Services publics numériques : un enjeu majeur pour la démocratie
- Lorsque les citoyens ont confiance dans les services publics numériques, ils les utilisent plus et les recommandent à leur entourage, ce qui permet d’en développer les usages.
- Des recherches révèlent que la confiance dans les services numériques de l’État repose sur la confiance dans le gouvernement lui-même, avant de s’étendre aux technologies numériques.
- Des facteurs comme la maîtrise des outils numériques influencent aussi l’adoption des services en ligne, d’où la nécessité d’accompagner les publics les moins formés.
- La sécurité des services est un enjeu majeur : il s’agit de renforcer la cybersécurité des entités publiques, notamment en s'appuyant sur les recommandations de l'ANSSI.
- Pour renforcer la confiance des citoyens dans les services numériques de l’État, il faut entre autres garantir une transparence de l’accès aux informations et la simplicité d’utilisation des interfaces.
Au cours des dernières années, la multiplication des technologies de l’information et de la communication (TIC) et leur adoption généralisée ont favorisé la numérisation des services publics. Ainsi, en 2022, les services informatiques de l’État ont numérisé 83 % des 250 démarches administratives les plus utilisées1. La France est par ailleurs un acteur pleinement engagé dans le développement d’un système d’information numérique de l’État moderne et répondant aux besoins des citoyens comme en témoigne sa 9ème place au classement de l’OCDE (note de 0.665 pour l’indicateur composite), avec deux points forts : l’axe relatif aux données utilisateur et l’axe d’ouverture par défaut des données publiques2.
Pour autant, la situation reste contrastée avec, d’une part, une montée en puissance progressive de l’usage des services en ligne (67 % des adultes ont effectué au moins une démarche administrative en ligne) mais un renoncement encore fréquent (32 % des Français ont renoncé à une démarche administrative en ligne en 2021), révélant les limites de la dématérialisation3. En effet, l’observatoire des services numériques de l’État4 d’octobre 2024 permet d’identifier seize applications avec une satisfaction utilisateur inférieure à la moyenne. En valorisant l’avis de l’utilisateur, cette évaluation contribue à renforcer le lien de confiance et à co-construire avec lui des services publics numériques de meilleure qualité.
De nombreux chercheurs s’intéressent à l’émergence, au développement et à l’adoption des services numériques administratifs et contribuent à la compréhension du « e‑Government5 ». Plusieurs facteurs concourent au succès de sa mise en œuvre par les informaticiens de l’État et son utilisation par les citoyens : maîtrise technologique, compétences humaines disponibles, compréhension des politiques publiques et dispositions de moyens financiers. La convergence de ces éléments permet de déployer des services qui répondent aux attentes des citoyens, et par là-même, d’obtenir leur satisfaction et leur confiance.
Qu’est-ce que la confiance envers les services publics numériques ? À quoi sert-elle ?
La confiance dans les services publics numériques est protéiforme puisqu’elle s’exprime selon les modalités d’interactions : elle concerne la vision des citoyens pour le « Government to Citizen » (G2C), celles des agents publics pour le « Government to Employee » (G2E), celle des entités publiques dans le cadre du « Government to Government » (G2G) et celles des acteurs privés dans le cadre du « Government to Business » (G2B)6. En effet, chacune des parties impliquées dispose d’attentes différentes. Tout d’abord, les citoyens recherchent des services publics simples, ergonomiques et répondant à leur vie quotidienne ; ils doivent pouvoir faire confiance dans la fiabilité des informations détenues par l’administration, la conformité de l’application des règles et la possibilité de réaliser des recours.
Les agents publics apprécient quant à eux de disposer de solutions efficaces, complètes et s’intégrant à leur poste de travail. Ils accordent leur confiance à des applications fiables tant sur la qualité des données, l’exactitude des résultats obtenus et la sauvegarde de leur travail. Par ailleurs, les entités publiques ont des besoins de confiance au-delà de la qualité des données, puisqu’elles ont besoin d’un système d’échange d’information fiable et résilient (ex : le réseau interministériel de l’État opéré par la DINUM) ainsi que de garanties de disponibilité des applications en cascade (ex : la paye des agents de l’État est nécessaire pour la déclaration sociale nominative qui est indispensable pour leur prélèvement à la source, etc.). Enfin, les entreprises ont besoin de davantage de simplicité et de lisibilité afin de faire confiance à l’État et donc ensuite à ses services numériques. En effet, le nombre de procédures et d’interlocuteurs très élevé pour créer une entreprise, assurer sa gestion financière et comptable ou la clôturer, fait actuellement l’objet d’une certaine méfiance de la part des acteurs privés.
La confiance dans les services numériques de l’État est essentielle pour développer leur usage. En effet, lorsque les citoyens ont confiance dans les moyens numériques mis à leur disposition, ils sont plus enclins à les utiliser au quotidien pour leurs démarches administratives mais également à les recommander à leur entourage. Cela simplifie la vie des usagers, qui ne sont plus obligés de se déplacer pour obtenir une information ou transmettre une information. Les services publics sont également rendus plus efficaces en permettant de concentrer les agents sur les actions à plus haute complexité et de renforcer le lien entre les citoyens et leur administration. Pour gagner cette confiance, il faut que les services en ligne soient sécurisés, transparents, faciles à utiliser et adaptés aux besoins de chacun. C’est en répondant à ces attentes que les gouvernements peuvent encourager un plus grand nombre de personnes à utiliser ces outils numériques et ainsi réduire la fracture numérique7.
La relation entre la confiance et l’usage des services numériques est bien connue des chercheurs. En effet, dès 1992 DeLone et McLean ont proposé un modèle (désormais intitulé le D&M Information System Model) qui établit les relations entre six dimensions clés du succès des systèmes d’information (SI) : qualité du système, qualité de l’information, utilisation, satisfaction de l’utilisateur, impact individuel et impact organisationnel. En analysant de nombreuses études, ils ont démontré que ces dimensions sont interdépendantes et essentielles pour évaluer le succès global d’un système d’information, en particulier, il existe un lien direct entre la satisfaction de l’utilisateur et l’usage du service numérique concerné8. Ce modèle très répandu a ensuite été raffiné en vue de mettre en œuvre des services numériques qui renforcent ce lien de confiance.
Comment établir de la confiance envers les services publics numériques ?
Les modèles récents de confiance soulignent l’importance de la qualité de l’information fournie aux usagers, de l’utilisation de technologies sûres et maîtrisées, ainsi que du respect des principes démocratiques dans le pays concerné. Lorsque les citoyens disposent des compétences numériques nécessaires, les recherches montrent une corrélation entre ces facteurs et l’adoption des services numériques.
Par exemple, les travaux de Thompson et al. révèlent que la confiance dans les services numériques de l’État repose d’abord sur la confiance dans le gouvernement lui-même, avant de s’étendre aux technologies numériques. Cette confiance initiale engendre généralement une satisfaction de l’utilisateur, qui peut à son tour favoriser une réutilisation du service (Thompson, 2008). Il est donc crucial de tisser un lien étroit avec les citoyens. Les politiques d’ouverture des données et des algorithmes, promues par la DINUM910, constituent une approche prometteuse en ce sens.
Par ailleurs, Alzahrani et al. enrichissent le modèle de DeLone et McLean en introduisant la notion d’antécédents de la confiance, de ressenti des citoyens et des bénéfices associés à cette confiance11. Pour instaurer la confiance, les auteurs soulignent l’importance de la qualité des services et des systèmes numériques. Cette approche se concrétise par des initiatives nationales ambitieuses telles que le plan d’investissement numérique12 ou la stratégie numérique13. De plus, la réputation d’un service et les expériences passées des utilisateurs jouent un rôle déterminant. Un contribuable qui utilise régulièrement « Impots.gouv.fr » sans rencontrer de difficultés sera plus enclin à recommander ce service.
Toutefois, des facteurs propres aux citoyens, tels que la maîtrise des outils numériques ou les démarches administratives, influencent également leur adoption des services en ligne. Le rapport du Défenseur des Droits souligne que nombreux sont ceux qui rencontrent des difficultés dans leur utilisation14. Des plans de déploiement du numérique, de formation et d’accompagnement sont donc nécessaires pour remédier à cette situation. Les espaces « France Services », qui offrent une aide de proximité, constituent une initiative intéressante pour faciliter l’accès des publics les plus fragiles.
Parallèlement, la sécurité des services en ligne est un enjeu majeur. Les incidents de sécurité, comme celui survenu sur « France Travail15 », peuvent éroder la confiance des citoyens. Il est donc essentiel de renforcer la cybersécurité des entités publiques en s’appuyant sur les recommandations de l’ANSSI et en adoptant de nouvelles approches comme le penetration testing, le bug bounty et le red teaming1617.
Enfin, Li et Xue proposent une adaptation du modèle de DeLone et McLean pour étudier la confiance post-utilisation des services publics dans les municipalités chinoises18. Leurs résultats confirment l’importance de la confiance dans le gouvernement, dans Internet et dans la qualité des services, tout en révélant que la perception de la confidentialité et de la sécurité joue un rôle moins significatif dans ce contexte spécifique.
Quelles sont les bonnes pratiques pour renforcer la confiance ?
Pour renforcer la confiance des citoyens dans les services numériques de l’État, il est essentiel de mettre en œuvre un ensemble de bonnes pratiques. Ainsi, l’une des premières exigences est de garantir une transparence des accès aux informations et de leur utilisation. Pour cela, les administrations doivent communiquer de manière claire et accessible sur les finalités des données collectées et sur les mesures de sécurité mises en place comme l’exige le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD). Par ailleurs, les citoyens doivent être informés de leurs droits (accès, rectification, opposition) et des modalités pour les exercer19.
La simplicité d’utilisation des interfaces numériques est également essentielle pour mettre en confiance l’usager. En effet, un usager qui comprend ce qu’on lui demande et à quoi sert une procédure sera plus enclin à la réaliser de manière numérique tandis qu’un usager ne disposant pas de cette maîtrise aura tendance à chercher une aide humaine pour se rassurer. Ainsi, les services numériques doivent être conçus de manière intuitive et ergonomique, en tenant compte des besoins et des compétences de tous les citoyens, notamment ceux disposant d’un handicap. La création du Design Système de l’État a pour objectif d’harmoniser les sites web des administrations françaises, ce qui facilite l’appréhension par les usagers et permet la prise en compte de multiples règles d’accessibilité de manière native (gestion du contraste, système de couleur, etc. ).
Les travaux révèlent que la confiance dans les services numériques de l’État repose d’abord sur la confiance dans le gouvernement lui-même
Il est également particulièrement efficace d’associer les citoyens à la conception des nouveaux services publics numériques. Les travaux de Brandsen et al. décrivent plusieurs cas d’usage ayant cet objectif d’association20 : tout d’abord, l’utilisation de plateformes numériques pour faciliter l’intégration sociale et l’accès aux services publics en Suède ; puis, l’apport des technologies d’information et de communication pour préserver l’autonomie des personnes âgées dans les municipalités flamandes ; et enfin, l’utilisation de la technologie portable et des smartphones pour la surveillance de la santé à distance, sur des patients hongrois souffrant de maladies cardiaques chroniques.
Afin d’améliorer la confiance des organisations privées ou tierces (associations, ordres professionnels, etc.) envers les services publics numériques, les services publics doivent mettre en place des indicateurs de qualité pour les évaluer et améliorer en continu. Les indicateurs peuvent porter sur la satisfaction envers chaque service numérique, le niveau de disponibilité des applications, le nombre d’incidents de sécurité, le délai de réponse en cas de sollicitation des utilisateurs, etc. Par ailleurs, cette confiance doit également être approfondie de manière qualitative avec la mise à disposition de documentation claire et complète facilitant l’utilisation de services, la mise en place de canaux de discussions permettant les échanges autour de chaque solution numérique pour informer des maintenances programmées ou des incidents rencontrés, améliorer les produits, corriger les anomalies et anticiper les nouveaux besoins.
La numérisation des services publics, une avancée majeure
Ce progrès s’accompagne d’un défi fondamental : établir la confiance entre les concepteurs et les utilisateurs des services publics. Pour y parvenir, il est nécessaire de répondre à de multiples attentes : offrir une parfaite clarté dans la façon dont les données sont utilisées, proposer des services numériques ergonomiques et simples d’utilisation, garantir la sécurité des systèmes et des données associées, et répondre aux attentes spécifiques des utilisateurs, qu’ils soient des citoyens, des agents publics ou des entreprises. Ainsi, renforcer la confiance nécessite de mettre en place une démarche qui intègre en continu des aspects technologiques ainsi que des dimensions davantage organisationnelles et humaines.
Par ailleurs, établir la confiance requiert naturellement de mettre en œuvre les meilleures pratiques dans les domaines de l’inclusion et de l’accessibilité puisque les services publics ont, en priorité, vocation à apporter un service aux personnes vulnérables. De surcroît, une attention particulière doit être donnée à la sécurisation des données, des systèmes et des communications pour assurer à chaque utilisateur que les services publics numériques offrent un service meilleur que les procédures qui les ont précédées. Ainsi, le numérique apporte une transformation de la manière de rendre le service public pour combiner immédiateté, ubiquité et simplicité tout en élevant le niveau de confiance. C’est pourquoi la cybersécurité joue un rôle fondamental pour prévenir les incidents qui pourraient détruire, ralentir ou ternir la réputation des services publics numériques.
Pour conclure, la confiance envers les services numériques publics ne saurait être dissociée de celle envers l’État lui-même. C’est, en effet, en investissant dans des stratégies de transparence, de collaboration et de sécurisation que les gouvernements peuvent favoriser l’adoption des outils numériques. Il s’agit d’un processus qui, bien que complexe, est fondamental pour bâtir un « e‑Government » qui soit à la fois durable et inclusif.