La mobilité pour lutter contre les inégalités
L’effet conjugué du progrès des connaissances, de la croissance et de la mondialisation du commerce ont permis à une large fraction de la population mondiale d’échapper à la pauvreté. Selon les chiffres de la Banque mondiale, près de 40% de la population mondiale vivait en dessous du seuil de pauvreté, c’est-à-dire avec moins d’un dollar par jour en 1981, ce chiffre est tombé à 14% en 2008. En Inde, 40% de la population urbaine vivait en pauvreté en 1988 ; ce chiffre est tombé à 12% en 1999, c’est-à-dire en à peine onze ans, grâce à une accélération de la croissance dont le taux annuel moyen est passé de 0,77% dans les années 1970 à 3,9% dans les années 1980.
Cette réduction des inégalités au niveau mondial ne concerne pas seulement les revenus mais également la santé. Entre 1940 et 1980, l’espérance moyenne de vie dans les pays en développement est passée de 44,5 à 64,3 ans, soit une augmentation de près de 20 ans, alors qu’elle n’a augmenté que de 9 ans dans les pays développés pendant la même période.
La croissance accélérée de la Chine et de l’Inde depuis le début des années 1980 a notamment permis dans ces pays à plus de deux milliards d’individus d’échapper à la pauvreté. Mais en même temps cette croissance a créé de nouvelles inégalités entre ces pays et d’autres économies, en particulier en Afrique, qui n’ont pas connu le même décollage. Enfin la croissance en Inde et en Chine a augmenté les inégalités au sein même de ces pays : seule une partie des populations chinoise et indienne est devenue prospère voire riche, même si les taux de pauvreté dans ces deux pays ont nettement reculé depuis les années 1970.
On observe ce même phénomène de croissance des inégalités « intra-pays » dans les pays avancés. Il y a chez nous d’un côté ceux qui ont su le mieux innover et s’adapter aux révolutions technologiques (TIC, intelligence artificielle), et de l’autre ceux qui n’ont pas su pleinement profiter de ces évolutions ou qu’elles ont laissés sur le bord de la route. Faut-il s’inquiéter de cette montée des inégalités à l’intérieur de nos pays ?
La croissance en Inde et en Chine a augmenté les inégalités au sein même de ces pays.
Combattre la pauvreté et augmenter la mobilité sociale
Il y a de fait plusieurs façons de mesurer les inégalités. On peut vouloir se concentrer sur la part du « top 1% les plus riches » dans le revenu d’un pays. Ou bien s’intéresser à une mesure plus globale d’inégalité, par exemple la mesure GINI d’écart à l’égalité parfaite pour l’ensemble de la population. Ou bien à la mobilité sociale et aux trappes à pauvreté qui entravent cette mobilité.
Mon opinion est que pour réconcilier croissance par l’innovation et maîtrise des inégalités, combattre la pauvreté et augmenter la mobilité sociale sont les objectifs à privilégier. De façon intéressante, une plus grande mobilité sociale tend à être associée à moins d’inégalité globale (c’est ce qu’on appelle la courbe de Gatsby le Magnifique) donc on fait d’une pierre deux coups en se concentrant sur la mobilité.
Faut-il pour autant ne pas se préoccuper des 1% ou 0,1% les plus riches ? Non, car les riches peuvent utiliser leurs ressources pour faire barrage à de nouvelles innovations ou empêcher des réformes visant à démocratiser l’accès à l’éducation et à la santé : ceux qui ont réussi hier peuvent vouloir empêcher d’autres, aujourd’hui, de « s’évader » à leur tour et venir leur faire concurrence.
D’où l’importance, pour stimuler une croissance par l’innovation qui soit véritablement inclusive, de mettre en place un modèle économique et social :
- qui favorise la mobilité sociale en particulier grâce à des systèmes d’éducation, de formation et de santé, de qualité et accessibles à tous
- qui protège les individus pour les empêcher de tomber dans la pauvreté en les assurant notamment contre les risques liés aux pertes ou changements d’emplois
- qui encourage le progrès technique et l’innovation qui sont sources de prospérité, tout en mettant en place des garde-fous (en matière de fiscalité, droit de la concurrence, lois anti-corruption…) afin d’éviter que les innovateurs d’hier (les « évadés ») n’empêchent les autres d’évoluer à leur tour vers davantage de prospérité et de liberté.
Cet article a été publié pour la première fois dans la Paris Innovation Review le 02/01/2018