L’haptique : pourquoi donner le sens du toucher aux machines ?
- L’haptique désigne tout ce qui est en rapport avec le sens du toucher : plusieurs études essaient aujourd’hui de reproduire ce sens grâce à un matériau haptique.
- L’équipe de Kostas Danas a développé un matériau capable de mesurer le toucher : on nomme cette technologie « senseurs haptiques ».
- L’haptique peut être très utile dans le secteur biomédical, comme pour la chirurgie ou l’ajustement des prothèses.
- Cette technologie peut nous aider également dans la vie quotidienne, pour par exemple améliorer le système de portes automatiques dans les ascenseurs.
« Haptique ». Si le mot peut paraître complexe, le concept est simple : il désigne tout ce qui est en rapport avec le sens du toucher. De nombreuses équipes de recherche, dans le monde entier, tentent de mieux comprendre ce sens mais essaient également de le reproduire – un peu comme une caméra reproduit la vue.
Ce domaine d’étude n’est d’ailleurs pas nouveau : « La sensation haptique est un sujet qui date. Cela fait quarante ans que des chercheurs essaient de réaliser des capteurs haptiques ! » précise Kostas Danas, directeur de recherche du laboratoire de mécanique des solides à l’École polytechnique et au CNRS.
L’haptique : qu’est-ce que c’est ?
Nous interagissons au quotidien avec un type de technologie haptique : le feedback haptique, ce « retour » donné à l’utilisateur par une vibration qui stimule le sens du toucher – comme lorsqu’un téléphone vibre lorsqu’on appuie sur un bouton. De même, c’est cette technologie qui est utilisée dans les gants de réalité virtuelle.
Si stimuler le sens du toucher est courant dans la technologie actuelle, réaliser un matériau haptique – c’est-à-dire reproduire ce sens – reste pourtant un défi. Depuis 2015, Kostas Danas et son équipe travaillent sur un matériau présentant ces propriétés. « C’est un nouveau type de matériau très souple : on réalise un composite à partir d’un polymère dans lequel on met des particules qui sont magnétisables » poursuit le chercheur. « On peut notamment utiliser des particules qui restent magnétisées en permanence après l’application d’un champ magnétique, ce qui donne un aimant souple. » Ces particules proviennent d’ailleurs du même type de matériau que ceux qui sont utilisés dans les aimants classiques.
Quand vous touchez quelque chose le matériau va se déformer et le champ magnétique va changer autour de lui.
Lors de l’application du champ magnétique, le matériau va se déformer. À l’inverse, lorsqu’il est déformé après avoir été magnétisé, il va agir sur le champ magnétique qui l’entoure. Ce sont ces propriétés et cette souplesse qui lui donnent ses caractéristiques haptiques. « Quand vous touchez quelque chose, le matériau va se déformer, et le champ magnétique va changer autour de lui. Ce changement sera mesurable : on joue avec les alternances de champs magnétiques, à la suite de la déformation, pour mesurer le toucher » explique Kostas Danas. Ce type de technologie capable de mesurer le toucher se nomme « senseurs haptiques ».
De l’usage biomédical du matériau haptique
Les utilisations possibles de ces senseurs haptiques sont diverses. La souplesse du matériau créé permet notamment de s’adapter à toute forme de robot. « Les senseurs haptiques ont des applications dans tous les domaines où il y a des robots. Actuellement, on n’a presque aucun robot qui a ce sens du toucher. Pour le moment, ils voient seulement avec des caméras » explique Kostas Danas. Or ajouter ce sens aux robots peut avoir de nombreuses utilités différentes, comme dans le domaine biomédical, pour les chirurgies mini-invasives1.
Ce type de chirurgie consiste en effet à réaliser une opération à travers une petite incision et avec l’assistance d’une vidéo, soit avec de longs instruments, soit sur des robots équipés de petites caméras. Mais la vidéo 2D limite les possibilités qu’offrent ces robots : leur donner un sens supplémentaire pourrait grandement augmenter leurs capacités et la quantité d’information qu’ils peuvent retourner au chirurgie. Ainsi, plus de chirurgies seraient éligibles à ce type de fonctionnement, ce qui serait avantageux pour la médecine : en effet, la chirurgie mini-invasive permet de réduire à la fois les risques encourus et le temps de rétablissement après l’opération.
Une autre application à envisager dans le domaine biomédical concerne l’évaluation de l’élasticité des tissus, et leur palpation. Ce geste, généralement réalisé aujourd’hui à mains nues par le chirurgien, est extrêmement important pour trouver les artères et les tumeurs éventuelles dans le corps, tout en déterminant la qualité des tissus du patient. Cependant, il peut arriver que les médecins ratent nodules et petites bosses pendant leur inspection. De petits robots dotés de capacités haptiques très sensibles pourraient donc assister les chirurgiens dans ce geste, afin de s’assurer que tout est détecté.
La souplesse du matériau créé permet notamment de s’adapter à toute forme de robot.
Enfin, ce sont les prothèses qui pourraient être équipées de senseurs haptiques. Une personne amputée de la main pourrait ainsi posséder des capteurs haptiques au niveau des doigts de la prothèse, qui renverraient des sensations dans toute la main. De plus, les capteurs haptiques sont aussi à considérer pour vérifier l’ajustement de la prothèse lorsque la personne réalise des mouvements. En effet, sur le long terme, avec les différents mouvements de la vie quotidienne, un mauvais ajustement de prothèse peut mener à de nombreux problèmes au niveau de la partie du corps concernée.
Haptique et habitudes quotidiennes
Les senseurs haptiques peuvent aussi être utiles dans la vie de tous les jours, et améliorer les systèmes déjà présents. Les ascenseurs, par exemple, comportent généralement un capteur de mouvement qui empêche les portes de se refermer. « Mais ces capteurs sont photosensibles, ils cessent de fonctionner si la lumière est cassée, précise Kostas Danas, ou s’ils sont mal placés, notamment par rapport à la taille des enfants ». On pourrait alors imaginer des capteurs haptiques qui bloquent la porte s’ils sentent un obstacle.
Le matériau haptique a donc de nombreux champs d’application possible en tant que senseur haptique, mais ces applications ne s’y limitent pas. « Il y a déjà une entreprise qui utilise ces matériaux-là pour créer des micro-robots qui apportent des médicaments localement dans le corps. Comme ces matériaux sont accessibles avec un aimant, on peut les guider depuis l’extérieur. Ils pourraient ainsi être déplacés dans les fluides, qui sont autrement compliqués à traverser. »
Toutefois, les applications principales de ce nouveau matériau restent probablement à découvrir, comme le prévoit Kostas Danas : « Les applications apparaissent au fur et à mesure que différentes personnes de l’industrie ou des start-ups s’y intéressent. » Le chercheur a d’ailleurs reçu cette année une bourse du Conseil européen de la recherche, afin de développer une piste applicative pour le matériau haptique.