4 questions macroéconomiques pour un avenir incertain
- Depuis la fin des années 1990, le pouvoir de négociation des salariés sur le marché du travail s’est continûment affaibli en raison de la déréglementation des marchés du travail et du recul de la syndicalisation.
- À l’avenir, si l’inflation progresse et que les salaires augmentent, cela conduirait inévitablement à une hausse importante des taux d’intérêt et donc à un renchérissement de la dette difficilement supportable.
- On attend au moins 120 000 pertes d’emplois dans le secteur de la construction automobile en raison de la transition énergétique, si aucune mesure n’est prise.
- Plus que jamais les analyses macro-économiques sont dominées par l’incertitude liée à la transition énergétique, le salariat, la hausse des investissements et la numérisation. Une incertitude à laquelle se rajoute la guerre en Ukraine.
Il est utile de se tourner vers la macroéconomie pour une étude prospective. En s’y consacrant, cette discipline met en avant 4 questions majeures qui détermineront sûrement notre avenir proche. Entre le pouvoir de négociation des salariés vis-à-vis des entreprises, l’équilibre entre épargne et investissement, les « dégâts » économiques et sociaux de la transition énergétique et, enfin, le lien entre numérisation de l’économie et gains de productivité, une mise en garde face à un avenir potentiellement incertain doit être faite.
#1 — Les salariés vont-ils reprendre le pouvoir ?
Depuis la fin des années 1990, le pouvoir de négociation des salariés sur le marché du travail s’est continûment affaibli en raison de la déréglementation des marchés du travail et du recul de la syndicalisation. De cet affaiblissement résulte une déformation du partage des revenus au détriment des salariés (pour l’ensemble des pays de l’OCDE, depuis 20 ans, le salaire réel n’a augmenté que du tiers de la productivité). Par conséquent, comme la croissance des salaires et l’inflation ont été faibles, il a été permis de baisser les taux d’intérêt.
Si à l’avenir l’inflation progressait et si les salaires augmentaient, cela conduirait inévitablement à une hausse importante des taux d’intérêt et donc à un renchérissement de la dette difficile à supporter. Pendant la crise du COVID, les taux de marge des entreprises ont augmenté, ce qui montre que le pouvoir de négociation des salariés est encore faible. Pourrait-il progresser dans le futur ? Il faut reconnaître que la pression pour redresser les salaires, en particulier les bas salaires, est aujourd’hui forte en raison de l’inflation, ce qui pourrait conduire à une hausse du pouvoir de négociation des salariés, par exemple s’il y a une hausse organisée des salaires minima.
#2 — La hausse de l’investissement peut elle provoquer une insuffisance globale de l’épargne ?
La deuxième question importante est celle de l’évolution de l’équilibre entre épargne et investissement. Depuis 20 ans, le monde est en situation d’excès d’épargne, donc d’excès de demande pour les titres sans risque (bons du Trésor, obligations). Ceci est la conséquence d’un taux d’épargne élevé en Europe ainsi que d’un taux d’épargne très élevé en Chine, comme dans bien d’autres pays d’Asie. Cette situation a contribué à la baisse des taux d’intérêt à long terme, nominaux et réels, même si cette baisse vient aussi de politiques monétaires durablement expansionnistes.
Si, dans le futur, la situation d’excès d’épargne disparaît, il y aurait donc une hausse des taux d’intérêt d’équilibre, avec des effets négatifs connus sur la solvabilité des emprunteurs. Or, il est possible que cette situation d’excès d’épargne disparaisse dans le futur. D’une part, la transition énergétique va exiger une hausse forte du taux d’investissement dans le monde (pour la production d’énergies renouvelables, pour la rénovation thermique des bâtiments), qu’on estime à 4 points de PIB global ; d’autre part, le vieillissement démographique devrait en principe faire baisser le taux d’épargne (les retraités désépargnant). Il est donc normal d’attendre la disparition de l’excès d’épargne. Pourtant un doute subsiste, puisque par exemple au Japon, le vieillissement démographique n’a pas fait disparaître l’excès d’épargne.
#3 — Quels « dégâts » issus de la transition énergétique ?
La troisième perspective concerne les effets de la transition énergétique et plus précisément des coûts de la transition énergétique. Ils sont connus : destruction de capital productif dans les industries touchées (énergies fossiles, automobiles thermiques), hausse des prix de l’énergie (avec les coûts qui viennent de l’intermittence de la production d’énergies renouvelables), destructions d’emplois, transformation des compétences nécessaires. Si des politiques correctrices fortes ne sont pas mises en place (requalification des salariés, aides aux industriels touchés, politiques redistributives en faveur des ménages modestes qui vont souffrir de la hausse des prix de l’énergie), la perte de croissance et la hausse du chômage pourraient être fortes.
La question de l’ampleur des coûts de la transition est donc centrale pour l’économie et la situation sociale. Prenons l’exemple de la filière automobile (construction, commerce, réparation). On y attend au moins 120 000 pertes d’emplois en raison de la transition énergétique. Si aucune action forte de requalification n’est mise en place, le problème social sera majeur, en particulier dans les territoires où l’industrie automobile est concentrée.
#4 — La numérisation va-t-elle générer des gains de productivité ?
La dernière question est celle du lien entre numérisation et gains de productivité (et donc croissance potentielle). La crise du Covid a provoqué une accélération de la digitalisation de l’économie, avec le commerce en ligne, le télétravail et la robotisation de certains secteurs. On peut s’attendre à des gains de productivité plus rapides en raison de cette numérisation de l’économie, mais il convient de reconnaître que ce n’est pas certain. Avec la multiplication des emplois de la distribution en ligne et des plateformes Internet, qui ont un niveau de gain de productivité faible, la productivité globale ne peut qu’être tirée vers le bas. Plus que jamais les analyses macro-économiques sont dominées par l’incertitude liée à ces quatre facteurs auquel on peut ajouter la guerre en Ukraine.