Covid-19 : le recul de l’immigration va renforcer la dégradation de l’économie
En 2020, 220 535 premiers titres de séjour ont été délivrés par la France, soit une diminution de 20,5% par rapport à 2019. Le motif familial reste le premier motif d’attribution (75 245) mais diminue de 16,9%. Les étudiants étrangers sont moins nombreux (71 900, en baisse de 20,4%) et l’immigration économique (26 950) * est la plus touchée par la crise du Covid-19 avec une diminution de 31%. Quelles sont les conséquences de ce repli ?
Si le repli ne dure pas, les effets seront assez limités, notamment en comparaison des autres catastrophes engendrées par la pandémie. Si en revanche on assiste à des restrictions durables de mobilité internationale – que ce soit en raison de l’évolution sanitaire ou en raison d’un changement de paradigme et d’une fermeture des sociétés sur elles-mêmes –, les effets seront fortement négatifs pour l’économie. Nos travaux empiriques réalisés avec Ekrame Boubtane et Dramane Coulibaly montrent en effet qu’une chute de la migration internationale réduit le revenu par habitant, augmente le chômage, détériore le solde des finances publiques et contribue à l’accroissement de certaines inégalités.
La décomposition par motif d’admission au séjour que vous évoquez permet en outre de préciser cette analyse globale. La moitié des ressortissants non européens entrant chaque année en France sont admis pour rejoindre leur famille (qu’ils soient conjoints de Français ou d’étrangers). La chute de ce flux constitue une perte de bien-être pour les foyers concernés et une entorse au droit à vivre avec sa famille. Au début de la crise, on a ainsi constaté un traitement différent entre les Français à l’étranger souhaitant revenir en France et les étrangers souhaitant rejoindre leur famille résidant légalement en France.
Le quart du flux de ressortissants non européens entrant chaque année en France est admis pour motif d’études. La baisse du nombre d’étudiants internationaux représente une diminution des opportunités d’acquérir des compétences ; outre les effets personnels, ceci aura des conséquences sur le développement des pays du Sud, dont la jeunesse sera moins bien formée.
La migration de travail est quant à elle minoritaire, car elle représente 10% du flux. Elle est néanmoins essentielle car elle fluidifie le marché du travail et occupe des emplois qui sinon seraient restés vacants. Les personnes immigrées sont surreprésentées dans des secteurs qui ont du mal à embaucher : le bâtiment, la restauration, les soins et services à la personne, le gardiennage ou encore l’agriculture, qui dépend des saisonniers étrangers. On l’a vu au printemps, lors du premier confinement, avec l’appel à aider les agriculteurs en France. L’économie est tout simplement moins productive quand ces emplois ne sont pas pourvus.
L’évaluation des effets de l’immigration ne doit pas se limiter à des approches microéconomiques car de nombreuses externalités sont en jeu.
D’un point de vue économique, que peut-on dire de la baisse du nombre de personnes admises en tant qu’étudiants ou pour des motifs familiaux ?
Même lorsqu’elles ne sont pas admises au séjour pour un motif économique, les personnes immigrées peuvent contribuer à l’économie. Dans un article publié en 2016 dans les Annales d’Économie et de Statistiques, nous avions même montré que les personnes arrivant pour motifs familiaux contribuaient plus que les autres. Ceci s’explique par le fait qu’elles travaillent, paient des impôts et surtout consomment en France. L’évaluation des effets de l’immigration ne doit pas se limiter à des approches microéconomiques car de nombreuses externalités sont en jeu.
En ce qui concerne les étudiants, une partie d’entre eux restent en France après leurs études et constituent ainsi l’immigration qualifiée que les gouvernements désirent et que beaucoup trop d’analystes de l’immigration refusent de voir, en répétant inlassablement que l’immigration en France n’est pas qualifiée. L’enjeu est important : une étude a montré qu’aux États-Unis les étudiants étrangers étaient plus susceptibles que les étudiants américains de déposer un brevet. En soutien à ces statistiques, les anecdotes sont nombreuses et sans remonter à Marie Curie, on peut citer Özlem Türeci et Ugur Sahin (le vaccin à ARN messager de BioNTech) en Allemagne ou encore Sergey Brin (Google) aux États-Unis.
Y’a‑t-il des zones de concurrence pour certains emplois entre Français, Européens et extra-communautaires ?
Il existe une concurrence pour des compétences qui viennent de pays tiers (hors UE) et de pays communautaires (UE), notamment les pays d’Europe de l’Est. Les ressortissants des pays de l’Union Européenne ont été près de 80 000 en 2017 à venir s’installer en France ; c’est cinq fois moins qu’en Allemagne et, relativement à la population active française, ces faibles flux sont insuffisants pour répondre aux besoins économiques. En effet, la France emploie massivement des travailleurs détachés – plus de 240 000 personnes en 2017, soit trois fois plus qu’il y a dix ans – qui ne relèvent pas de l’immigration car ils viennent dans le cadre d’une mission ponctuelle, mais qui engendrent un scandaleux dumping social. Ces besoins non pourvus de l’économie française révèlent également que l’offre éducative en France ne correspond pas complètement aux besoins du pays.
Quelles sont les conséquences du Brexit sur l’économie et le marché de l’emploi au Royaume-Uni ?
L’immigration vers le Royaume-Uni n’a pas diminué ces dernières années mais, en revanche, elle a moins augmenté que l’émigration. Le solde des deux est en baisse constante depuis 2016. Et autant l’immigration est favorable à l’activité et à l’emploi d’un pays, autant l’émigration a l’effet inverse. Cette évolution a donc un caractère récessif pour le Royaume-Uni.
Propos recueillis par Clément Boulle
* Le solde comprend l’immigration pour raisons humanitaires (32 080, en baisse de 15,3%) et celle pour raisons diverses (14 360, ‑26,7%). Source : Ministère de l’Intérieur.