Directive Omnibus : un recul du Pacte vert européen ?
- La Commission européenne a dévoilé une série de mesures visant à simplifier trois textes du Pacte vert européen sous le nom de « Directive Omnibus ».
- Les risques sont notamment une moindre orientation des investissements privés vers des projets durables.
- Les régulations ne sont pas seulement contraignantes pour l’économie, mais peuvent aussi offrir des débouchés commerciaux à long terme.
- La France a soutenu cette réforme, notamment pour ne pas nuire à son industrie automobile ; l'enjeu est aussi économique et stratégique.
- La simplification pourrait permettre aux grandes structures d'accroître leurs avantages compétitifs, sans résoudre les véritables difficultés des plus petites.
Le 26 février 2025, la Commission européenne a dévoilé une série de mesures visant à simplifier trois textes emblématiques du Pacte vert européen, sous le nom de « Directive Omnibus ». Un projet annoncé comme une réponse stratégique à la montée en puissance des États-Unis et de la Chine, deux géants économiques investissant massivement dans la transition écologique. Mais cette annonce n’a pas tardé à susciter des réactions dans le champ médiatique et les milieux économiques. Associations écologiques et économistes expriment des préoccupations concernant une possible dérégulation. D’une part, la réforme est perçue comme un levier stratégique nécessaire, d’autre part, comme un affaiblissement potentiel des ambitions environnementales de l’Union.
Alors que la Commission européenne défend cette démarche comme une nécessité pour moderniser son cadre réglementaire, de nombreux experts soulignent les contradictions inhérentes à cette approche. Pour en discuter, nous avons recueilli les points de vue de Phuc-Vinh Nguyen – chef du Centre énergie de l’Institut Jacques Delors – et Jacques Le Cacheux – professeur agrégé des Universités en économie à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour –, deux spécialistes qui livrent leur expertise sur le sujet au micro de Polytechnique Insights.
La « Directive Omnibus » marque un recul du Pacte vert sous la pression des lobbies industriels : Faux, mais…
«L’objectif de simplification est légitime, mais il remet en question une grande partie des avancées votées ces cinq dernières années », déclare Phuc-Vinh Nguyen. Ce constat résonne avec l’actualité européenne, où la tension entre simplification et rigueur environnementale est au cœur des controverses, illustrant les compromis nécessaires pour concilier compétitivité et durabilité1.
« D’une part, des régulations comme la CSRD et la CS3D étaient censées orienter l’investissement privé vers des projets durables. Or, l’UE souffre déjà d’un déficit d’investissement privé, et cette marche arrière complique davantage l’atteinte des objectifs de transition écologique, renchérit le chercheur. D’autre part, sur le plan politique, cette directive consacre l’agenda de dérégulation porté par la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE). Cela dit, il ne s’agit encore que d’une proposition, susceptible d’être amendée. Son issue influencera probablement les arbitrages des cinq prochaines années. »
Si des concessions ont été faites aux intérêts économiques et industriels, notamment en allégeant certaines obligations de reporting ou en modifiant les seuils d’application des régulations, ces ajustements n’impliquent pas nécessairement un renversement total des politiques précédentes. L’idée de simplification administrative reste en effet compatible avec les objectifs du Pacte vert, et les discussions en cours laissent encore la possibilité de renforcer certains aspects environnementaux. De plus, les engagements européens en matière de durabilité restent une priorité stratégique, influençant les décisions législatives actuelles et à venir, comme en témoigne la mise en œuvre progressive de la directive CSRD et des ajustements proposés pour simplifier le reporting des entreprises, notamment des PME2.
Cette réforme pourrait entraîner une perte d’influence de l’Europe en matière de transition écologique : Plutôt vrai
L’Union européenne, qui a longtemps été à l’avant-garde de la régulation environnementale, pourrait en effet voir son influence diminuer avec des normes moins contraignantes. Parallèlement, les États-Unis, avec l’Inflation Reduction Act, et la Chine, avec des investissements massifs dans la transition, continuent de consolider leurs positions. Cette dynamique souligne un enjeu majeur : le risque de voir l’UE perdre son avantage comparatif en matière de régulation verte.

Jacques Le Cacheux évoque les effets de cette réforme et estime que, « à court terme, cela permet à certaines entreprises de réduire leurs coûts en évitant certains investissements. » Cependant, il met en garde contre les conséquences plus durables : « À long terme, cela risque de ralentir la transition écologique. » Il prend l’exemple de l’automobile pour illustrer son propos : « La Commission européenne a annoncé l’interdiction de la vente de moteurs thermiques à partir de 2035. Si cette règle est maintenue, elle envoie un signal clair aux industriels. Mais si l’on commence à assouplir les contraintes, certaines entreprises pourraient se dire qu’elles n’ont pas besoin de s’adapter dès maintenant, ce qui ralentirait l’innovation et la transition énergétique. »
Le chercheur prévient que l’assouplissement des règles pourrait freiner l’innovation et ralentir la transition énergétique, ce qui nuirait à l’efficacité des efforts européens pour atteindre les objectifs écologiques.
Les partisans de la réforme avancent que les normes actuelles imposent des contraintes excessives à l’industrie européenne. Il fallait donc alléger la réglementation : Plutôt faux
L’économiste Jacques Le Cacheux conteste l’idée selon laquelle les normes écologiques freinent l’industrie : « C’est une idée reçue. Dans de nombreux cas, ce sont ces normes qui poussent les entreprises à innover. Prenez l’exemple des technologies de décarbonation : une réglementation stricte peut créer des marchés, inciter à l’innovation et offrir des opportunités économiques. »
Phuc-Vinh Nguyen abonde dans ce sens, rappelant que les entreprises sous-estiment parfois les bénéfices à long terme d’une régulation ambitieuse : « Les entreprises se plaignent souvent des coûts liés aux normes, mais elles oublient que ces mêmes régulations peuvent offrir des débouchés commerciaux à long terme. Une réglementation trop laxiste risquerait de désavantager l’Europe par rapport à d’autres régions plus ambitieuses. »
Parmi les propositions, figurent l’exemption des entreprises de moins de 1 000 employés des obligations de reporting en matière de durabilité, ce qui réduit la couverture de ces obligations d’environ 50 000 entreprises à seulement 20 % de ce chiffre. De plus, le prélèvement carbone aux frontières serait limité aux importations de plus de 50 tonnes métriques par an, excluant ainsi environ 182 000 importateurs. Ces ajustements visent à alléger les charges réglementaires tout en maintenant les objectifs environnementaux3.
La France est l’un des principaux pays à avoir poussé pour cette réforme : Vrai
La France, aux côtés de l’Italie et de certains pays d’Europe centrale, a soutenu cette réforme, particulièrement dans les secteurs de l’automobile et de l’énergie, qui risquent de pâtir des règles écologiques plus strictes. Antoine Armand, l’ancien ministre français de l’Économie (dans le gouvernement de Michel Barnier), s’était d’ailleurs exprimé à Bruxelles en novembre 2024 pour plaider en faveur d’une révision des sanctions prévues pour les constructeurs automobiles n’atteignant pas les objectifs de réduction des émissions de CO₂ en 20254.
Dans le même élan, Phuc-Vinh Nguyen met en lumière la double dimension de cette stratégie. Selon lui, « la France, en particulier, a été très active sur ce dossier. Elle défend des ajustements réglementaires afin de ne pas nuire à son industrie, notamment l’automobile. Mais ce n’est pas qu’une question de protection des secteurs traditionnels. Il s’agit aussi de préserver une compétitivité industrielle dans un monde qui se digitalise et se décarbonise à grande vitesse. » Ses propos rappellent que l’enjeu n’est pas seulement environnemental, mais également économique et stratégique.
La Directive Omnibus résulte de l’ajustement des mesures politiques avant les élections européennes : Plutôt vrai
Les ajustements apportés au Pacte vert européen, tels que la révision des objectifs de réduction des émissions et l’allongement des délais pour certains secteurs, se sont inscrits dans un climat politique sous tension à l’approche des élections européennes de juin 2024. Face à des critiques croissantes, l’Union européenne a modifié certaines mesures pour apaiser les préoccupations industrielles tout en maintenant ses ambitions climatiques globales5. L’issue de ce scrutin a conduit à une recomposition politique au Parlement européen. Une alliance entre la droite et l’extrême droite a renforcé la pression sur la Commission pour alléger certaines réglementations environnementales. Cette dynamique a conduit à la présentation, le 26 février 2025, de la Directive Omnibus.
Phuc-Vinh Nguyen explique que l’UE cherchait « à répondre aux critiques avant les élections, et les ajustements réglementaires sont un moyen d’apaiser les inquiétudes de certains électeurs et industries. » Jacques Le Cacheux nuance cette analyse en ajoutant : « La Commission a voulu montrer qu’elle est à l’écoute des préoccupations industrielles. Cependant, ce n’est pas une manœuvre purement électoraliste, mais un compromis entre la transition écologique et la compétitivité économique à court terme. » Autrement dit, ces ajustements visent à concilier les impératifs écologiques avec les besoins industriels dans un contexte de transition difficile. Selon une étude sur la politique climatique de l’UE de l’Institut Jacques Delors, il réside une nécessité de maintenir cet équilibre fragile pour préserver à la fois la compétitivité des industries et les objectifs de décarbonation6.
La directive pourrait avantager les grandes entreprises, mais l’impact pour les PME reste mitigé : Plutôt vrai
En théorie, cet allègement réglementaire pourrait avantager les PME, souvent confrontées à des obligations bureaucratiques. Cependant, il pourrait en pratique surtout profiter aux grandes entreprises, mieux équipées pour s’adapter à des réglementations complexes.
Phuc-Vinh Nguyen mentionne l’argument central de la réforme : « Les petites entreprises souffrent du poids administratif, notamment parce qu’elles n’ont pas les ressources humaines pour s’y conformer. » Par ailleurs, « les grandes entreprises, elles, disposent d’équipes dédiées et auraient sans doute trouvé des moyens de s’adapter ». Autrement dit, la simplification pourrait surtout permettre aux grandes structures d’accroître leur avantage compétitif, sans résoudre les vraies difficultés des plus petites.
Jacques Le Cacheux ajoute une autre nuance : toutes les PME ne sont pas concernées de la même manière. « Il y a effectivement des mesures qui ciblent les petites et moyennes entreprises, notamment celles entre 250 et 1 000 salariés, qui verront leurs obligations allégées. Mais les très petites entreprises n’étaient de toute façon pas soumises à ces réglementations, donc pour elles, cela ne change rien. » La simplification bénéficie donc davantage aux structures intermédiaires qu’aux plus petites.