Un ensemble de normes internationales est en préparation afin de donner une définition précise de l’économie circulaire, de fixer les modalités de la transition vers ce modèle et d’en mesurer les réussites. Catherine Chevauché dirige le comité qui élabore cette série de normes ISO visant à aider les organisations à passer d’une économie linéaire à une économie circulaire. Elle travaille depuis longtemps sur la contribution à la neutralité carbone d’activités industrielles, notamment dans le secteur de l’eau et des déchets, d’abord au sein du groupe Suez et est maintenant directrice Économie Circulaire chez Veolia.
De quand date cette volonté d’appliquer des normes à l’économie circulaire ?
En France, c’est en 2018 que l’Association française de normalisation (Afnor) a publié une première norme sur la gestion de projet circulaire, à titre expérimental. Suite à cela, la France a proposé à l’ISO, Organisation internationale de normalisation, de créer un comité technique pour rédiger des normes internationales sur l’économie circulaire. J’étais à cette époque responsable climat et économie circulaire chez Suez et je me suis portée candidate pour prendre la tête de ce comité, créé en 2019. Aujourd’hui, 96 pays et une quinzaine d’organismes de liaisons (Fondation Ellen MacArthur, Organisation des Nations unies pour le développement industriel, Organisation mondiale des douanes, etc.), participent à la rédaction de ces normes.
Qu’est-ce qu’il est possible d’encadrer quand on parle d’économie circulaire ?
De même qu’il existe des normes ISO 9 000 relatives à la qualité des produits, ou des normes ISO 14 000 pour le management environnemental, nous allons avoir une série de normes 59 000 sur l’économie circulaire. La première (59 004) donnera les grands principes que les organisations doivent intégrer pour passer de l’économie linéaire (extraire, fabriquer, consommer et jeter) à l’économie circulaire (éviter, réparer, réutiliser et recycler) : partager la valeur, conserver la valeur, minimiser les prélèvements de ressources dans l’environnement, rester dans les limites planétaires, etc. Et ce quelles que soient les organisations, qu’elles appartiennent au secteur public ou privé, qu’il s’agisse d’associations ou d’entreprises.
La norme 59 004 donnera les grands principes pour passer de l’économie linéaire à l’économie circulaire.
Une seconde norme (59 010) va traiter de la transition entre un modèle d’affaires linéaire et un modèle circulaire, en adoptant un état d’esprit partenarial plutôt que des relations client/fournisseur classiques. La série 59 020 proposera des indicateurs de mesure et d’évaluation de la circularité des produits et des organisations. Enfin, deux autres normes (59 040 et 59 014) vont modéliser des fiches produits, qui permettront de mieux connaître leur composition pour mieux les valoriser et mieux traiter les matières secondaires. Toutes ces différentes normes devraient être publiées en 2024.
Comment obtenir un consensus entre les pays sur ces sujets ?
Il est essentiel de veiller à ce que les normes soient équitables et pertinentes pour tous les pays. Nous nous appuyons pour cela sur une répartition géographique équilibrée des directions des différents groupes de travail. L’un de ces groupes est co-présidé par la France et le Brésil, un autre par le Rwanda et le Japon, un autre par la Suisse et l’Île Maurice, etc. À chaque étape, nous procédons par consultations et votes intermédiaires. Bien sûr, il y a des arbitrages parfois compliqués comme par exemple sur la question de l’incinération avec récupération d’énergie.
Mais le comité doit agir rapidement pour répondre à l’urgence environnementale et sociale. C’est pourquoi nous travaillons en parallèle sur ces différentes normes, pour être en mesure de les publier rapidement et en même temps. Ensuite, il faudra se pencher sur les questions de certification et de contrôle du respect de ces normes.
Y a‑t-il une obligation de respecter ces normes ?
Non, l’adoption des normes ISO repose toujours sur une démarche de volontariat. Mais dans le cas présent, on peut espérer que beaucoup de pays s’en saisissent, et l’on espère qu’une même démarche puisse s’enclencher au niveau européen. En tout cas, ce travail de réflexion et de rédaction oblige déjà chacun des acteurs à se poser ces questions, à réaliser l’impact de son activité sur l’environnement sans oublier son impact sociétal, et, je l’espère, à agir de façon plus responsable.
Bientôt un passeport numérique pour connaître la durabilité des produits
La Commission européenne a élaboré un règlement (ESPR) sur l’Écoconception pour améliorer la circularité des produits de l’Union Européenne, la performance énergétique et d’autres aspects liés à la durabilité environnementale. Dans ce cadre, elle travaille à l’élaboration d’un Digital Product Passport (DPP), ou passeport numérique des produits. Cette fiche numérique fournira des informations sur l’origine, la composition, les options de réparation et de démontage d’un produit ainsi que la manière dont les différents composants peuvent être recyclés. Ce passeport sera exigé pour l’ensemble des produits mis sur le marché dans l’Union européenne, y compris les composants et les produits intermédiaires. Seules quelques catégories de produits comme que les produits alimentaires, les aliments pour animaux et les produits médicinaux sont exemptés. Il permettra aux parties prenantes de l’ensemble de la chaine de valeur (producteurs, importateurs, distributeurs, réparateurs, recycleurs, consommateurs, etc.), de partager et d’accéder plus facilement à ces données.