Les déclarations récentes de l’Américain Phil Spencer, dirigeant de la branche jeu vidéo de Microsoft, ont suscité de nombreuses interrogations, bien au-delà du cercle des gamers. Dans une interview donnée au Wall Street Journal, il affirmait sans ambages qu’un métavers n’était rien d’autre qu’un « jeu vidéo mal construit. Évoluer dans un métavers qui ressemble à un salon, ce n’est vraiment pas la façon dont je veux passer mon temps. » précisait-il. Cependant, il ajoutait que cette technologie n’en était qu’à ses débuts, et que tout cela allait « évoluer ». Faut-il lire dans ces assertions une position péremptoire ou l’affirmation d’une réalité méconnue ?
Des jeux vidéo sont déjà des métavers
Depuis sa naissance dans les laboratoires de recherche des années 1950 et 1960, le jeu vidéo est un ambassadeur fidèle des nouvelles technologies. Il permet encore aujourd’hui une acculturation idéale de certaines innovations auprès du grand public. De la révolution informatique à la réalité virtuelle, le jeu vidéo est un évangélisateur né, comme le souligne Raphaël Granier de Cassagnac, écrivain, chercheur au CNRS en physique des particules et directeur de la chaire « Science et Jeu vidéo » soutenue par l’École polytechnique (IP Paris) et Ubisoft.
Dans les faits, Phil Spencer livre une constatation bien connue des joueurs. Les métavers sont en effet d’actualité depuis de longues années dans ce secteur du divertissement. En 1993 déjà, Steve Jackson Games lançait un jeu massivement multijoueur, ou MMO, baptisé The Metaverse. Aujourd’hui, les avatars de League of Legends, deRoblox ou de World of Warcraft parcourent des mondes virtuels, s’y rencontrent, dialoguent, commercent, et y vivent de formidables aventures.
Le jeu vidéo permet aujourd’hui une acculturation idéale de certaines innovations auprès du grand public.
En établissant des interactions à distance dans un monde virtuel grâce à des moyens de communication inédits, l’émergence de communautés sociales a non seulement annoncé Facebook et Twitter, mais également les métavers de manière ludique et populaire. Voilà le sens des propos de Phil Spencer. Mais la limite d’un tel discours se trouve dans la caractérisation même du métavers, qui dépasse largement l’usage exclusivement ludique.
Un métavers ouvert à tous…
Avec la requalification de Facebook en Meta, nombreux sont ceux qui ont pris pour acquise la définition de Mark Zuckerberg, c’est-à-dire un espace virtuel que tout un chacun peut visiter grâce à des casques et des manettes de réalité virtuelle. Le métavers est infiniment plus accessible. S’il s’agit bien d’un univers virtuel persistant, ouvert en permanence, où chaque individu via son avatar peut se rendre pour se retrouver en compagnie d’autres personnes qui sont elles-mêmes distantes les unes des autres, les casques de réalité virtuelle ne sont aucunement nécessaires.
Clément Merville, président de la société Manzalab, s’appuie de son côté sur les sciences cognitives afin de maximiser le sentiment de présence. Cette impression repose sur trois piliers. Le premier, c’est « l’impression de présence de soi dans cet univers » affirme-t-il. Plus l’avatar ressemble à son propriétaire, plus aisément un individu peut s’incarner dans ce monde virtuel. Le deuxième pilier du métavers, « c’est la sensation de présence spatiale, c’est-à-dire de l’environnement dans lequel l’avatar se trouve ». Ce que préconisent les sciences cognitives, c’est qu’il doit être réaliste, le plus crédible possible. L’attention des avatars ne doit pas être détournée par un environnement dissonant.
Enfin, le troisième et dernier pilier est la prise en compte de la présence des autres, celle du sentiment de communauté, et elle se base sur les moyens de communication mis à la disposition des participants. Si pour Clément Merville, nous ne pourrons jamais atteindre l’intensité du sentiment de présence du monde réel, le métavers peut s’en approcher en rendant la communication la plus naturelle possible et en retrouvant le sens de l’informel qu’il est impératif de recréer, ces moments d’échange impromptu qui font le ciment de la vie sociale.
Zuckerberg n’a pas le monopole du métavers
Cette structuration cognitive s’éloigne de la vision de Mark Zuckerberg où l’audience, la publicité, les NFT et le jeu vidéo priment. Et pour cause. Avant d’être un film signé du réalisateur Steven Spielberg, Ready Player One est un roman d’anticipation signé Ernest Cline. Quelques mois avant de publier son livre, l’auteur a voulu confronter sa vision du métavers avec celle qui se profilait dans le milieu des start-up californiennes. Il est allé à la rencontre de Mark Zuckerberg d’une part, et de Palmer Luckey d’autre part, le jeune créateur de la société Oculus qui venait de remettre au goût du jour la technologie des casques de réalité virtuelle grâce à la puissance de calcul du moment.
Ernest Cline a ajusté les caractéristiques du métavers décrit dans son roman après ces deux rencontres. Quelques années plus tard, Facebook rachetait la société Oculus pour deux milliards de dollars. Le projet de création d’un métavers ludique et lucratif existe depuis longtemps déjà à la tête de la société américaine. Mais l’Oasis du livre et du film Ready Player One est loin d’être à notre portée. En plus de la vue et de l’ouïe couvertes par les casques, ce type de métavers nécessiterait qu’il parle également à nos autres sens, en particulier avec le toucher – sans oublier l’impression de mouvement qui demeure un obstacle technique de taille. Faut-il choisir de rester jouer sur son écran comme le souligne Phil Spencer ?
Le métavers pourrait aider à produire dix fois moins de gaz à effet de serre dans les années à venir.
Non, car un autre futur est d’ores et déjà d’actualité. Des entreprises utilisent au quotidien des métavers comme la solution Teemew de Manzalab ou celle de GatherTown, qui permet d’animer des événements virtuels sur une carte en 2D paramétrable. Ce type de métavers, moins énergivore, pourrait aider à produire dix fois moins de gaz à effet de serre dans les années à venir. En effet, toutes les images nécessaires à la création des environnements dans ce type de métavers peuvent être calculées localement, directement sur la machine de l’utilisateur. Les seules informations qui passeraient par le réseau, le cœur de la production des émissions de gaz à effet de serre, seraient alors minimisées. De quoi donner à ce métavers qui se profile d’autres rêves que la publicité ou les NFT.