La méthanisation, aussi appelée digestion anaérobie, est un processus biologique et naturel par lequel la matière est décomposée par les micro-organismes. Ce faisant, elle libère de l’énergie à partir de la matière organique. La méthanisation industrielle consiste à utiliser ce procédé comme source d’énergie renouvelable, notamment dans les milieux agricoles. Bien que la méthanisation soit de plus en plus commune, plusieurs solutions encore inexploitées restent à explorer pour améliorer ses performances environnementales1.
Purifier le CO2 biogénique pour réduire les émissions de méthane
Le biogaz produit par méthanisation contient généralement entre 50 et 70 % de méthane (CH4) et à peu près 30 à 50 % de CO2. Au cours du processus de production du biométhane, le CO2 est séparé du gaz pour obtenir un flux à forte concentration de méthane. Pendant la purification du gaz, des effluents gazeux sont émis dans l’atmosphère : ils contiennent principalement 98 % de CO2 et 1 à 2 % de méthane résiduel2. Selon l’industrie, ce CO2 – aussi appelé CO2 biogénique – ne contribue que très peu aux gaz à effet de serre.
Néanmoins, le méthane résiduel rejeté dans l’atmosphère participe bien au réchauffement climatique. De ce fait, pour réduire l’impact environnemental des usines en France, une nouvelle réglementation a été instaurée : elle impose aux usines de méthanisation de limiter leurs émissions de méthane des gaz à effet de serre entre 0,5 % et 1 % d’ici 20253.
Pour respecter cette nouvelle obligation, des technologies matures (comme la cryo-distillation, l’absorption par solvant ou l’adsorption par variante de pression) sont disponibles et donnent la possibilité de séparer le CO2 biogénique du méthane résiduel. Purifier le CO2 biogénique permettrait aux usines d’atteindre leurs objectifs et d’améliorer leurs performances en réinjectant le CH4 résiduel dans le réseau. Un nouveau cercle vertueux se met alors en place : le CO2 biogénique purifié peut en effet être utilisé pour produire différentes sortes de valeurs.
L’économie circulaire : nouvelle synergie dans le marché français ?
Utiliser le CO2 de façon spécifique peut contribuer à l’économie circulaire4. Il peut être injecté dans les serres ou appliqué directement sur les cultures, mais aussi être utilisé de multiples manières dans le champ industriel, comme pour la production de plastiques et de produits chimiques ou la confection de matériaux comme le béton. Le CO2 peut encore avoir d’autres utilisations : la carbonation pour l’industrie alimentaire ; l’imagerie pour l’industrie médicale ou un substitut de glace carbonique pour lutter contre les incendies. Les biocarburants et les microalgues sont d’autres débouchés potentiels qui font également l’objet d’études.
Capter le CO2 biogénique qui serait rejeté dans l’atmosphère pourrait créer de nouvelles synergies entre les usines de méthanisation et les utilisateurs de CO2 et ainsi fournir une alternative durable au CO2 d’origine fossile que l’on trouve dans certains produits. Il existe des tensions saisonnières sur le marché du CO2, ce qui conduit à une volatilité des prix et des pénuries qui peuvent grandement affecter les clients. C’est que le prix du CO2 est très variable, et va approximativement de 50 € à 200 € la tonne5. En ce sens, instaurer une production locale de CO2 biogénique par les usines françaises de biométhane permettrait de répondre à ces défis actuels.
800 kt/an de CO2 sont consommées en France, dont 70 % par l’industrie agroalimentaire.
La France est le pays européen où le secteur du biométhane se développe le plus vite6 : le nombre d’usines françaises productrices de méthane était évalué à un peu plus de 500 en 20227. Et on sent un intérêt grandissant à trouver des solutions qui amélioreraient la durabilité de ces usines. La purification de CO2 biogénique permettrait non seulement d’aider à répondre aux directives environnementales d’ici 2025 mais encore de se substituer au CO2d’origine fossile utilisé en France. 800 kt/an de CO2 sont consommées en France, dont 70 % par l’industrie agroalimentaire8 : le potentiel de valorisation du CO2 biogénique est estimé autour des 700 à 800 kt de CO2 par an. Mais actuellement, en France, moins d’une douzaine d’usines de biométhane ont mis en place cette activité circulaire910.
De la difficulté de créer un business model d’économie circulaire
Si les bénéfices potentiels de la valorisation du CO2 dans les usines de biométhane sont importants et favorisent le développement d’une économie circulaire, il n’en reste pas moins que la France a encore à surmonter certains défis techniques et économiques. En fonction de l’utilisation et de la technologie de récupération de CO2 choisies, le processus aura un impact sur l’efficacité énergétique globale de la chaîne du biométhane et sur le coût de captage du CO2. De plus, le secteur le plus gourmand en CO2 en France reste l’agroalimentaire : des certifications de qualité très spécifiques, comme la norme EIGA, sont nécessaires pour que le CO2 biogénique soit compatible avec cette industrie. En outre, en France, les usines de biométhane ont une capacité de production d’1,8–2 kt CO2/an, alors que les sources classiques de CO2 peuvent fournir jusqu’à 200 kt CO2/an. C’est pourquoi la mutualisation est nécessaire dans le transport du CO2 biogénique de façon à améliorer les économies d’échelle11.
Au cours des dernières années, la mise en place d’un cadre régulatoire favorable a soutenu l’expansion du secteur français de biométhane. À ce titre, la régulation pour réduire le CH4 dans les gaz émis permettra d’aider à améliorer son impact environnemental. De plus, ce cadre pourrait créer un marché potentiel du CO2 biogénique qui se substituerait au marché du CO2 d’origine fossile.
Néanmoins, si le procédé fait sens d’un point de vue environnemental, le business model est encore à construire : des efforts sont requis pour cocréer une proposition viable et de qualité. Il est certain que la demande locale doit encore être stimulée, et des efforts de la part des acteurs industriels peuvent permettre de proposer le CO2biogénique à un prix compétitif tout en améliorant la logistique et le coût des technologies de captage. D’autres leviers sont également identifiables, comme la mise en place d’une incitation régulatoire pour les producteurs et les consommateurs de CO2 biogénique. Cependant, cette dernière peut être à double tranchant dans la mesure où elle peut aussi empêcher de réduire le CO2 d’origine fossile en sous-entendant qu’il y a un besoin du côté de la demande. Enfin, les acteurs industriels étudient une nouvelle valorisation financière, comme la vente de crédits carbone associée à la séquestration du CO2 biogénique sur le long terme, par le biais de produits spécifiques12.