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4 questions macroéconomiques pour un avenir incertain

Patrick_Artus
Patrick Artus
chef économiste chez Natixis
En bref
  • Depuis la fin des années 1990, le pouvoir de négociation des salariés sur le marché du travail s’est continûment affaibli en raison de la déréglementation des marchés du travail et du recul de la syndicalisation.
  • À l’avenir, si l’inflation progresse et que les salaires augmentent, cela conduirait inévitablement à une hausse importante des taux d’intérêt et donc à un renchérissement de la dette difficilement supportable.
  • On attend au moins 120 000 pertes d’emplois dans le secteur de la construction automobile en raison de la transition énergétique, si aucune mesure n’est prise.
  • Plus que jamais les analyses macro-économiques sont dominées par l’incertitude liée à la transition énergétique, le salariat, la hausse des investissements et la numérisation. Une incertitude à laquelle se rajoute la guerre en Ukraine.

Il est utile de se tourn­er vers la macroé­conomie pour une étude prospec­tive. En s’y con­sacrant, cette dis­ci­pline met en avant 4 ques­tions majeures qui déter­mineront sûre­ment notre avenir proche. Entre le pou­voir de négo­ci­a­tion des salariés vis-à-vis des entre­pris­es, l’équilibre entre épargne et investisse­ment, les « dégâts » économiques et soci­aux de la tran­si­tion énergé­tique et, enfin, le lien entre numéri­sa­tion de l’économie et gains de pro­duc­tiv­ité, une mise en garde face à un avenir poten­tielle­ment incer­tain doit être faite. 

#1 — Les salariés vont-ils reprendre le pouvoir ?

Depuis la fin des années 1990, le pou­voir de négo­ci­a­tion des salariés sur le marché du tra­vail s’est con­tinû­ment affaib­li en rai­son de la déré­gle­men­ta­tion des marchés du tra­vail et du recul de la syn­di­cal­i­sa­tion. De cet affaib­lisse­ment résulte une défor­ma­tion du partage des revenus au détri­ment des salariés (pour l’ensemble des pays de l’OCDE, depuis 20 ans, le salaire réel n’a aug­men­té que du tiers de la pro­duc­tiv­ité). Par con­séquent, comme la crois­sance des salaires et l’inflation ont été faibles, il a été per­mis de baiss­er les taux d’intérêt.

Si à l’avenir l’inflation pro­gres­sait et si les salaires aug­men­taient, cela con­duirait inévitable­ment à une hausse impor­tante des taux d’intérêt et donc à un renchérisse­ment de la dette dif­fi­cile à sup­port­er. Pen­dant la crise du COVID, les taux de marge des entre­pris­es ont aug­men­té, ce qui mon­tre que le pou­voir de négo­ci­a­tion des salariés est encore faible. Pour­rait-il pro­gress­er dans le futur ? Il faut recon­naître que la pres­sion pour redress­er les salaires, en par­ti­c­uli­er les bas salaires, est aujourd’hui forte en rai­son de l’inflation, ce qui pour­rait con­duire à une hausse du pou­voir de négo­ci­a­tion des salariés, par exem­ple s’il y a une hausse organ­isée des salaires minima.

#2 — La hausse de l’investissement peut elle provoquer une insuffisance globale de l’épargne ?

La deux­ième ques­tion impor­tante est celle de l’évolution de l’équilibre entre épargne et investisse­ment. Depuis 20 ans, le monde est en sit­u­a­tion d’excès d’épargne, donc d’excès de demande pour les titres sans risque (bons du Tré­sor, oblig­a­tions). Ceci est la con­séquence d’un taux d’épargne élevé en Europe ain­si que d’un taux d’épargne très élevé en Chine, comme dans bien d’autres pays d’Asie. Cette sit­u­a­tion a con­tribué à la baisse des taux d’intérêt à long terme, nom­inaux et réels, même si cette baisse vient aus­si de poli­tiques moné­taires durable­ment expansionnistes.

Si, dans le futur, la sit­u­a­tion d’excès d’épargne dis­paraît, il y aurait donc une hausse des taux d’intérêt d’équilibre, avec des effets négat­ifs con­nus sur la solv­abil­ité des emprun­teurs. Or, il est pos­si­ble que cette sit­u­a­tion d’excès d’épargne dis­paraisse dans le futur. D’une part, la tran­si­tion énergé­tique va exiger une hausse forte du taux d’investissement dans le monde (pour la pro­duc­tion d’énergies renou­ve­lables, pour la réno­va­tion ther­mique des bâti­ments), qu’on estime à 4 points de PIB glob­al ; d’autre part, le vieil­lisse­ment démo­graphique devrait en principe faire baiss­er le taux d’épargne (les retraités désé­pargnant). Il est donc nor­mal d’attendre la dis­pari­tion de l’excès d’épargne. Pour­tant un doute sub­siste, puisque par exem­ple au Japon, le vieil­lisse­ment démo­graphique n’a pas fait dis­paraître l’excès d’épargne.

#3 — Quels « dégâts » issus de la transition énergétique ?

La troisième per­spec­tive con­cerne les effets de la tran­si­tion énergé­tique et plus pré­cisé­ment des coûts de la tran­si­tion énergé­tique. Ils sont con­nus : destruc­tion de cap­i­tal pro­duc­tif dans les indus­tries touchées (éner­gies fos­siles, auto­mo­biles ther­miques), hausse des prix de l’énergie (avec les coûts qui vien­nent de l’intermittence de la pro­duc­tion d’énergies renou­ve­lables), destruc­tions d’emplois, trans­for­ma­tion des com­pé­tences néces­saires. Si des poli­tiques cor­rec­tri­ces fortes ne sont pas mis­es en place (requal­i­fi­ca­tion des salariés, aides aux indus­triels touchés, poli­tiques redis­trib­u­tives en faveur des ménages mod­estes qui vont souf­frir de la hausse des prix de l’énergie), la perte de crois­sance et la hausse du chô­mage pour­raient être fortes.

La ques­tion de l’ampleur des coûts de la tran­si­tion est donc cen­trale pour l’économie et la sit­u­a­tion sociale. Prenons l’exemple de la fil­ière auto­mo­bile (con­struc­tion, com­merce, répa­ra­tion). On y attend au moins 120 000 pertes d’emplois en rai­son de la tran­si­tion énergé­tique. Si aucune action forte de requal­i­fi­ca­tion n’est mise en place, le prob­lème social sera majeur, en par­ti­c­uli­er dans les ter­ri­toires où l’industrie auto­mo­bile est concentrée.

#4 — La numérisation va-t-elle générer des gains de productivité ?

La dernière ques­tion est celle du lien entre numéri­sa­tion et gains de pro­duc­tiv­ité (et donc crois­sance poten­tielle). La crise du Covid a provo­qué une accéléra­tion de la dig­i­tal­i­sa­tion de l’économie, avec le com­merce en ligne, le télé­tra­vail et la robo­t­i­sa­tion de cer­tains secteurs. On peut s’attendre à des gains de pro­duc­tiv­ité plus rapi­des en rai­son de cette numéri­sa­tion de l’économie, mais il con­vient de recon­naître que ce n’est pas cer­tain. Avec la mul­ti­pli­ca­tion des emplois de la dis­tri­b­u­tion en ligne et des plate­formes Inter­net, qui ont un niveau de gain de pro­duc­tiv­ité faible, la pro­duc­tiv­ité glob­ale ne peut qu’être tirée vers le bas. Plus que jamais les analy­ses macro-économiques sont dom­inées par l’incertitude liée à ces qua­tre fac­teurs auquel on peut ajouter la guerre en Ukraine.

Auteurs

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Patrick Artus

chef économiste chez Natixis

Diplômé de l'Ecole Polytechnique, de l'Ecole Nationale de la Statistique et de l'Administration Economique et de l'Institut d'Etudes Politiques de Paris, Patrick Artus a été jusqu’en 2020 Directeur de la Recherche et des Etudes de NATIXIS puis Chef économiste et Membre du Comité Exécutif. Il cumule ses fonctions d'enseignant avec ses travaux de recherche et s'associe à diverses revues ou associations économiques. Aujourd’hui Patrick Artus est membre des Conseils d’administration de TOTAL et d'IPSOS en qualité d'Administrateur, et Conseiller économique de Natixis.

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