COP28: l’enjeu climatique pour les petits États insulaires
- Lors de la COP28, les petits États insulaires en développement (PEID), qui subissent grandement les conséquences du changement climatique, ont été au cœur des discussions.
- Ces territoires sont particulièrement exposés à la hausse du niveau de la mer, à la multiplicité des sécheresses et aux phénomènes météorologiques extrêmes qui affectent la population et l’économie.
- Selon le GIEC, dans le scénario d'une augmentation de la température de 2,5 °C, le niveau de la mer devrait augmenter d'environ 58 cm d'ici 2100, impactant près de 430 millions de personnes.
- A l’issue de la COP28 un fonds monétaire se concrétise, il engage de nombreux pays à investir dans la transition écologique et dans l'adaptation au climat pour atténuer ses effets dans les PIED.
- La conférence a également consacré une partie des négociations à l'adoption d'un « cadre de transparence renforcé » pour les stratégies climatiques des pays développés.
La 28ème conférence des parties (COP28) qui s’est tenue récemment à Dubaï a mis l’accent sur les petits États insulaires en développement. Il s’agit d’un grand nombre de petites entités souveraines, principalement situées dans les Caraïbes et le Pacifique, qui subissent pleinement les changements dramatiques provoqués par le dérèglement climatique. L’attention portée à ces régions s’explique par la prise de conscience de la fréquence croissante des événements climatiques extraordinaires qui ont frappé de nombreux petits États insulaires en développement, au cours de la dernière décennie.
Rien qu’en 2017, 22 des 29 îles des Caraïbes ont été touchées par le cyclone tropical Maria, qui a causé des dommages considérables à leurs sociétés et à leurs économies. En début d’année, deux cyclones de catégorie 4 ont frappé le Vanuatu en moins de 24 heures, causant des dégâts irrémédiables1. La situation est d’autant plus grave qu’il s’agit d’États particulièrement fragiles, situés sur des territoires à moins de six mètres au-dessus du niveau de la mer et dont plus de 50 % des infrastructures sont concentrées à proximité immédiate de la côte (moins de 500 mètres)2.
Au cours des deux semaines consacrées à l’événement, la COP28 a abordé les questions de l’adaptation au climat et de l’atténuation de ses effets dans ces zones particulièrement difficiles. La conférence a également consacré une partie des négociations à l’adoption d’un « cadre de transparence renforcé » pour leurs stratégies climatiques.
Adaptation au climat
La menace de l’élévation du niveau de la mer, associée à la multiplicité des sécheresses et des phénomènes météorologiques extrêmes, tels que les cyclones et les typhons, entraîne non seulement une réduction du territoire disponible pour la population, mais aussi du territoire propice à l’agriculture. En fin de compte, cela génère un problème de mobilité et de déplacement climatique. L’hostilité des territoires force les gens à quitter leur foyer. Cela crée aussi un problème de dépendance économique vis-à-vis des importations depuis les pays développés. Les prévisions ne sont pas particulièrement réjouissantes. En effet, selon le rapport 2022 du GIEC, dans le scénario d’une augmentation de la température de 2,5 °C, le niveau de la mer devrait augmenter d’environ 58 cm d’ici 2100, impactant environ 430 millions de personnes.
Les pays les plus pauvres supportent la majeure partie des pertes et dommages causés par le changement climatique – estimés à plus de 150 milliards de dollars par an – et ils le font souvent par le biais d’une dette insoutenable3. En réponse aux demandes de renforcement du cadre de responsabilité pour les stratégies industrielles les plus émettrices, le « Loss and Damage Fund » - nom qui a été vivement contesté par les États-Unis lors de la COP284 – est en train de prendre forme, après avoir été approuvé en 2022. De nombreux pays ont accepté d’y contribuer, notamment la France, l’Italie et les Émirats arabes unis, qui ont promis 100 millions de dollars chacun. Ceci porte le montant total promis lors de la conférence à 770 millions de dollars, dont environ 115 millions de dollars seront utilisés pour mettre en place le fond à la Banque mondiale. Le reste sera principalement investi dans l’adaptation au climat et dans l’atténuation de ses effets dans les PEID (Petits États Insulaires En Développement)5.
Cet argent ne pourra toutefois couvrir que 0,2 % des besoins des petits États insulaires en développement. Ces besoins vont de l’investissement dans les technologies d’adaptation (investissements qui doivent être adoptés pour empêcher la disparition physique de ces territoires), à l’investissement nécessaire pour la transition énergétique. Une telle transition vise à leur permettre de contribuer à l’élimination progressive des combustibles fossiles à l’échelle mondiale, ainsi qu’à les détacher des importations internationales d’énergie.
Atténuation des changements climatiques
La COP28 a également abordé le problème de l’atténuation du changement climatique dans les PEID. « Les énergies renouvelables sont un cadeau qui ne cesse d’être offert », a déclaré au début de la conférence, Antonio Gutierres, secrétaire général des Nations unies, pour souligner l’importance d’œuvrer une fois de plus pour un avenir plus vert et plus durable, loin des combustibles fossiles. Le 5 décembre était la journée consacrée au thème de la transition juste, c’est-à-dire à la prise en compte du besoin de créer des emplois décents et de qualité dans le cadre de la décarbonisation progressive de l’économie, comme indiqué dans le préambule de l’Accord de Paris (2015)6. Parmi les nombreux événements, une conférence sur la transition énergétique durable des petits États insulaires en développement a été organisée, permettant à de nombreux dirigeants mondiaux des PEID de partager l’expérience de leurs pays.
Toutefois, les réussites de la Barbade et des Seychelles ne sont pas représentatives de la situation générale des petits États insulaires en développement
La docteure et sénatrice Shantal Munro Knight, ministre au cabinet du Premier ministre de la Barbade, est intervenue pour souligner le rôle précurseur de son pays dans la transition juste des petits États insulaires en développement. La Barbade s’efforce, en effet, d’atteindre un objectif de « zéro net » d’ici 2035, ce qui en fait le premier petit État insulaire en développement à pouvoir atteindre cet objectif. En parallèle dans l’État des Seychelles, l’énergie éolienne et solaire représente une grande opportunité pour une transition énergétique durable. Comme l’a annoncé Flavien Joubert, ministre de l’Agriculture, du changement climatique et de l’environnement des Seychelles, le pays a produit environ 22 MW d’énergie éolienne au cours de la dernière décennie. Ce seuil lui a permis d’atteindre son objectif de 5 % d’énergie renouvelable d’ici 2020. Le ministre a également déclaré que le pays visait désormais un portefeuille d’énergies renouvelables de 100 % d’ici 2050, un objectif pertinent, établi par le GIEC pour que les températures moyennes mondiales soient contenues dans une hausse de 1,5 °C.
Toutefois, les réussites de la Barbade et des Seychelles ne sont pas représentatives de la situation générale des PEID. La transition vers les énergies renouvelables nécessite des investissements très importants, voire prohibitifs. Vince Henderson, ministre des Affaires étrangères, des affaires internationales, du commerce et de l’énergie de la Dominique, a indiqué que son pays s’apprêtait à signer un accord avec Ormat Technologies, pour un projet impliquant le développement d’une centrale géothermique d’une capacité de production initiale de 10 MW, dans le but ultime de passer à l’hydrogène vert7. Il a indiqué que la conclusion de l’accord avait été « une lutte énorme » et a accusé les pays développés d’avoir fourni des mécanismes financiers insuffisants pour soutenir les PEID dans les accords d’achat d’électricité. « Nous devons nous demander pourquoi nous, les PEID, qui avons fait preuve de plus d’engagement que les autres, n’avons pas été en mesure de transformer cet engagement en action réelle. »
Les investissements doivent non seulement affluer, mais aussi répondre aux exigences spécifiques d’équité et d’accessibilité des différents États. « Il est nécessaire de s’assurer que les technologies émergentes et les instruments financiers sont adaptés aux besoins spécifiques des îles », a conclu la sénatrice Shantal Munro Knight en évoquant les difficultés rencontrées par les PEID pour rendre opérationnels les capitaux qui leur parviennent.
Lors d’une conférence organisée le 4 décembre au pavillon américain sur le thème des stratégies de financement climatique pour les PEID (U.S. Department of State, 2023), Mia Mottley, Première Ministre de la Barbade, a expliqué que la sous-provision financière (à laquelle les PEID sont confrontés) va de pair avec l’incertitude climatique croissante à laquelle ils assistent. Cela augmente les coefficients de risque de tout type d’investissement. Elle a insisté sur le fait que dans le cas probable d’une aggravation des conditions climatiques, le point de basculement pour les PEID serait de devenir « complètement inassurables et ininvestissables ». Cela engendrerait une boucle d’insuffisance financière qui mettrait en péril l’autonomie économique et énergétique de ces États.
Dans le but de soutenir la transition juste des PEID et de réduire les risques liés au financement climatique, il est important de souligner l’engagement de l’IRENA (Agence Internationale pour les Énergies Renouvelables). Cette institution a lancé l’Initiative phare pour les PEID en 2014, un cadre d’action complet visant à générer un soutien financier de la part de plus de 80 partenaires. La LHI (IRENA SIDS Lighthouse Initiative) a également établi l’ETAF (Energy Transition Accelerator Finance Platform), une plateforme de financement qui promet 1 milliard de dollars – ce qui reste toutefois en deçà des 200 milliards de dollars estimés nécessaires pour couvrir les besoins climatiques de ces pays en développement d’ici 20258. Aux yeux de Francesco La Camera, directeur général de l’agence et qui a eu l’honneur d’ouvrir le débat du 5 décembre, il est essentiel que davantage d’investisseurs et de petits États insulaires rejoignent le partenariat. Avec eux, il faudrait créer un réseau de confiance mutuelle et de responsabilité qui réduit les risques pour les investisseurs et fasse de ces pays une cible d’investissement plus sûre et plus fiable.
Cadre de transparence renforcé
Les PEID doivent être considérés comme des exemples en matière d’économie énergétique plus verte. Au titre de l’article 13, l’Accord de Paris a adopté un cadre de transparence renforcé pour le suivi et la déclaration des émissions nationales de gaz à effet de serre et a examiné de plus près les NDC (Contributions Déterminées au niveau National)9. Les outils de déclaration ont été élaborés et testés, mais ne sont pas encore opérationnels. Il est prévu qu’ils deviennent exploitable d’ici juin 2024. De nombreux pays en développement ont déjà commencé à revoir leur cadre de transparence avec l’aide de l’Initiative pour la transparence de l’action climatique (ICAT/Initiative for Climate Action Transparancy) et de l’Institut de gestion des gaz à effet de serre (GHGMI/Greenhouse Gas Management Institute).
Dans le cadre de sa mission, l’ICAT a aidé de nombreux PEID (tels que les Maldives, Fidji ou Trinité-et-Tobago) à mettre en place des cadres de mesure sectoriels (ou économiques), des outils permettant d’élaborer des prévisions et des projections d’émissions, afin de suivre le financement de la lutte contre le changement climatique. Lors d’une conférence organisée le 1er décembre par la CCNUCC (Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques) et l’ICAT, certaines des expériences des PEID ont été partagées (ICAT, 2023). Aaliyah Tuitt, responsable des données techniques du ministère de l’environnement d’Antigua-et-Barbuda, a présenté la stratégie de transparence adoptée par son pays pour soutenir les initiatives climatiques dans le domaine des transports. Cette approche, qui s’appuie fortement sur la collecte de données auprès de ses usagers, s’avérera essentielle pour faciliter le passage en douceur aux véhicules électriques, dont les ventes devraient atteindre 100 % des ventes du marché d’ici 2030.
De même, Deepitika Chand, de la division du changement climatique des Fidji au sein du bureau du Premier ministre, a illustré la manière dont le pays a utilisé ces cadres pour évaluer l’influence de l’agriculture sur les émissions de GES. Ce faisant, l’administration nationale a acquis une connaissance plus approfondie de ses schémas d’émission et des exigences spécifiques du secteur agricole, ouvrant la voie à des décisions politiques ciblées, qui pourront garantir la sécurité alimentaire, améliorer la qualité de la production et ainsi favoriser des systèmes alimentaires résilients inclusifs.
La COP28 a révélé un retard opérationnel de la part de la plupart des pays développés, qui n’ont pas réussi à se doter d’un portefeuille d’énergies suffisamment vertes.
Molly White, directrice principale de l’IMGE, a félicité les participants pour les contributions importantes faites par leur pays. Elle a notamment relevé leur ouverture à cette stratégie de suivi innovante. La directrice a souligné l’importance du processus d’apprentissage découlant de ce mode de fonctionnement plus transparent. Elle a évoqué la difficulté d’intégrer la planification sectorielle dans la définition d’objectifs climatiques à l’échelle de l’économie, afin de pouvoir examiner de plus près les performances macroéconomiques d’un pays par rapport à sa stratégie en matière de climat. Après la conférence, Molly White que le plus grand défi futur, est de parvenir à ce que les pays développés tirent des leçons de ceux en développement. Toutefois, en raison des problèmes de traçabilité et de l’ensemble plus large d’activités économiques dans lesquelles les pays développés sont impliqués, il sera très compliqué d’étendre ce cadre d’analyse économique intégré.
En résumé
Au terme des deux semaines consacrées à l’événement, les résultats du premier bilan mondial de la COP28 ont révélé un retard opérationnel de la plupart des pays développés. Ceux-ci n’ont pas réussi à respecter leurs CDN, ni à se doter d’un portefeuille d’énergies vertes suffisantes pour rester en phase avec l’objectif d’une hausse de la température moyenne de 1,5 °C. Les promesses faites au « Loss and Damage Fund » par de nombreux pays fortement émetteurs reflètent la prise de conscience publique du déséquilibre des émissions entre les États. Et ce, malgré des investissements plus importants pour l’atténuation du changement climatique et l’adaptation des PEID. Les pays développés doivent accélérer l’élimination progressive des combustibles fossiles, afin d’empêcher la disparition des petits États insulaires.
La mise en place du cadre de transparence renforcée contribuera à garantir une plus grande clarté sur les stratégies de décarbonisation de nombreux pays parmi les plus émetteurs, qui sont aujourd’hui plus que jamais tenus de prendre des mesures efficaces. « Bien que nous ne soyons pas responsables, nous sommes confrontés à la destruction de notre pays », c’est en ces termes que Konris Maynard, ministre des Infrastructures publiques de Saint-Kitts-et-Nevis, un petit État insulaire des Caraïbes où l’électricité ne peut être fournie 24 heures sur 24, a clôturé la conférence du 5 décembre. « Nous recherchons un partenariat, pas de la sympathie », a‑t-il ajouté.
À l’approche de la COP29 à Bakou, une attention particulière sera portée à l’opérationnalisation des fonds, et à l’engagement pris par les principaux États à soutenir les PEID dans leur lutte pour la survie. Les sujets de discussion refléteront également les résultats de la 4ème Conférence internationale sur les petits États insulaires en développement, qui se tiendra à Antigua-et-Barbuda en mai 2024. Elle élaborera un programme d’action décennal pour les PEID, avec des objectifs concrets nécessaires pour les aider à atteindre leurs objectifs de développement durable10.