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Métavers : l’espoir, les promesses et les inconnus

« Si le métavers était une vraie révolution, il serait déjà là ! » 

Raphaël Granier de Cassagnac, chercheur au CNRS en physique des particules, porteur de la chaire « Science et Jeu vidéo » à l’École polytechnique (IP Paris), et écrivain et Clément Merville, ingénieur en informatique et président de Manzalab
Le 6 février 2023 |
4 min. de lecture
Raphaël Granier de Cassagnac
Raphaël Granier de Cassagnac
chercheur au CNRS en physique des particules, porteur de la chaire « Science et Jeu vidéo » à l’École polytechnique (IP Paris), et écrivain
Clément Merville
Clément Merville
ingénieur en informatique et président de Manzalab
En bref
  • Les métavers existent depuis de nombreuses années dans le secteur du divertissement, et particulièrement dans le monde du jeu vidéo.
  • Les casques de réalité virtuelle ne sont en aucun cas nécessaires à l’accessibilité du métavers.
  • Afin de maximiser le sentiment de présence dans le métavers, on peut se fonder sur l’impression de présence de soi, de présence spatiale et de présence des autres.
  • Des entreprises utilisent au quotidien des métavers comme la solution Teemew de Manzalab, qui permet d’animer des événements virtuels en 2D.
  • Ce type de métavers, moins énergivore, pourrait aider à produire dix fois moins de gaz à effet de serre dans les années à venir.

Les déc­la­ra­tions récentes de l’Américain Phil Spencer, dirigeant de la branche jeu vidéo de Microsoft, ont sus­cité de nom­breuses inter­ro­ga­tions, bien au-delà du cer­cle des gamers. Dans une inter­view don­née au Wall Street Jour­nal, il affir­mait sans ambages qu’un métavers n’était rien d’autre qu’un « jeu vidéo mal con­stru­it. Évoluer dans un métavers qui ressem­ble à un salon, ce n’est vrai­ment pas la façon dont je veux pass­er mon temps. » pré­ci­sait-il. Cepen­dant, il ajoutait que cette tech­nolo­gie n’en était qu’à ses débuts, et que tout cela allait « évoluer ». Faut-il lire dans ces asser­tions une posi­tion péremp­toire ou l’affirmation d’une réal­ité méconnue ?

Des jeux vidéo sont déjà des métavers

Depuis sa nais­sance dans les lab­o­ra­toires de recherche des années 1950 et 1960, le jeu vidéo est un ambas­sadeur fidèle des nou­velles tech­nolo­gies. Il per­met encore aujourd’hui une accul­tur­a­tion idéale de cer­taines inno­va­tions auprès du grand pub­lic. De la révo­lu­tion infor­ma­tique à la réal­ité virtuelle, le jeu vidéo est un évangélisa­teur né, comme le souligne Raphaël Granier de Cas­sagnac, écrivain, chercheur au CNRS en physique des par­tic­ules et directeur de la chaire « Sci­ence et Jeu vidéo » soutenue par l’École poly­tech­nique (IP Paris) et Ubisoft.

Dans les faits, Phil Spencer livre une con­stata­tion bien con­nue des joueurs. Les métavers sont en effet d’actualité depuis de longues années dans ce secteur du diver­tisse­ment. En 1993 déjà, Steve Jack­son Games lançait un jeu mas­sive­ment mul­ti­joueur, ou MMO, bap­tisé The Meta­verse. Aujourd’hui, les avatars de League of Leg­ends, deRoblox ou de World of War­craft par­courent des mon­des virtuels, s’y ren­con­trent, dia­loguent, com­mer­cent, et y vivent de for­mi­da­bles aventures. 

Le jeu vidéo per­met aujourd’hui une accul­tur­a­tion idéale de cer­taines inno­va­tions auprès du grand public. 

En étab­lis­sant des inter­ac­tions à dis­tance dans un monde virtuel grâce à des moyens de com­mu­ni­ca­tion inédits, l’émergence de com­mu­nautés sociales a non seule­ment annon­cé Face­book et Twit­ter, mais égale­ment les métavers de manière ludique et pop­u­laire. Voilà le sens des pro­pos de Phil Spencer. Mais la lim­ite d’un tel dis­cours se trou­ve dans la car­ac­téri­sa­tion même du métavers, qui dépasse large­ment l’usage exclu­sive­ment ludique. 

Un métavers ouvert à tous…

Avec la requal­i­fi­ca­tion de Face­book en Meta, nom­breux sont ceux qui ont pris pour acquise la déf­i­ni­tion de Mark Zucker­berg, c’est-à-dire un espace virtuel que tout un cha­cun peut vis­iter grâce à des casques et des manettes de réal­ité virtuelle. Le métavers est infin­i­ment plus acces­si­ble. S’il s’agit bien d’un univers virtuel per­sis­tant, ouvert en per­ma­nence, où chaque indi­vidu via son avatar peut se ren­dre pour se retrou­ver en com­pag­nie d’autres per­son­nes qui sont elles-mêmes dis­tantes les unes des autres, les casques de réal­ité virtuelle ne sont aucune­ment nécessaires.

Clé­ment Merville, prési­dent de la société Man­za­l­ab, s’ap­puie de son côté sur les sci­ences cog­ni­tives afin de max­imiser le sen­ti­ment de présence. Cette impres­sion repose sur trois piliers. Le pre­mier, c’est « l’impression de présence de soi dans cet univers » affirme-t-il. Plus l’a­vatar ressem­ble à son pro­prié­taire, plus aisé­ment un indi­vidu peut s’in­car­n­er dans ce monde virtuel. Le deux­ième pili­er du métavers, « c’est la sen­sa­tion de présence spa­tiale, c’est-à-dire de l’en­vi­ron­nement dans lequel l’avatar se trou­ve ». Ce que pré­conisent les sci­ences cog­ni­tives, c’est qu’il doit être réal­iste, le plus crédi­ble pos­si­ble. L’attention des avatars ne doit pas être détournée par un envi­ron­nement dissonant. 

Enfin, le troisième et dernier pili­er est la prise en compte de la présence des autres, celle du sen­ti­ment de com­mu­nauté, et elle se base sur les moyens de com­mu­ni­ca­tion mis à la dis­po­si­tion des par­tic­i­pants. Si pour Clé­ment Merville, nous ne pour­rons jamais attein­dre l’intensité du sen­ti­ment de présence du monde réel, le métavers peut s’en approcher en ren­dant la com­mu­ni­ca­tion la plus naturelle pos­si­ble et en retrou­vant le sens de l’in­formel qu’il est impératif de recréer, ces moments d’échange impromp­tu qui font le ciment de la vie sociale. 

Zuckerberg n’a pas le monopole du métavers

Cette struc­tura­tion cog­ni­tive s’éloigne de la vision de Mark Zucker­berg où l’audience, la pub­lic­ité, les NFT et le jeu vidéo pri­ment. Et pour cause. Avant d’être un film signé du réal­isa­teur Steven Spiel­berg, Ready Play­er One est un roman d’an­tic­i­pa­tion signé Ernest Cline. Quelques mois avant de pub­li­er son livre, l’auteur a voulu con­fron­ter sa vision du métavers avec celle qui se pro­fi­lait dans le milieu des start-up cal­i­forni­ennes. Il est allé à la ren­con­tre de Mark Zucker­berg d’une part, et de Palmer Luck­ey d’autre part, le jeune créa­teur de la société Ocu­lus qui venait de remet­tre au goût du jour la tech­nolo­gie des casques de réal­ité virtuelle grâce à la puis­sance de cal­cul du moment. 

Ernest Cline a ajusté les car­ac­téris­tiques du métavers décrit dans son roman après ces deux ren­con­tres. Quelques années plus tard, Face­book rachetait la société Ocu­lus pour deux mil­liards de dol­lars. Le pro­jet de créa­tion d’un métavers ludique et lucratif existe depuis longtemps déjà à la tête de la société améri­caine. Mais l’Oasis du livre et du film Ready Play­er One est loin d’être à notre portée. En plus de la vue et de l’ouïe cou­vertes par les casques, ce type de métavers néces­sit­erait qu’il par­le égale­ment à nos autres sens, en par­ti­c­uli­er avec le touch­er – sans oubli­er l’impression de mou­ve­ment qui demeure un obsta­cle tech­nique de taille. Faut-il choisir de rester jouer sur son écran comme le souligne Phil Spencer ? 

Le métavers pour­rait aider à pro­duire dix fois moins de gaz à effet de serre dans les années à venir.

Non, car un autre futur est d’ores et déjà d’ac­tu­al­ité. Des entre­pris­es utilisent au quo­ti­di­en des métavers comme la solu­tion Teemew de Man­za­l­ab ou celle de Gath­er­Town, qui per­met d’animer des événe­ments virtuels sur une carte en 2D paramé­tra­ble. Ce type de métavers, moins éner­gi­vore, pour­rait aider à pro­duire dix fois moins de gaz à effet de serre dans les années à venir. En effet, toutes les images néces­saires à la créa­tion des envi­ron­nements dans ce type de métavers peu­vent être cal­culées locale­ment, directe­ment sur la machine de l’u­til­isa­teur. Les seules infor­ma­tions qui passeraient par le réseau, le cœur de la pro­duc­tion des émis­sions de gaz à effet de serre, seraient alors min­imisées. De quoi don­ner à ce métavers qui se pro­file d’autres rêves que la pub­lic­ité ou les NFT.

Jean Zeid

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