ti­di­en, les opéra­tions à l’étranger, le micro-crédit… Celles qui ont per­duré sont sou­vent des fil­iales des ban­ques tra­di­tion­nelles. Les néoban­ques comme N26 ou Rev­o­lut n’ont pas pris une grosse part de marché : on est loin des crois­sances expo­nen­tielles observées dans d’autres secteurs bous­culés par les pure play­ers du numérique. Notons au pas­sage que les clients des néoban­ques sont sou­vent « multi­ban­car­isés » : ils ont des comptes dans plusieurs étab­lisse­ments. Or ces clients ne sont pas faciles à rentabilis­er. La rentabil­ité d’une banque ne se rap­porte plus au vol­ume de ses encours, mais la taille compte encore énor­mé­ment. Or dans ce méti­er très régulé, la ges­tion et l’industrialisation du « core bank­ing » sont com­plex­es (le « noy­au ban­caire » désigne l’ensem­ble des com­posants logi­ciels de base qui gèrent les ser­vices four­nis par une banque à ses clients) si l’on veut cou­vrir les dif­férentes clien­tèles et l’ensemble de la palette de leurs besoins. C’est une red­outable bar­rière à l’entrée pour les nou­veaux venus.

Propos recueillis par Richard Robert

Auteurs

Valérie Gitenay

Valérie Gitenay

consultante en stratégie et transformation, experte du secteur bancaire et ingénieure Télécom SudParis

Valérie Gitenay, après des études d'ingénieur télécom, a débuté sa carrière dans la banque dans l'univers des télécoms puis des paiements et du e-commerce. Elle a ensuite rejoins le conseil au sein du Cabinet Ernst & Young puis Capgemini Invent. Elle a piloté au cours de sa carrière de nombreux programmes de transformation des métiers bancaires tels que l'évolution des réseaux, la transformation digitale ou encore des opérations de fusion et rationalisation. Elle est également spécialisée sur l'évolution du modèle de banque de détail à l'ère de la data et de l'open-banking

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