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π Économie

Comment préparer les futurs dirigeants au développement durable ?

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Pilar Acosta
professeure en management de l'innovation à l'École polytechnique (IP Paris)
Maria Jose Murcia
Maria Jose Murcia
professeur à l'IAE Business School et à la School of Business Administration (Universidad Austral)
Thierry Rayna
Thierry Rayna
chercheur au laboratoire CNRS i³-CRG* et professeur de l’École polytechnique (IP Paris)
En bref
  • Dans la mesure où ils font le monde de demain, il est essentiel de s’intéresser à la vision qu’ont les futurs dirigeants d’entreprise des problèmes de durabilité.
  • Les étudiants en MBA peuvent avoir 3 visions à ce sujet : la vision pro-économie ; la vision pro-environnement ; la vision économico-environnementale.
  • Si 85 % des dirigeants montrent un fort intérêt pour les questions environnementales, ils ont du mal à les relier clairement aux enjeux économiques.
  • En conséquence, de plus en plus de MBA transforment leurs contenus pour intégrer plus frontalement les questions environnementales.
  • Pour ce faire, les chefs d’entreprise de demain devraient être formés aux sujets de durabilité et leurs défis, en mettant l’accent sur l’interdisciplinarité.

Même si l’urgence cli­ma­tique est dans tous les esprits, il est sou­vent dif­fi­cile de trans­former les inquié­tudes légitimes que cette urgence sus­cite en actions tan­gi­bles. Ceci est tout par­ti­c­ulière­ment le cas pour les entre­pris­es, soumis­es à des injonc­tions apparem­ment totale­ment con­tra­dic­toires : crois­sance, prof­it, et rentabil­ité économique d’un côté, tran­si­tion et développe­ment durable de l’autre. Si de nom­breux chefs d’entreprises actuels peinent à résoudre cette équa­tion, la ques­tion se pose de com­ment peut-on pré­par­er les chefs d’entreprise de demain au développe­ment d’activité durable. C’est pré­cisé­ment l’objectif de cette étude menée auprès d’étudiants de MBA par Pilar Acos­ta et Maria Jose Murcia. 

Les résul­tats de cette d’étude sont d’une impor­tance cri­tique puisqu’ils démon­trent que s’il existe chez les jeunes généra­tions – et futurs chefs d’entreprise – une très forte appé­tence pour les ques­tions envi­ron­nemen­tales, il reste tou­jours dif­fi­cile de reli­er ces ques­tions aux néces­saires enjeux économiques pro­pres à toute entre­prise. Ceci sig­ni­fie que cette « tran­si­tion des men­tal­ités » chez les futurs dirigeants ne va pas de soi, et qu’il faut impéra­tive­ment adapter les con­tenus des pro­grammes de MBA afin non seule­ment d’y plac­er les ques­tions de développe­ment durable de manière cen­trale, mais égale­ment y met­tre l’accent sur l’interdisciplinarité, approche néces­saire afin de sur­mon­ter les mul­ti­ples défis liés au développe­ment durable. 

Thier­ry Ray­na , Chaire Tech4Change

Alors que la ques­tion d’un engage­ment des entre­pris­es pour la prise en compte des enjeux envi­ron­nemen­taux actuels devient de plus en plus urgente, cette étude s’interroge sur la vision qu’ont les futurs man­agers d’entreprise des ques­tions de développe­ment durable, et ren­force l’importance d’aborder ces dernières durant leur formation.

Réal­isée avant la crise san­i­taire du Covid-19, l’étude de la doc­teure en ges­tion Pilar Acos­ta et de la pro­fesseure Maria Jose Mur­cia (Uni­ver­si­dad Aus­tral, IAE busi­ness school, Argenti­na) se place dans un con­texte où la néces­sité d’engagement des États et des entre­pris­es vers une véri­ta­ble dura­bil­ité devient encore plus pres­sante depuis la pandémie. 

Le développe­ment durable, ayant pour but de réc­on­cili­er crois­sance économique et con­traintes envi­ron­nemen­tales, comme la lim­ite des ressources naturelles, se démar­que comme une solu­tion de choix aux prob­lèmes écologiques. Mais la fais­abil­ité d’un tel change­ment dans notre société, très ori­en­tée vers des objec­tifs de crois­sance, est encore débattue. 

L’étude menée ici s’intéresse aux moyens de chang­er la vision qu’ont les chefs d’entreprise du développe­ment durable. Cette vision, déter­mi­nante pour l’élaboration de straté­gies com­mer­ciales, façonne le courant de pen­sée économique en place. Les déci­sions pris­es par les entre­pris­es ont un véri­ta­ble impact envi­ron­nemen­tal, économique et social. Ain­si, il est per­ti­nent de s’interroger sur la per­cep­tion qu’ont les futurs dirigeants d’entreprise des prob­lé­ma­tiques de dura­bil­ité, et leur vision des rela­tions inter­con­nec­tées entre trois fac­teurs : crois­sance économique, prospérité sociale et environnement. 

Prin­ci­pale voie d’accès à la direc­tion d’entreprise, les mas­ters en admin­is­tra­tion des affaires (MBA) for­ment les chefs d’entreprise de demain. C’est donc en inter­ro­geant les étu­di­ants de ce type de par­cours que l’étude a pu déter­min­er leur con­cep­tion du développe­ment durable, et com­ment celle-ci, asso­ciée aux infor­ma­tions et valeurs qu’ils con­sid­èrent, influ­ence leurs décisions. 

Environnement ou croissance économique ? 

L’étude, con­duite stratégique­ment en Amérique latine, région con­tenant la plus grande bio­di­ver­sité mon­di­ale et de nom­breuses ressources naturelles, a mis en évi­dence trois con­cep­tions majeures des étu­di­ants con­cer­nant les rela­tions entre crois­sance économique, bien-être social et environnement : 

  • La vision pro-économie : Ces futurs man­agers priv­ilégient la crois­sance économique, ne s’intéressant aux prob­lèmes soci­aux et envi­ron­nemen­taux que lorsqu’ils s’alignent sur les objec­tifs économiques. 
  • La vision pro-envi­ron­nement : Pour près d’un tiers des inter­rogés, la prob­lé­ma­tique envi­ron­nemen­tale est cen­trale. Priv­ilé­giant la réduc­tion de con­som­ma­tion des ressources naturelles, ce groupe ne parvient cepen­dant pas à com­plète­ment lier l’augmentation de cette con­som­ma­tion et l’impact envi­ron­nemen­tal du à la crois­sance économique. 
  • La vision éco­nom­i­co-envi­ron­nemen­tale : Plus de la moitié des futurs chefs d’entreprise inter­rogés mon­trent un intérêt face aux prob­lé­ma­tiques envi­ron­nemen­tales tout en favorisant la crois­sance économique. Ce groupe se retrou­ve alors tirail­lé, notam­ment quant aux effets béné­fiques de la crois­sance économique au niveau social, ou aux rôles des nou­velles tech­nolo­gies dans la lutte con­tre les prob­lèmes environnementaux. 

Ain­si, une grande majorité (85 %) des dirigeants économiques de demain mon­tre un fort intérêt pour les ques­tions envi­ron­nemen­tales mais aus­si sociales, tout en recon­nais­sant l’importance de la crois­sance économique. Face au développe­ment durable, nos futurs man­agers d’entreprise ne recherchent pas exclu­sive­ment le prof­it, pas plus qu’ils ne cherchent par­faite­ment à con­cili­er des objec­tifs con­tra­dic­toires. Mais cette étude mon­tre égale­ment une com­préhen­sion mit­igée des futurs man­agers quant aux con­nex­ions entre les aspects économiques, soci­aux et envi­ron­nemen­taux du développe­ment durable. En pra­tique, cette lacune peut se traduire par une dif­fi­culté de prise de déci­sions néces­si­tant l’intégration d’informations de ces thé­ma­tiques interconnectées. 

Adapter la formation des futurs chefs d’entreprise aux problématiques de développement durable 

Le con­cept de développe­ment durable représente un immense défi puisqu’il faut pren­dre en con­sid­éra­tion l’interaction de nom­breuses thé­ma­tiques (économie, qual­ité de vie et respect de l’environnement…) et cela sur dif­férentes échelles de temps (solu­tions à court, moyen et long terme). Il n’est donc pas éton­nant de con­stater que les inter­rogés, tout comme le reste de la pop­u­la­tion, aient du mal à don­ner du sens à cer­taines informations. 

Les futurs chefs d’entreprise représen­tant un mail­lon cru­cial dans la mise en place d’une économie durable, il appa­raît essen­tiel de les pré­par­er au mieux à la ges­tion des prob­lé­ma­tiques du développe­ment durable. Il n’est donc pas sur­prenant que de plus en plus de MBA trans­for­ment leurs con­tenus pour inté­gr­er plus frontale­ment les ques­tions environnementales. 

85 % des dirigeants économiques de demain mon­trent un fort intérêt pour les ques­tions environnementales.

L’étude menée pro­pose non seule­ment de présen­ter ces sujets de dura­bil­ité lors du par­cours édu­catif des chefs d’entreprise de demain, mais surtout de les faire se con­fron­ter aux mul­ti­ples défis que cela implique en met­tant l’accent sur l’interdisciplinarité. Les étu­di­ants seraient mis face à des sit­u­a­tions com­plex­es, par­fois para­doxales, remet­tant en ques­tion leur pro­pre per­cep­tion de ces thé­ma­tiques. Le tra­vail sur ces sujets, en groupe, et sous forme de sim­u­la­tions et études de cas en inter­ac­tion avec des acteurs académiques, indus­triels et gou­verne­men­taux, per­me­t­trait de dévelop­per un raison­nement cri­tique et des débats con­struc­tifs, moteurs d’un change­ment de point de vue sur le développe­ment durable. 

Que ce soit celle des futurs chefs d’entreprise ou de tout un cha­cun, la prise de con­science des con­tra­dic­tions et para­dox­es de notre per­cep­tion du développe­ment durable, bien que désta­bil­isante, pour­rait motiv­er des change­ments de com­porte­ment à l’impact majeur pour notre économie, notre société et notre planète. 

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