Les infrastructures numériques pour réduire les fractures territoriales
- Le Plan France Très Haut Débit (PTHD) a été lancé en 2013 pour assurer la couverture de 43 millions de logements en France.
- À l’horizon 2022, le PTHD est un franc succès : 99,2 % sont éligibles au Très Haut Débit (THD).
- Ce déploiement national a visé les mêmes objectifs pour tous les territoires, sans distinction (zones rurales ou denses, métropolitaines ou ultramarines).
- La structuration d’une filière industrielle efficace a permis une mise en œuvre du PTHD et la création de 40 000 emplois.
- Pour autant, qualité, maintenance des réseaux, résilience et effectivité des accès restent encore des enjeux majeurs.
En 2015, 77,6 % de la population française n’était toujours pas, à son domicile, raccordé à un réseau de télécommunications haut débit. C’est dans ce contexte technologique et social que les objectifs d’un plan sont fixés, en 2013, pour assurer à l’ensemble des Français une connectivité Très Haut Débit (THD), c’est-à-dire supérieure à 30Mbit/s à l’horizon 2022. Il s’agit d’inciter les investissements privés à assurer la couverture de l’ensemble du territoire, soit 43 millions de logements, tout en finançant sur fonds publics les zones où des carences du marché auraient été constatées. Pour répondre à cette ambition élevée, près de 13 milliards d’euros d’investissements publics sont en conséquence prévus et notifiés en 2016 à la Commission européenne.
Un plan national réussi
À l’issue du travail d’évaluation mené à France Stratégie, le constat est celui du succès du Plan France Très Haut Débit (PFTHD)1. À l’échéance 2022, les objectifs initiaux de couverture sont atteints avec près de 100 % des locaux (99,2 %) éligibles au Très Haut Débit, en dépit de certaines inégalités entre territoires et de quelques difficultés de raccordements des usagers finaux. Neutre technologiquement, le Plan s’est appuyé sur des technologies filaires et hertziennes les plus adaptées aux singularités territoriales. Il a toutefois élargi progressivement ses objectifs en privilégiant la fibre jusqu’à l’abonné pour sa généralisation complète en 2025, solution la plus performante pouvant offrir des débits largement supérieurs, de l’ordre des centaines de Mbits/s.
Autre indice du succès du Plan : la capacité à viser les mêmes objectifs pour tous les territoires, sans distinction (zones denses ou rurales, territoires métropolitains ou ultramarins). La France est ainsi devenue une des meilleures élèves de l’Europe en termes de déploiement de la fibre alors qu’elle était dans les profondeurs du classement il y a une dizaine d’années. Il faut en outre relever que cette mise en œuvre rapide d’une nouvelle infrastructure nationale s’est effectuée en s’ajustant aux besoins locaux de chaque territoire et en en maîtrisant les dépenses, restées conformes aux estimations de coûts du régulateur et sans dérives des budgets.
Cette mise en œuvre réussie du PFTHD a été rendue possible par la structuration d’une filière industrielle efficace, allant de la fabrication des câbles jusqu’à leur installation chez l’habitant et représentant au total plus de 40 000 emplois. En permettant l’arrivée de nouveaux acteurs, et en confortant l’expertise d’opérateurs privés comme des collectivités locales potentiellement pleinement maîtresses de leur réseau, l’existence d’une telle filière a été essentielle pour le déploiement, mais elle le sera tout autant dans le futur pour assurer la maintenance et la résilience des réseaux.
Un réseau pour des usages et des impacts économiques
En écho aux déploiements massifs, l’adoption de la fibre est largement au rendez-vous pour les particuliers, qui représentent 79 % du nombre total des abonnements au Très Haut Débit. Sur 31,5 millions d’abonnés à Internet, 18,4 millions de Français sont abonnés à une offre Très Haut Débit, dont 14,5 millions à la fibre, soit 46 % du nombre d’abonnés à Internet. Par contraste, le niveau d’adoption des entreprises reste encore faible – même si on y constate une tendance à la hausse des abonnements à la fibre – : seuls 50 % des entreprises étaient abonnées au THD en 2022, selon les chiffres de la filière. Face à la rapidité du déploiement et de la couverture, la transformation des usages et des pratiques paraît ainsi moins rapide et moins profonde.
Mais couverture et adoption ne sont pas tout. Les enjeux du Très Haut Débit tiennent d’abord aux impacts attendus. À cet égard, les effets indirects du Plan sont déjà visibles, même si, au stade actuel précoce des déploiements, ce ne sont encore que des signaux faibles. Mais on observe déjà que l’arrivée du THD ou de la fibre s’accompagne du maintien et du renforcement de l’attractivité de tous les territoires : hausse de création du nombre d’entreprises, augmentation de la valeur ajoutée ou de l’emploi générée par le secteur marchand, arrivée de populations plus jeunes et une plus grande résilience lors des confinements.
Déploiement rapide, mais manque de qualité
Au-delà de ces résultats, qualité, maintenance des réseaux et effectivité des accès restent pourtant des objets d’inquiétude. En effet, la contrepartie du succès en termes de couverture a été la priorité donnée par tous à la rapidité des déploiements. Cela s’est notamment traduit par un large recours à l’externalisation des interventions sur le terrain, conduisant à une multiplicité du nombre d’intervenants, opérateurs et sous-traitants, sans toujours un contrôle suffisant de la qualité des prestations.
Pour déployer rapidement, il y a eu un large recours à l’externalisation d’interventions de terrain sans toujours un contrôle suffisant de la qualité des prestations.
Le Plan a permis d’organiser les investissements initiaux pour la construction des infrastructures. Mais ces infrastructures vont devoir s’adapter pour répondre aux nouveaux usages et aux évolutions démographiques. Les financements envisagés pour l’instant pour une maintenance « courante » n’y suffiront pas. Des financements futurs devront être envisagés pour assurer leur montée en gamme technologique, leur adaptabilité aux transformations du territoire et les conditions de soutenabilité des réseaux.
Le défi aujourd’hui est donc d’assurer la qualité et la résilience des infrastructures. Cela signifie sécuriser les raccordements finaux, assurer la connectivité THD des tous derniers locaux – les plus difficiles et coûteux à couvrir –, garantir la maintenance et la disponibilité des réseaux déployés, et veiller à leur capacité de résilience face aux crises climatiques et énergétiques ou aux cyberattaques.
Et après ?
L’enjeu actuel n’est donc plus seulement de finaliser le « reste-à-faire » des dernières prises à connecter, mais aussi de conserver et développer les compétences acquises pour anticiper et se projeter dans l’après. Mettre à disposition une infrastructure ne suffit pas. À côté d’effets économiques que l’on commence à mesurer, l’évaluation souligne aussi la nécessité de penser impulsion des usages et stimulation d’un écosystème applicatif. Comme le disait un de nos interlocuteurs : « L’aventure ne s’arrête pas à la livraison des prises, elle ne fait que commencer ».
Ces questions d’anticipation de l’après Plan se posent à tous. Le rôle des collectivités a été central dans la réussite du Plan, notamment grâce aux forts investissements financiers pour assurer la montée en qualification de leur personnel. Elles ont créé des structures spécifiques pour développer des expertises, mutualiser des moyens et coopérer entre territoires : leur rôle doit passer désormais de porteuses de projets à animatrices d’écosystème. Pour les industriels, il s’agit d’anticiper la fin des déploiements en assurant les conditions de refonte de leurs activités en France et de développement à l’international, pour permettre le maintien des emplois et la requalification des salariés sur d’autres registres technologiques du numérique. Pour l’État et les acteurs publics, ce sont aussi les conditions de gouvernance et de pérennisation de l’engagement dans le futur des réseaux THD qui se poseront, voire la question de leur propriété publique à la lumière des enjeux de souveraineté.
L’alliance entre collectivités, État et opérateurs privés dans le cadre d’un dispositif national a été particulièrement efficace.
La réussite collective du Plan a tenu à la capacité d’adaptation manifestée dans les relations entre les acteurs publics et privés et dans le cadre de régulation : elle a permis d’affronter un contexte technologique, juridique et économique qui était très incertain au démarrage. Il faut souligner, à cet égard, la remarquable continuité des actions menées, malgré les alternances politiques qui ont pu se faire jour au niveau local ou national. Cette permanence des objectifs a permis aux différents acteurs de rester engagés sur les projets dans la durée. L’alliance entre collectivités, État et opérateurs privés dans le cadre d’un dispositif national a ainsi été particulièrement efficace, et reste selon nous une des expériences les plus riches d’enseignements en matière de conduite de politiques publiques.