D’où viennent les dettes publiques et que peut-on en faire ?
- La succession de nombreuses crises a entraîné une hausse très rapide de l’endettement public (116 % du PIB en France).
- Malgré les efforts des Banques centrales, il n’a pas été possible de redresser l’inflation après les années 2008.
- Les États ont ainsi exploité la possibilité qui leur était donnée de s’endetter à coût très faible.
- Le prix élevé de l’énergie est amené à durer, en partie à cause de la guerre entre l’Ukraine et la Russie.
- La hausse de la pression fiscale pourrait être l’une des seules solutions viables pour pallier les déficits publics.
En 1973, au moment du premier choc pétrolier, le taux d’endettement public des pays de l’OCDE (Organisation de coopération et développement économiques) représentait 30 % du PIB (36 % aux États-Unis, 20 % en France). Aujourd’hui, il constitue 98 % du PIB aux États-Unis, et 116 % en France. C’est la succession de différentes crises qui a entraîné une utilisation continuelle des déficits publics et des politiques budgétaires expansionnistes. Parmi ces crises, on peut nommer les crises pétrolières des années 1970 et du début des années 1980, la crise immobilière du début des années 1990, la crise boursière du début des années 2000, la crise des subprimes de 2008–2009, la crise du Covid en 2020 et la guerre en Ukraine.
La période récente a donc été une période de hausse très rapide de l’endettement public : étudions ce qu’il s’est passé.
L’échec du redressement de l’inflation
Après la crise des subprimes, les pays de l’OCDE ont connu une période d’inflation très faible (1 % en moyenne de 2008 à 2020, dans la zone euro), inférieure aux objectifs que fixaient les Banques centrales (2 %). Pour des raisons institutionnelles, ces dernières ont donc essayé de redresser l’inflation en utilisant des politiques monétaires très expansionnistes : mise en place de taux d’intérêt à court terme nuls et même négatifs ou encore du « Quantitative Easing », c’est-à-dire achats d’obligations des États par les Banques centrales, financés par la création monétaire.
Pourtant, ces politiques monétaires n’ont pas abouti : le redressement de l’inflation n’a pas eu lieu, car la monnaie créée a été utilisée non pas pour acheter des biens et services, mais pour acheter des actifs financiers et immobiliers. Il s’en est alors ensuivi une forte hausse des prix de ces actifs (actions d’entreprise et biens immobiliers), en particulier des prix des obligations : c’est une baisse forte des taux d’intérêt à long terme (les taux d’intérêt à 10 ans des pays du cœur de la zone euro sont devenus négatifs).
Tout ceci a fait disparaître les conditions de soutenabilité de la dette publique. Avec des taux d’intérêt largement inférieurs aux taux de croissance, tout déficit public est acceptable, tout niveau d’endettement public est cohérent avec la contrainte de solvabilité des États.
On comprend donc mieux pourquoi on assiste à la forte hausse des taux d’endettement publics depuis 2008 : les États ont simplement exploité la possibilité qui leur était offerte de s’endetter à un coût très faible – et même à coût négatif dans certains cas.
Une énergie qui va rester chère
Cependant, aujourd’hui, la situation a changé : la sortie de la crise du Covid a fait apparaître une très forte croissance de la demande de biens (électronique, équipement de la maison), ce qui a entraîné des goulots d’étranglement pour la fourniture d’énergie, de matières premières, de semi-conducteurs et du transport maritime. En conséquence, une inflation forte s’est développée et a été amplifiée par les conséquences de la guerre en Ukraine : interruption des livraisons de gaz naturel de la Russie à l’Europe et forte hausse du prix de l’énergie (électricité, gaz naturel, charbon), surtout en Europe.
Le prix élevé de l’énergie est amené à durer : remplacer le gaz naturel russe prendra du temps, et, au-delà la transition énergétique, cela conduira à un prix élevé de l’énergie – surtout en Europe –, puisqu’il faudra subir le coût de l’intermittence de la production d’énergies renouvelables.
Il faut donc s’attendre à une énergie durablement chère et à d’autres hausses de l’inflation causées par le pouvoir de négociation des salariés sur les marchés du travail et les relocalisations de productions stratégiques. Tout ceci génère un environnement inflationniste, essentiellement en Europe, qui transforme complètement la problématique des politiques monétaires.
Hausse de taux d’intérêt, baisse du PIB
Le cas le plus difficile est celui de la zone euro : la politique budgétaire sera durablement expansionniste, car les gouvernements ont la volonté de soutenir le pouvoir d’achat des ménages ; de financer la transition énergétique, les dépenses d’éducation, de santé en hausse et d’améliorer la compétitivité des entreprises face à la hausse des prix de l’énergie.
On peut donc prévoir que la période d’inflation faible – et en conséquence, de taux d’intérêt faibles – est bel et bien terminée. On va désormais assister au retour des contraintes de soutenabilité des dettes : la hausse forte des taux d’intérêt réels imposera aux gouvernements une réduction des déficits publics, maintenant leur soutenabilité budgétaire.
La période d’inflation faible, et en conséquence, de taux d’intérêt faibles, est bel et bien terminée.
Prenons l’exemple de la France : dans l’environnement de taux d’intérêt bas, la soutenabilité de la dette publique était assurée avec un déficit public primaire (hors intérêt sur la dette publique) de l’ordre de 3 % du PIB. Si le taux d’intérêt réel repasse en territoire positif – avec en plus le niveau très faible des gains de productivité –, il faudra faire disparaître le déficit public primaire, ce qui veut dire une réduction de 3 points de PIB du déficit.
Réduire le déficit public : les solutions
Quels moyens possède-t-on pour réduire le déficit public de 3 points de PIB ? C’est une tâche qui semble ardue étant donné le besoin accru de dépenses publiques dans presque tous les domaines : transition énergétique, réindustrialisation, santé, éducation, justice, dépenses militaires… La seule piste possible consiste à allonger l’âge de la retraite dans les pays où il est encore précoce, comme en France. Mais même si le taux d’emploi des 60–64 ans en France (35 %) arrivait à se hisser au niveau des pays où il est le plus élevé (74 % en Allemagne, 77 % en Suède), on ne gagnerait que 1 point de PIB en termes de déficit public.
Si la piste de la baisse des dépenses publiques ne semble pas pertinente, quelles autres pistes reste-t-il ? Il serait en théorie possible pour les Banques centrales de financer des dépenses publiques, restant élevées à cause de la taxe inflationniste, en maintenant des taux d’intérêt inférieurs à l’inflation. Toutefois, nous sommes aujourd’hui témoins d’une hausse notable des taux d’intérêt et de la disparition de cette taxe inflationniste.
Il ne reste alors que la hausse de la pression fiscale pour faire disparaître les déficits publics. C’est une évolution qu’on pourrait déplorer, mais qui est cohérente avec l’observation selon laquelle le besoin de nouvelles dépenses publiques est très élevé.