Accueil / Chroniques / Économie : pourquoi l’Europe décroche par rapport aux USA
American flag for Memorial Day, 4th of July, Labour Day
π Économie

Économie : pourquoi l’Europe décroche par rapport aux USA

Patrick_Artus
Patrick Artus
chef économiste chez Natixis
En bref
  • De 2010 à 2023, le taux de croissance cumulé du PIB a atteint 34 % aux États-Unis, face à seulement 21 % dans l'Union européenne.
  • Ce décrochage s’explique par l'insuffisance de l'investissement en nouvelles technologies en Europe.
  • Autre raison : le faible niveau des dépenses en recherche et développement.
  • En effet, le cas des États-Unis montre que l'effort d'investissement dans ce secteur est corrélé à une augmentation de la productivité.
  • Le risque, c’est que ce déficit européen impacte les recettes fiscales et l’attractivité de l'Europe pour les investisseurs étrangers.

De 2010 à 2023, le taux de crois­sance cumulé du PIB a atteint 34 % aux États-Unis, face à seule­ment 21 % dans l’U­nion européenne et 18 % dans la zone euro. Cette mesure du PIB en vol­ume ne dépend pas de l’évo­lu­tion des taux de change. Sur cette même péri­ode, la pro­duc­tiv­ité du tra­vail a pro­gressé de 22 % aux États-Unis et de 5 % dans la zone euro. Le décrochage de l’Eu­rope par rap­port aux États-Unis est donc net depuis le début des années 2010, et ne peut pas être expliqué par l’é­cart de crois­sance de la pop­u­la­tion en âge de travailler. 

L’essen­tiel de ce décrochage vient de l’é­cart entre les gains de pro­duc­tiv­ité. Et cet écart est tou­jours présent dans la péri­ode récente (la pro­duc­tiv­ité du tra­vail a aug­men­té de 1,7 % aux États-Unis et a reculé de 0,6 % dans la zone euro sur les qua­tre trimestres de 2023). Com­pren­dre les raisons de cette dif­férence entre les États-Unis et l’Eu­rope est un sujet de recherche impor­tant, sur lequel les avis divergent.

Pour les uns, la stag­na­tion puis le recul de la pro­duc­tiv­ité dans la zone euro sont dus au niveau élevé des dif­fi­cultés d’embauche, qui com­mençait à appa­raître en 2017, en même temps que la stag­na­tion de la pro­duc­tiv­ité. Les dif­fi­cultés d’embauche auraient incité les entre­pris­es à ne pas licenci­er, même si elles avaient des effec­tifs surabon­dants. Or, il est dif­fi­cile de croire à cette thèse, puisque les États-Unis ont égale­ment con­nu des dif­fi­cultés d’embauche très impor­tantes, et ce, sans voir appa­raître de stag­na­tion de la productivité.

Pour d’autres, la stag­na­tion puis le recul de la pro­duc­tiv­ité en Europe vien­nent de la hausse du taux d’emploi des per­son­nes les moins qual­i­fiées. Cela aurait fait reculer le niveau moyen de qual­i­fi­ca­tion de la pop­u­la­tion active. Mais cette thèse n’est pas con­va­in­cante, puisque le taux d’emploi en Europe a pro­gressé de manière presque iden­tique à tous les niveaux de qual­i­fi­ca­tion, et donc le niveau moyen de qual­i­fi­ca­tion des per­son­nes ayant un emploi n’a pas reculé.

Les deux expli­ca­tions per­ti­nentes et con­formes aux faits du décrochage du niveau de la pro­duc­tiv­ité du tra­vail en Europe sont l’in­suff­i­sance de l’in­vestisse­ment en nou­velles tech­nolo­gies (ordi­na­teurs, intel­li­gence arti­fi­cielle, logi­ciels, etc.) et le faible niveau des dépens­es en recherche et développement.

Quand on com­pare les pays de l’OCDE, on con­state que ces deux vari­ables influ­en­cent forte­ment les écarts de pro­duc­tiv­ité entre les pays. L’es­ti­ma­tion économétrique con­duit aux effets suiv­ants : une hausse de 1 point du taux d’in­vestisse­ment en nou­velles tech­nolo­gies con­duit à une hausse de 0,8 point par an en gains de pro­duc­tiv­ité. De même, une hausse de 1 point du PIB des dépens­es de recherche et développe­ment con­duit à une hausse de 0,9 point par an en gains de productivité.

Il faut crain­dre que l’Eu­rope soit entraînée dans un cer­cle vicieux

L’in­vestisse­ment en nou­velles tech­nolo­gies représente en 2022 5 % du PIB aux États-Unis et 2,8 % du PIB dans la zone euro. En ce qui con­cerne les dépens­es de recherche et développe­ment en 2022, elles atteignent 3,5 % du PIB aux États-Unis et 2,3 % du PIB dans la zone euro. De plus, à par­tir de 2016–2017, l’ef­fort d’in­vestisse­ment et de recherche et développe­ment des États-Unis s’ac­croît net­te­ment par rap­port à celui de la zone euro. À cette même péri­ode, la pro­duc­tiv­ité com­mence à croître net­te­ment plus rapi­de­ment aux États-Unis qu’en Europe. C’est donc le retard pris dans les investisse­ments tech­nologiques et dans la R&D qui explique une grande par­tie du décrochage de l’Eu­rope par rap­port aux États-Unis, en ter­mes de pro­duc­tiv­ité du tra­vail et de PIB.

Com­ment l’Eu­rope peut-elle espér­er rat­trap­er les États-Unis en ter­mes de pro­duc­tiv­ité et de crois­sance ? Il faudrait d’abord chang­er la nature des investisse­ments des entre­pris­es. Le taux d’in­vestisse­ment des entre­pris­es est pra­tique­ment le même au début de 2024 aux États-Unis et dans la zone euro (13,5 % du PIB), mais la part de cet investisse­ment pour la tech­nolo­gie est net­te­ment plus élevée aux États-Unis (5 % du PIB con­tre 2,8 % dans la zone euro). Il faudrait donc cor­riger le car­ac­tère trop banal, pas assez élevé en gamme, des investisse­ments des entre­pris­es dans la zone euro.

Deux­ième mesure : il faudrait accroître les dépens­es de R&D et les bud­gets des uni­ver­sités dans la zone euro. Les moyens de la recherche uni­ver­si­taire et de la recherche en entre­prise sont beau­coup plus élevés aux États-Unis. Et, comme men­tion­né plus tôt, ces moyens sont un déter­mi­nant impor­tant et sig­ni­fi­catif des gains de productivité.

Il faut crain­dre que l’Eu­rope soit entraînée dans un cer­cle vicieux : faib­lesse des dépens­es d’in­vestisse­ment en nou­velles tech­nolo­gies et de recherche et développe­ment, donc faib­lesse des gains de pro­duc­tiv­ité et de la crois­sance. D’abord, ces déclins pour­raient impacter néga­tive­ment l’attractivité de l’Eu­rope pour les investis­seurs étrangers. Ensuite, ils réduiront peut-être les recettes fis­cales et la capac­ité des États européens à men­er des poli­tiques de sou­tien de l’in­no­va­tion et de ren­force­ment de l’at­trac­tiv­ité de l’Europe.

Le monde expliqué par la science. Une fois par semaine, dans votre boîte mail.

Recevoir la newsletter