Déchets plastiques : la nécessité d’agir vite pour ne pas être submergé
[Cet article est la synthèse d’une note publiée par l’Institut des politiques publiques. Pour lire le texte original, cliquez ici.]
En janvier 2021, la Commission européenne a interdit l’exportation de déchets difficiles à recycler vers les pays non-membres de l’OCDE. Nous avons évalué l’impact potentiel de cette nouvelle mesure pour les exportateurs français en la comparant avec celle de la Chine, qui a brutalement décidé de bannir les importations de déchets plastiques en 2017.
Le plastique comme matière première
On estime que 6,3 milliards de tonnes de déchets plastiques ont été produites dans le monde entre 1950 et 20151. Seuls environ 20 % de ces déchets ont été recyclés ou incinérés. Le reste s’est accumulé dans des décharges ou dans la nature2. Les déchets plastiques sont maintenant un bien commercialisé vendu à la tonne. En théorie, les pays en développement (à faible coût de main d’œuvre) devraient pouvoir en tirer un profit économique en les important, mais en pratique, la plupart d’entre eux ne disposent pas d’infrastructures adéquates pour les traiter correctement. Ils se contentent donc de les mettre en décharge.
Malgré la Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontaliers de déchets dangereux et de leur élimination, signée en 1989 pour protéger ces pays contre le « dumping » écologique, les exportations de déchets nocifs sont restées élevées. Pour contrer ce phénomène, certains pays émergents ont adopté des mesures unilatérales. La plus radicale d’entre elles a été l’interdiction en 2017 de la Chine, qui ne souhaitait plus être « la poubelle du monde » (figure 1).
Cette mesure a non seulement changé le statu quo de la gestion des déchets plastiques à l’échelle mondiale, mais elle a également révélé de façon dramatique des carences nationales. Tant et si bien que l’Europe a dû réagir. En effet, la Commission européenne a adopté une nouvelle réglementation à compter du 1er janvier 2021, tant au sein de l’UE qu’entre l’UE et le reste du monde. À l’exception des déchets propres envoyés pour recyclage, l’exportation de déchets plastiques de l’UE vers des pays non-membres de l’OCDE (c’est-à-dire les pays peu industrialisés) est désormais interdite. Les exportations vers les pays de l’OCDE et au sein de l’UE sont également plus strictement réglementées.
L’interdiction de la Chine comme point de comparaison
La France a exporté 4 millions de tonnes métriques (Mt) de déchets plastiques entre 2010 et 2019. Environ un quart de ces déchets a été expédié principalement vers la Chine, le reste a été envoyé majoritairement vers d’autres pays de l’UE. Pour mieux prévoir l’impact des nouveaux changements réglementaires mis en place par la Commission européenne, nous avons analysé comment les exportateurs français s’étaient adaptés à l’interdiction chinoise – en termes de quantités exportées, de destinations et de prix.
Nous avons utilisé un ensemble de données fournies par les douanes françaises, qui ne prennent cependant pas en compte le commerce clandestin, difficile à estimer. Nous avons comparé l’évolution de deux groupes d’entreprises à la suite de la décision chinoise. Le premier (que nous avons nommé le « groupe traité ») exportait activement vers la Chine en 2016 ou 2017. Le deuxième (le « groupe témoin ») n’exportait pas vers ces destinations.
Que montre l’étude ?
Un effondrement du commerce mondial de déchets plastiques, qui a été divisé par deux dès 2018. Elle souligne également que la moitié des déchets précédemment dirigés vers la Chine a été réorientée vers d’autres pays (figure 2). Donc, le problème a en grande partie été déplacé.
En ce qui concerne la France, elle a augmenté ses exportations vers la Malaisie et d’autres pays d’Asie de l’Est, mais pas vraiment vers l’UE, ce qui implique que ce dernier marché était déjà saturé. Dans l’ensemble, ses exportations ont chuté de 30 000 tonnes en 2018, ce qui suggère qu’une plus grande quantité de déchets plastiques a dû être traitée au niveau national. Les entreprises françaises traitées étaient également 15 % plus susceptibles d’exporter vers l’UE en 2018, et 22 % plus susceptibles en 2019. Les chiffres sont plus élevés pour les exportations en dehors de l’UE, avec une augmentation additionnelle de 39 % en 2018 et 37 % en 2019.
Nous avons cependant constaté que la dynamique est assez différente pour les deux ensembles de destinations : les entreprises traitées ont immédiatement réagi en redirigeant leurs exportations vers des pays extérieurs à l’UE, mais également vers des partenaires européens, à partir de 2018 mais surtout en 2019. Une période de temps plus longue serait nécessaire pour confirmer ces tendances.
La qualité des exportations françaises et les prix
L’interdiction de la Chine a également eu un impact sur le type de déchets plastiques exportés par la France vers différents pays. Les données indiquent que la Malaisie a pris la place de la Chine pour les déchets de mauvaise qualité. Ces derniers sont vendus en moyenne 60 % moins cher que le prix moyen des exportations vers les Pays-Bas (un partenaire commercial important pour la France) pour les mêmes catégories de produits.
De plus, les pays européens semblent avoir réorganisé la gestion de leurs déchets plastiques, avec une forme de spécialisation. La Belgique est devenue une plateforme, tandis que l’Allemagne et les Pays-Bas importent les déchets les moins chers pour les brûler et produire une énergie en provenance du recyclage. Certains pays, comme l’Italie et l’Espagne, semblent se spécialiser dans le traitement de déchets de meilleure qualité, plus chers.
Conclusions
La manière dont l’interdiction chinoise de 2017 a affecté les exportations françaises à la fois au sein du marché européen et dans le reste du monde peut fournir des informations précieuses sur la façon dont la France s’adaptera à la nouvelle réglementation européenne de 2021. Une conséquence importante : une grande partie des déchets français difficiles à recycler devront désormais être traités au niveau national. À court terme, cela nécessitera un investissement massif dans des capacités de tri et de recyclage modernes et efficaces – surtout si nous voulons éviter l’augmentation du commerce illégal dans ce secteur lucratif, ce qui arrive généralement lorsque l’on durcit les règles sans investir.
Notre étude donne des pistes pour agir vite en utilisant les plans tels que le Pacte vert pour l’Europe, qui vise à recycler 50 % des déchets plastiques générés par l’UE d’ici 2030. Grâce à une coordination intra-UE, le commerce des déchets plastiques pourrait devenir une source de gains économiques pour notre continent d’ici 2030, tout en profitant à l’environnement.