Dette publique : réduire ou laisser filer ?
Depuis la crise sanitaire, les taux d’endettement publics sont extrêmement élevés (116 % du PIB à la fin de 2021 en France, par exemple). Ce phénomène a relancé le débat sur les risques associés à un tel niveau d’endettement et a accouché de très grandes divergences d’opinions. Pour les uns, nous allons inévitablement au-devant d’une crise des dettes souveraines, compte tenu de leur niveau élevé et de la remontée prévisible des taux d’intérêt. Pour les autres, il faut profiter des très faibles taux d’intérêt à long terme pour s’endetter davantage afin de financer des investissements nécessaires — en particulier ceux de la transition énergétique.
De plus, un autre élément est apparu : une partie importante des dettes publiques est aujourd’hui détenue par les banques centrales et donc inscrite au passif du bilan de ces institutions. Faut-il donc l’annuler comme certains économistes l’ont suggéré ?
L’émission de « monnaie Covid »
Commençons en effet par l’analyse de cette question. Juridiquement, une banque centrale est un élément de l’État (une filiale à 100 %). À ce titre, elle lui reverse l’intégralité de ses profits. On doit donc analyser le bilan consolidé de l’État et de la banque centrale. Au passif, on trouve la partie de la dette qui n’est pas détenue par la banque centrale et la monnaie créée par cette dernière pour racheter des actifs financiers (essentiellement des obligations du secteur public). En revanche, la partie de la dette publique détenue par la banque centrale n’apparaît pas, puisqu’il s’agit d’une créance de l’État sur lui-même, qui n’a donc pas d’existence.
Par conséquent, on peut considérer que le taux d’endettement public ne soit qu’en réalité la dette publique non détenue par la banque centrale. Dans le cas de la France, par exemple, il est de 90 % du PIB — soit du même niveau qu’avant la crise Covid. Il serait donc inutile d’annuler la dette publique détenue par la banque centrale, car il n’y a pas de dette liée au Covid. Ce que nous avons, c’est de la monnaie Covid, celle qui était émise par les banquiers centraux pour financer les rachats d’actif. Pour moi, la réflexion doit alors porter sur les conséquences d’une création monétaire massive pendant la crise (instabilité financière, hausse excessive des cours de course et inflation des prix de l’immobilier) et non sur les conséquences de l’existence d’une dette Covid.
Un endettement public en hausse
Les taux d’endettement publics de l’avant Covid étaient déjà très élevés. De plus, il apparaît désormais clairement que de nombreuses dépenses vont devoir être durablement accrues. Non seulement en France mais dans tous les pays de l’OCDE : réindustrialisation, formation, éducation, santé, sécurité, transition énergétique, innovation. La tendance spontanée serait donc la poursuite de la progression des dépenses publiques, le maintien de déficits publics élevés, et la poursuite de la hausse du taux d’endettement public.
Certains économistes ne voient pas d’obstacles à cette évolution, avec l’argument selon lequel il faut profiter des taux d’intérêt bas pour financer les dépenses utiles (la transition énergétique par exemple). Pour autant, certaines contraintes vont revenir et restreindre les politiques budgétaires expansionnistes. Prenons ici comme exemple le cas de la France. Tout d’abord, une contrainte institutionnelle : l’Europe finira par remettre en place des règles budgétaires. Il s’agira, certainement, de règles plus flexibles qu’auparavant, autorisant par exemple le financement par la dette des dépenses liées à la transition énergétique. Mais ces règles ne permettront sans doute pas que toutes les dépenses publiques, envisagées plus haut, soient possibles.
Ensuite vient une contrainte financière. Aujourd’hui, les taux d’intérêt à long terme sont très inférieurs au taux de croissance de long terme de l’économie (pour la France, aujourd’hui le taux d’intérêt à 10 ans est de 0,2 % ; la croissance de long terme nominale, en valeur, est de l’ordre de 3 % ; l’écart est donc considérable). Cela autorise des déficits publics plus élevés puisque spontanément le taux d’endettement public diminue. Mais le moment viendra où la BCE réduira ses achats d’obligations, parce que l’économie de la zone euro se rapprochera du plein emploi et que la création monétaire rapide conduira à une hausse insupportable des prix de l’immobilier. La sortie de son programme d’achats par la banque centrale fera inévitablement remonter les taux d’intérêt à long terme, d’où une configuration où la stabilisation du taux d’endettement public exigera un effort plus important de réduction du déficit public primaire (hors intérêts sur la dette publique).
Quelles politiques possibles ?
Ce qui précède montre qu’il y aura dans le futur en Europe le retour d’une contrainte budgétaire, avec la nécessité de réduire le déficit public (en France, il va passer de 8,4 % du PIB en 2021 à 5 % en 2022, mais environ la moitié de cette amélioration vient de la sortie de la crise Covid ; ce qui ne jouera plus dans le futur).
Quelles sont alors les options politiques ? Une hausse des impôts est possible, et envisagée d’ailleurs, dans les pays à pression fiscale faible (États-Unis, Royaume-Uni), mais difficile à imaginer en France où la fiscalité est parmi les plus élevées au monde.
Dans le cas de la France, une réforme réduisant fortement les dépenses publiques de retraite (près de 14 % du PIB en France contre 8 % dans les autres pays de la zone euro) apporterait les marges de manœuvre budgétaires nécessaires. Mais il ne faut pas sous-estimer la résistance de l’opinion à une telle réforme. Il reste alors une dernière piste, l’amélioration de l’efficacité de l’État dans les pays où elle est discutable.
Lorsque l’on compare les pays de l’OCDE, on s’aperçoit que la France se situe aux alentours de la moyenne pour la qualité des services publics (santé, éducation, justice, sécurité, marché du travail). Mais que le niveau des dépenses publiques est très élevé, même hors dépenses de retraite. Si la France avait une efficacité comparable aux autres pays, elle pourrait fournir des services publics de même qualité pour un coût inférieur de 7 points de PIB. Il faut donc rouvrir le chantier de l’efficacité et de la productivité de l’État tout en gardant à l’esprit que, malgré tous les débats et toutes les commissions sur ce sujet, aucun progrès n’a été réalisé.
Une crise de la dette ?
En définitive, on voit que la contrainte budgétaire va revenir, et qu’il va falloir réduire les déficits publics alors que la tendance spontanée serait de les maintenir ou de les augmenter. Aucune des trois pistes possibles — accroître les impôts, réformer les retraites, accroître la productivité de l’État — n’est simple à mettre en œuvre. Si l’on y renonce, le choix se fait alors entre laisser une crise de la dette se déclencher et renoncer à augmenter la partie utile et efficace des dépenses publiques.