Comment préparer les futurs dirigeants au développement durable ?
- Dans la mesure où ils font le monde de demain, il est essentiel de s’intéresser à la vision qu’ont les futurs dirigeants d’entreprise des problèmes de durabilité.
- Les étudiants en MBA peuvent avoir 3 visions à ce sujet : la vision pro-économie ; la vision pro-environnement ; la vision économico-environnementale.
- Si 85 % des dirigeants montrent un fort intérêt pour les questions environnementales, ils ont du mal à les relier clairement aux enjeux économiques.
- En conséquence, de plus en plus de MBA transforment leurs contenus pour intégrer plus frontalement les questions environnementales.
- Pour ce faire, les chefs d’entreprise de demain devraient être formés aux sujets de durabilité et leurs défis, en mettant l’accent sur l’interdisciplinarité.
Même si l’urgence climatique est dans tous les esprits, il est souvent difficile de transformer les inquiétudes légitimes que cette urgence suscite en actions tangibles. Ceci est tout particulièrement le cas pour les entreprises, soumises à des injonctions apparemment totalement contradictoires : croissance, profit, et rentabilité économique d’un côté, transition et développement durable de l’autre. Si de nombreux chefs d’entreprises actuels peinent à résoudre cette équation, la question se pose de comment peut-on préparer les chefs d’entreprise de demain au développement d’activité durable. C’est précisément l’objectif de cette étude menée auprès d’étudiants de MBA par Pilar Acosta et Maria Jose Murcia.
Les résultats de cette d’étude sont d’une importance critique puisqu’ils démontrent que s’il existe chez les jeunes générations – et futurs chefs d’entreprise – une très forte appétence pour les questions environnementales, il reste toujours difficile de relier ces questions aux nécessaires enjeux économiques propres à toute entreprise. Ceci signifie que cette « transition des mentalités » chez les futurs dirigeants ne va pas de soi, et qu’il faut impérativement adapter les contenus des programmes de MBA afin non seulement d’y placer les questions de développement durable de manière centrale, mais également y mettre l’accent sur l’interdisciplinarité, approche nécessaire afin de surmonter les multiples défis liés au développement durable.
Thierry Rayna , Chaire Tech4Change
Alors que la question d’un engagement des entreprises pour la prise en compte des enjeux environnementaux actuels devient de plus en plus urgente, cette étude s’interroge sur la vision qu’ont les futurs managers d’entreprise des questions de développement durable, et renforce l’importance d’aborder ces dernières durant leur formation.
Réalisée avant la crise sanitaire du Covid-19, l’étude de la docteure en gestion Pilar Acosta et de la professeure Maria Jose Murcia (Universidad Austral, IAE business school, Argentina) se place dans un contexte où la nécessité d’engagement des États et des entreprises vers une véritable durabilité devient encore plus pressante depuis la pandémie.
Le développement durable, ayant pour but de réconcilier croissance économique et contraintes environnementales, comme la limite des ressources naturelles, se démarque comme une solution de choix aux problèmes écologiques. Mais la faisabilité d’un tel changement dans notre société, très orientée vers des objectifs de croissance, est encore débattue.
L’étude menée ici s’intéresse aux moyens de changer la vision qu’ont les chefs d’entreprise du développement durable. Cette vision, déterminante pour l’élaboration de stratégies commerciales, façonne le courant de pensée économique en place. Les décisions prises par les entreprises ont un véritable impact environnemental, économique et social. Ainsi, il est pertinent de s’interroger sur la perception qu’ont les futurs dirigeants d’entreprise des problématiques de durabilité, et leur vision des relations interconnectées entre trois facteurs : croissance économique, prospérité sociale et environnement.
Principale voie d’accès à la direction d’entreprise, les masters en administration des affaires (MBA) forment les chefs d’entreprise de demain. C’est donc en interrogeant les étudiants de ce type de parcours que l’étude a pu déterminer leur conception du développement durable, et comment celle-ci, associée aux informations et valeurs qu’ils considèrent, influence leurs décisions.
Environnement ou croissance économique ?
L’étude, conduite stratégiquement en Amérique latine, région contenant la plus grande biodiversité mondiale et de nombreuses ressources naturelles, a mis en évidence trois conceptions majeures des étudiants concernant les relations entre croissance économique, bien-être social et environnement :
- La vision pro-économie : Ces futurs managers privilégient la croissance économique, ne s’intéressant aux problèmes sociaux et environnementaux que lorsqu’ils s’alignent sur les objectifs économiques.
- La vision pro-environnement : Pour près d’un tiers des interrogés, la problématique environnementale est centrale. Privilégiant la réduction de consommation des ressources naturelles, ce groupe ne parvient cependant pas à complètement lier l’augmentation de cette consommation et l’impact environnemental du à la croissance économique.
- La vision économico-environnementale : Plus de la moitié des futurs chefs d’entreprise interrogés montrent un intérêt face aux problématiques environnementales tout en favorisant la croissance économique. Ce groupe se retrouve alors tiraillé, notamment quant aux effets bénéfiques de la croissance économique au niveau social, ou aux rôles des nouvelles technologies dans la lutte contre les problèmes environnementaux.
Ainsi, une grande majorité (85 %) des dirigeants économiques de demain montre un fort intérêt pour les questions environnementales mais aussi sociales, tout en reconnaissant l’importance de la croissance économique. Face au développement durable, nos futurs managers d’entreprise ne recherchent pas exclusivement le profit, pas plus qu’ils ne cherchent parfaitement à concilier des objectifs contradictoires. Mais cette étude montre également une compréhension mitigée des futurs managers quant aux connexions entre les aspects économiques, sociaux et environnementaux du développement durable. En pratique, cette lacune peut se traduire par une difficulté de prise de décisions nécessitant l’intégration d’informations de ces thématiques interconnectées.
Adapter la formation des futurs chefs d’entreprise aux problématiques de développement durable
Le concept de développement durable représente un immense défi puisqu’il faut prendre en considération l’interaction de nombreuses thématiques (économie, qualité de vie et respect de l’environnement…) et cela sur différentes échelles de temps (solutions à court, moyen et long terme). Il n’est donc pas étonnant de constater que les interrogés, tout comme le reste de la population, aient du mal à donner du sens à certaines informations.
Les futurs chefs d’entreprise représentant un maillon crucial dans la mise en place d’une économie durable, il apparaît essentiel de les préparer au mieux à la gestion des problématiques du développement durable. Il n’est donc pas surprenant que de plus en plus de MBA transforment leurs contenus pour intégrer plus frontalement les questions environnementales.
85 % des dirigeants économiques de demain montrent un fort intérêt pour les questions environnementales.
L’étude menée propose non seulement de présenter ces sujets de durabilité lors du parcours éducatif des chefs d’entreprise de demain, mais surtout de les faire se confronter aux multiples défis que cela implique en mettant l’accent sur l’interdisciplinarité. Les étudiants seraient mis face à des situations complexes, parfois paradoxales, remettant en question leur propre perception de ces thématiques. Le travail sur ces sujets, en groupe, et sous forme de simulations et études de cas en interaction avec des acteurs académiques, industriels et gouvernementaux, permettrait de développer un raisonnement critique et des débats constructifs, moteurs d’un changement de point de vue sur le développement durable.
Que ce soit celle des futurs chefs d’entreprise ou de tout un chacun, la prise de conscience des contradictions et paradoxes de notre perception du développement durable, bien que déstabilisante, pourrait motiver des changements de comportement à l’impact majeur pour notre économie, notre société et notre planète.