Mieux taxer l’héritage pour moins taxer le travail ?
En mai dernier, la question de la taxation des transmissions a été remise sur le devant de la scène économique. En mai, l’OCDE a publié un rapport en faveur d’un recours accru à cette taxation afin « de renforcer l’égalité des chances et de réduire les inégalités de patrimoine »1. Pour assurer une meilleure justice sociale, elle propose que les transmissions ne soient plus taxées au niveau de la personne qui transmet mais de celle qui reçoit. Avant d’aborder les pistes de réformes possibles, revenons sur cet impôt pour comprendre sa complexité et le rééquilibrage nécessaire.
Taxer l’héritage est très impopulaire
Les statistiques montrent que 87% des français considèrent qu’il est nécessaire de diminuer la taxation des héritages, soit près de 10% de plus qu’il y a quelques années auparavant2. Des sondages et des études ont montré que cette réticence se retrouve dans de nombreux pays (Royaume-Uni, Italie, États-Unis)345. Ce qui est étonnant, c’est non seulement que cette réticence accompagne la hausse de la part de richesse héritée dans nos sociétés, mais également que cet impôt est impopulaire même parmi ceux qui ne le payent pas. Il est certes légitime de vouloir transmettre tout ou partie de son patrimoine et de craindre de ne pas pouvoir le faire. Mais, in fine, peu de personnes transmettent des montants importants et les inégalités de transmissions sont fortes : les 50% de transmissions les plus faibles représentent moins de 5% du total transmis tandis que les 10% de transmissions les plus importantes en représentent la moitié, ce qui est proche des inégalités de patrimoine. De plus, le système actuel fait que la très grande majorité des transmissions ne sont pas taxées, ce qui interroge sur ce rejet de la part de personnes qui n’auront jamais à s’acquitter de cet impôt. Plusieurs raisons peuvent expliquer cette étonnante impopularité.
Tout d’abord, il s’agit d’un impôt très complexe. Il existe différents types d’abattements qui varient en fonction :
- du lien de parenté (les enfants sont moins taxés que les petits-enfants qui sont moins taxés que les frères et sœurs, etc.) ;
- d’un délai de non-rappel pour les donations (celles effectuées plus de 15 ans avant le décès ou avant une autre donation ne sont plus prises en compte pour le calcul de l’impôt) ainsi que des régimes particuliers pour les biens professionnels et les assurances-vie (où, complexité supplémentaire, la taxation dépend aussi de l’âge du détenteur au moment où les fonds sont versés) voire pour certains dons d’argent.
Comme tout système complexe, il est mal compris. Sondage après sondage, les contribuables font état d’une méconnaissance profonde de cet impôt. Ils sous-estiment les abattements et surestiment l’impôt payé.
Il profite à une minorité de personnes bien informées
Rappelons, par exemple, qu’en France, chaque parent peut transmettre 100 000 € nets d’impôt à chacun de ses enfants tous les 15 ans. Pour un couple avec deux enfants cela représente donc plus de 400 000 €, soit plus que le patrimoine brut de 8 français sur 10 d’après l’Insee. Cette méconnaissance n’est d’ailleurs pas le propre des français et plusieurs travaux récents ont souligné son rôle dans le rejet de l’imposition des transmissions et ont montré que l’apport d’informations augmente nettement le soutien à ce type de taxation. Ainsi, en Suède, les personnes à qui l’on expose la part de richesse héritée au sein de la société se montrent plus enclines à soutenir l’impôt sur les successions6. C’est aussi le cas lorsque l’on rappelle les conditions concrètes pour être taxable et la part des personnes réellement concernées par cet impôt, comme cela a été démontré aux États-Unis7. Cet apport d’informations constitue donc un élément important et nécessaire à tout débat sur la question.
Il convient aussi de revenir sur une particularité qui peut facilement accroitre le sentiment que cet impôt est injuste : environ la moitié du montant collecté est prélevé sur les transmissions dites « en ligne indirecte » c’est-à-dire les transmissions qui ne sont pas entre parents et enfants, alors que ces transferts ne représentent qu’environ 10% des montants transmis. Cela vient du fait qu’ils sont largement plus taxés que les autres. Par exemple, l’abattement pour les nièces et neveux est de 7 967 € contre 100 000 € pour les enfants. Les taux de taxation sont également bien plus élevés et commencent à 35% pour les frères et sœurs, 55% pour les neveux et nièces contre 5% pour les enfants. Cela donne le sentiment que les personnes sans enfants sont moins légitimes à vouloir transmettre leur patrimoine que les autres. Concrètement, si une personne transmet 100 000 € à sa fille, il n’y aura pas d’impôt à payer, alors qu’il sera de plus de 50 000 € si le même montant est transmis à une nièce. Dans ces conditions, le taux de taxation et le montant d’impôt acquitté dépendent davantage du lien de parenté que du montant transmis.
La proposition de l’OCDE de taxer les transmissions non plus au niveau de la personne qui transmet mais de celle qui reçoit est une idée intéressante, déjà mise en avant par d’autres institutions, comme France Stratégie, ou par des académiques tels Anthony Atkinson8 ou le prix Nobel James Meade9. En juin dernier, la commission dirigée par les économistes Olivier Blanchard et Jean Tirole a également préconisé un recours à cet impôt et a repris cette idée10.
Que disent les travaux économiques ?
Les études empiriques sont peu nombreuses mais laissent penser que la taxation des successions génère moins de distorsions que d’autres types d’impôts11121314 et que la crainte d’un exil fiscal des plus âgés ne semble pas étayée151617. Les bénéfices retirés semblent donc l’emporter sur les pertes potentielles. Cette taxation paraît même avoir des effets positifs sur l’offre de travail des héritiers et évite que des entreprises ne soient trop souvent transmises à des héritiers peu compétents1819. Ces considérations permettent d’ailleurs de modifier la manière dont on pourrait poser le débat. Plutôt que de s’interroger sur l’opportunité d’augmenter un impôt dans un pays où les prélèvements obligatoires représentent une partie importante des revenus de la très grande majorité de la population, on pourrait se demander comment penser un système plus efficace et progressif. Par exemple, ne serait-il pas opportun de diminuer l’imposition des revenus du travail grâce à une refonte et une meilleure progressivité de l’impôt sur les transmissions ? L’assiette fiscale n’est clairement pas la même et il faudrait un meilleur accès aux données fiscales des donations et successions pour chiffrer plus en détail cette question. Mais mettre en avant cet arbitrage permettrait de débattre plus clairement d’un choix entre, d’un côté, la taxation du travail, activité qui concerne la très vaste majorité des citoyens, et, de l’autre, celle des hauts patrimoines transmis, qui concernent une population nettement moins nombreuse et globalement plus âgée et plus aisée.