Accueil / Chroniques / L’inflation aux États-Unis et en zone euro sont de natures très différentes
π Économie

L’inflation aux États-Unis et en zone euro sont de natures très différentes

Patrick_Artus
Patrick Artus
chef économiste chez Natixis
En bref
  • Si les mouvements de l’inflation sont similaires aux États-Unis et dans la zone euro, les causes en sont très différentes.
  • Aux États-Unis, l’inflation se mesure en prenant en compte les loyers effectifs et ceux imputés aux propriétaires de logements.
  • Le poids total des loyers dans l’indice des prix est donc de 38 % aux États-Unis contre 6 % en zone euro.
  • Une désinflation forte a commencé aux États-Unis : elle reflétera le recul des prix de l’immobilier dans la deuxième partie de 2023.
  • En zone euro, la hausse de l’inflation vient de l’augmentation rapide des salaires en 2023 et de la hausse des marges bénéficiaires des entreprises.

L’al­lure de l’in­fla­tion est très sem­blable aux États-Unis et dans la zone euro. Elle com­mence à aug­menter au début de 2021, atteint un pic (8,5 % aux États-Unis et 10,6 % dans la zone euro) entre mars et octo­bre 2022, et décroît régulière­ment et assez lente­ment depuis cette date. 

Néan­moins, on remar­que une dif­férence nette entre les États-Unis et la zone euro con­cer­nant les caus­es de l’in­fla­tion, la respon­s­abil­ité de ses dif­férentes com­posantes et l’ex­pli­ca­tion de l’in­fla­tion totale. Pour cela, il faut dis­tinguer trois com­posantes de l’in­fla­tion : les prix de l’én­ergie et de l’al­i­men­ta­tion ; les loy­ers effec­tifs et les loy­ers imputés aux pro­prié­taires de loge­ments ; l’in­fla­tion hors énergie, ali­men­ta­tion et loyers.

La situation aux États-Unis

La hausse des prix de l’én­ergie et de l’al­i­men­ta­tion ralen­tit forte­ment aux États-Unis : de 23 % sur un an en juin 2022 à 9 % sur un an en févri­er 2023. En se pen­chant sur les sta­tis­tiques d’inflation aux États-Unis, il est impor­tant de not­er le rôle de la hausse des loy­ers effec­tifs et imputés aux pro­prié­taires de loge­ments. C’est une par­tic­u­lar­ité de la mesure de l’in­fla­tion aux États-Unis : elle inclut une com­posante représen­tant les loy­ers fic­tifs que pay­eraient les pro­prié­taires de loge­ments, et qui évolu­ent de manière presque exacte­ment sim­i­laire à l’évo­lu­tion des loy­ers effectifs.

Ces loy­ers fic­tifs, imputés aux pro­prié­taires de loge­ments, ont un poids con­sid­érable, qui amène le poids total des loy­ers (effec­tifs et imputés) à 38 % dans l’indice des prix des États-Unis. Dans l’indice des prix de la zone euro, on ne prend en con­sid­éra­tion que les loy­ers effec­tifs payés par les locataires de loge­ments, ce qui con­duit à un poids des loy­ers, beau­coup plus faible, de l’ordre des 6 %.

Les loy­ers (effec­tifs et imputés aux pro­prié­taires de loge­ments) aux États-Unis aug­mentent assez vite (8 % aujour­d’hui) et con­tin­u­ent à accélér­er. Ils réagis­sent avec un retard d’un peu plus d’un an à l’évo­lu­tion des prix de l’im­mo­bili­er aux États-Unis qui a atteint 20 % de crois­sance sur un an avant de con­naître un grand ralen­tisse­ment : en jan­vi­er 2023, les prix de l’im­mo­bili­er n’aug­mentent plus que de 4 % par an, et sur les derniers mois con­nus, ils reculent.

On doit donc s’at­ten­dre à une sta­bil­i­sa­tion ou même à une baisse des loy­ers (effec­tifs et fic­tifs) aux États-Unis si les délais sont les mêmes que dans le passé, à par­tir du deux­ième semes­tre 2023. On peut finale­ment con­sid­ér­er que la véri­ta­ble infla­tion sous-jacente est l’in­fla­tion hors prix de l’én­ergie et de l’al­i­men­ta­tion et hors loy­ers (effec­tifs et fic­tifs). De plus, c’est cette mesure de l’in­fla­tion qui per­met les com­para­isons inter­na­tionales, en rai­son du traite­ment très dif­férent des loy­ers d’un pays à l’autre.

Une dés­in­fla­tion forte a com­mencé aux États-Unis. 

L’in­fla­tion ain­si définie mon­tre un pic à la fin de 2021 et au début de 2022 à 8 % aux États-Unis, et dimin­ue rapi­de­ment depuis, pour n’être plus que de 3,5 % au début de 2023. Cela mon­tre qu’une dés­in­fla­tion forte a com­mencé aux États-Unis, qui est cachée par la crois­sance des loy­ers (effec­tifs et imputés) qui ne reflétera, avec beau­coup de retard, le recul des prix de l’im­mo­bili­er que dans la deux­ième par­tie de 2023.

La situation de la zone euro

Les prix de l’én­ergie et de l’al­i­men­ta­tion ralen­tis­sent forte­ment (de 32 % sur un an en juin 2022 à 18 % sur un an au début de 2023), avec le recul des prix de l’ensemble des matières pre­mières (pét­role, gaz naturel, matières pre­mières agri­coles). Les loy­ers effec­tifs n’aug­mentent que de 2,3 % sur un an dans la zone euro et ne con­tribuent donc pas à la hausse de l’inflation.

Si on utilise la même déf­i­ni­tion de l’in­fla­tion sous-jacente que plus haut (infla­tion hors énergie et ali­men­ta­tion, et hors loy­ers), on voit une hausse con­stante de l’in­fla­tion ain­si définie dans la zone euro : de moins de 1 % au début de 2021, à 3 % au début de 2022 ; 6,7 % en sep­tem­bre 2022, 7,4 % en jan­vi­er 2023.

À la dif­férence des États-Unis, l’in­fla­tion sous-jacente, hors loy­ers, de la zone euro aug­mente con­tin­uelle­ment. D’où vient la forte dif­férence dans la dynamique de l’in­fla­tion aux États-Unis et dans la zone euro, quand on con­sid­ère l’in­fla­tion hors énergie, ali­men­ta­tion et loy­ers, effec­tifs ou fictifs ?

Vers une baisse de l’inflation

Aux États-Unis, la baisse de l’in­fla­tion depuis le début de 2022 vient de ce qu’il n’y a plus d’aug­men­ta­tion des marges béné­fi­ci­aires des entre­pris­es et que la crois­sance des salaires et des coûts salari­aux uni­taires ralen­tit (de 5 % à env­i­ron 4 % par an au début de 2023). Ce ralen­tisse­ment va s’ac­centuer à la fin de l’an­née, avec d’une part le freinage des loy­ers, con­séquence de la baisse des prix de l’im­mo­bili­er ; et d’autre part, l’in­dex­a­tion des salaires sur l’in­fla­tion de 2023, net­te­ment plus basse que l’in­fla­tion de 2022.

Jerome Pow­ell, prési­dent de la Réserve fédérale des États-Unis, a prob­a­ble­ment gag­né son pari : faire appa­raître une baisse forte de l’in­fla­tion en 2023, tout en évi­tant une réces­sion. Dans la zone euro, la hausse de l’in­fla­tion (tou­jours cal­culée hors énergie, ali­men­ta­tion et loy­ers) qui con­tin­ue au début de 2023 vient d’une part de la hausse plus rapi­de des salaires en 2023 qu’en 2022 avec un effet de rat­tra­page du pou­voir d’achat et en l’ab­sence de gains de pro­duc­tiv­ité ; d’autre part de la hausse des marges béné­fi­ci­aires des entre­pris­es qui durent depuis la fin de 2020.

Il est impres­sion­nant que les entre­pris­es de la zone euro aient réus­si à aug­menter leurs marges béné­fi­ci­aires au moment même où les prix de l’én­ergie et des autres matières pre­mières étaient très élevés. Cette hausse est à l’o­rig­ine d’un sur­croît d’in­fla­tion, début 2023, de près de 2 points. Cette poussée de l’in­fla­tion (hors énergie, ali­men­ta­tion et loy­ers) dans la zone euro fait anticiper une forte résis­tance à la baisse de l’in­fla­tion, puisqu’elle con­duit à des hauss­es de salaires plus fortes, et que le rat­tra­page des marges béné­fi­ci­aires, des prof­its des entre­pris­es est peut-être loin d’être terminé.

Le monde expliqué par la science. Une fois par semaine, dans votre boîte mail.

Recevoir la newsletter