Économie : pourquoi l’Europe décroche par rapport aux USA
- De 2010 à 2023, le taux de croissance cumulé du PIB a atteint 34 % aux États-Unis, face à seulement 21 % dans l'Union européenne.
- Ce décrochage s’explique par l'insuffisance de l'investissement en nouvelles technologies en Europe.
- Autre raison : le faible niveau des dépenses en recherche et développement.
- En effet, le cas des États-Unis montre que l'effort d'investissement dans ce secteur est corrélé à une augmentation de la productivité.
- Le risque, c’est que ce déficit européen impacte les recettes fiscales et l’attractivité de l'Europe pour les investisseurs étrangers.
De 2010 à 2023, le taux de croissance cumulé du PIB a atteint 34 % aux États-Unis, face à seulement 21 % dans l’Union européenne et 18 % dans la zone euro. Cette mesure du PIB en volume ne dépend pas de l’évolution des taux de change. Sur cette même période, la productivité du travail a progressé de 22 % aux États-Unis et de 5 % dans la zone euro. Le décrochage de l’Europe par rapport aux États-Unis est donc net depuis le début des années 2010, et ne peut pas être expliqué par l’écart de croissance de la population en âge de travailler.
L’essentiel de ce décrochage vient de l’écart entre les gains de productivité. Et cet écart est toujours présent dans la période récente (la productivité du travail a augmenté de 1,7 % aux États-Unis et a reculé de 0,6 % dans la zone euro sur les quatre trimestres de 2023). Comprendre les raisons de cette différence entre les États-Unis et l’Europe est un sujet de recherche important, sur lequel les avis divergent.
Pour les uns, la stagnation puis le recul de la productivité dans la zone euro sont dus au niveau élevé des difficultés d’embauche, qui commençait à apparaître en 2017, en même temps que la stagnation de la productivité. Les difficultés d’embauche auraient incité les entreprises à ne pas licencier, même si elles avaient des effectifs surabondants. Or, il est difficile de croire à cette thèse, puisque les États-Unis ont également connu des difficultés d’embauche très importantes, et ce, sans voir apparaître de stagnation de la productivité.
Pour d’autres, la stagnation puis le recul de la productivité en Europe viennent de la hausse du taux d’emploi des personnes les moins qualifiées. Cela aurait fait reculer le niveau moyen de qualification de la population active. Mais cette thèse n’est pas convaincante, puisque le taux d’emploi en Europe a progressé de manière presque identique à tous les niveaux de qualification, et donc le niveau moyen de qualification des personnes ayant un emploi n’a pas reculé.
Les deux explications pertinentes et conformes aux faits du décrochage du niveau de la productivité du travail en Europe sont l’insuffisance de l’investissement en nouvelles technologies (ordinateurs, intelligence artificielle, logiciels, etc.) et le faible niveau des dépenses en recherche et développement.
Quand on compare les pays de l’OCDE, on constate que ces deux variables influencent fortement les écarts de productivité entre les pays. L’estimation économétrique conduit aux effets suivants : une hausse de 1 point du taux d’investissement en nouvelles technologies conduit à une hausse de 0,8 point par an en gains de productivité. De même, une hausse de 1 point du PIB des dépenses de recherche et développement conduit à une hausse de 0,9 point par an en gains de productivité.
Il faut craindre que l’Europe soit entraînée dans un cercle vicieux
L’investissement en nouvelles technologies représente en 2022 5 % du PIB aux États-Unis et 2,8 % du PIB dans la zone euro. En ce qui concerne les dépenses de recherche et développement en 2022, elles atteignent 3,5 % du PIB aux États-Unis et 2,3 % du PIB dans la zone euro. De plus, à partir de 2016–2017, l’effort d’investissement et de recherche et développement des États-Unis s’accroît nettement par rapport à celui de la zone euro. À cette même période, la productivité commence à croître nettement plus rapidement aux États-Unis qu’en Europe. C’est donc le retard pris dans les investissements technologiques et dans la R&D qui explique une grande partie du décrochage de l’Europe par rapport aux États-Unis, en termes de productivité du travail et de PIB.
Comment l’Europe peut-elle espérer rattraper les États-Unis en termes de productivité et de croissance ? Il faudrait d’abord changer la nature des investissements des entreprises. Le taux d’investissement des entreprises est pratiquement le même au début de 2024 aux États-Unis et dans la zone euro (13,5 % du PIB), mais la part de cet investissement pour la technologie est nettement plus élevée aux États-Unis (5 % du PIB contre 2,8 % dans la zone euro). Il faudrait donc corriger le caractère trop banal, pas assez élevé en gamme, des investissements des entreprises dans la zone euro.
Deuxième mesure : il faudrait accroître les dépenses de R&D et les budgets des universités dans la zone euro. Les moyens de la recherche universitaire et de la recherche en entreprise sont beaucoup plus élevés aux États-Unis. Et, comme mentionné plus tôt, ces moyens sont un déterminant important et significatif des gains de productivité.
Il faut craindre que l’Europe soit entraînée dans un cercle vicieux : faiblesse des dépenses d’investissement en nouvelles technologies et de recherche et développement, donc faiblesse des gains de productivité et de la croissance. D’abord, ces déclins pourraient impacter négativement l’attractivité de l’Europe pour les investisseurs étrangers. Ensuite, ils réduiront peut-être les recettes fiscales et la capacité des États européens à mener des politiques de soutien de l’innovation et de renforcement de l’attractivité de l’Europe.