Cybersécurité : les failles qui laissent l’industrie française vulnérable
- La cybersécurité est un enjeu très actuel : en 2022, on note une hausse de 26 % des attaques informatiques.
- Cela vient en partie du fait que la transition numérique ne s’accompagne pas toujours immédiatement d’une cybersécurité adaptée.
- Il existe deux types de menaces : la menace étatique, centrée sur l’espionnage, et la menace criminelle, centrée sur l’extorsion de fonds.
- Les grands acteurs industriels sont moins vulnérables que les PME ou ETI, car ils ont à la fois un budget et une direction dédiés à la cybersécurité.
- En 2021, la cybercriminalité représentait en moyenne un coût de 1 000 milliards de dollars dans le monde.
Le secteur industriel français a longtemps été isolé des technologies de l’information. De la régulation des feux de circulation au tri automatisé des bagages en passant par la coordination des robots assembleurs sur une chaîne de montage, ces technologies opérationnelles se sont longtemps développées à l’écart de la révolution numérique. Aujourd’hui, l’interconnectivité entre machines, réseaux et systèmes fragilise ce tissu industriel face à des cyberattaques en constante progression. Mais tous les secteurs ne sont pas logés à la même enseigne.
Les dernières données de la Direction générale des entreprises (DGE) sont formelles : les cybermenaces pesant sur le tissu industriel français n’ont jamais été aussi grandes. Une tendance confirmée par une étude Check Point Research, qui note une hausse de 26 % des attaques informatiques pour la seule année 2022. Des sociétés comme Leader, spécialiste en intérim et en recrutement, ont notamment été la cible de cyberattaques. Et certains pans de l’industrie ont depuis longtemps compris l’intérêt de mettre en place une cybersécurité de pointe. « Le secteur de la défense a le plus rapidement pris en compte cette dimension de la cybersécurité, un domaine très vite rebaptisé cyberdéfense. » indique Jean-Luc Gibernon, directeur cybersécurité chez Sopra-Steria et administrateur du Campus Cyber. « Aujourd’hui, si l’on parle de défense, on pense à des combats terrestres avec des chars, par exemple. On pense également aux combats navals avec les bateaux ou les frégates. Il y a également le combat aérien avec les avions. Mais il y a aujourd’hui un quatrième département qui n’est autre que le cyberespace. »
Sécurité : un nouveau paradigme
Dès 2010, sous l’impulsion du ministre de la Défense de l’époque Jean-Yves Le Drian, la cyberdéfense est devenue un volet à part entière des opérations militaires comme le confirme Guillaume Poupard, ancien directeur de l’Anssi, l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information : « Quand on parle de sécurité avec des gens issus de l’industrie de l’armement, ils ont déjà le vocabulaire et savent de quoi il est question fondamentalement. À l’inverse, il y a d’autres acteurs dans l’industrie lourde, comme le domaine du gaz ou de la chimie, où, historiquement, la question de la sécurité était essentiellement circonscrite à l’intégrité physique des sites industriels. Je caricature un peu, mais il suffisait de trois ronds de barbelés autour des lieux à protéger et on avait fait le tour du problème, en quelque sorte. »
Cette culture de la sécurité périmétrique a été bouleversée par la transition numérique.
Cette culture de la sécurité périmétrique a été bouleversée par la transition numérique, entraînant une fragilité croissante de ces dispositifs face aux besoins en interconnectivités. C’est une véritable rupture philosophique dans l’approche même de la sécurité selon Jean-Luc Gibernon : « Aujourd’hui encore, le numérique continue sa progression, mais la question de la cybersécurité arrive toujours plus tard. On va mettre du numérique dans les systèmes industriels ou l’espace urbain par exemple, mais la sécurité des dispositifs n’arrive toujours qu’après. La bonne nouvelle, c’est que la cybersécurité ne ralentit pas la transition numérique. En revanche, c’est aussi une bonne nouvelle pour les cyberattaquants, car il y a des vulnérabilités dont ils peuvent profiter. »
Menace étatique, menace criminelle
La première menace, probablement la plus dangereuse et la plus insidieuse, est d’origine étatique avec comme finalité l’espionnage et la déstabilisation d’industries stratégiques comme l’armement, le spatial, la pharmacie, etc. « Les données sensibles des industries de pointe sont évidemment les plus prisées par les attaquants de très haut niveau. » confirme Guillaume Poupard. « Nous sommes dans le monde du renseignement, de l’espionnage. Il n’y a pas vraiment d’amis ou d’ennemis et tout le monde se méfie de tout le monde. Ces attaques bien réelles sont peu médiatisées, car tout cela reste discret. »
Le second type de menaces est d’origine criminelle. Moins discrètes, elles ont généralement pour objectif l’extorsion de fonds avec une menace de blocage de l’activité de la cible et des conséquences économiques très fortes pour l’entreprise. Phishing, usurpation d’identité, malware, cheval de Troie, spam, les attaques sont devenues monnaie courante. Pour les attaquants, le type d’entreprises visées importe peu du moment que leur système d’information est défaillant. Quant aux ransomwares, ces logiciels qui chiffrent les fichiers du système informatique de la future victime, ils représentent une menace très importante pour les entreprises.
« Dans la pratique, les ransomwares visent à perturber le bon fonctionnement de la cible via son système d’information, son site web voire son outil de production. C’est alors que la demande de rançon intervient. », précise Jean-Luc Gibernon. Si la cible paye la rançon, l’attaquant lui permet alors de retrouver l’intégrité de son système grâce à une clé de déchiffrement. « Mais dans les faits, rien ne l’assure que tout marchera comme avant. », soupire Jean-Luc Gibernon. « D’ailleurs, une fois le système remis en marche, il y a généralement un deuxième chantage qui repose sur les données industrielles récupérées au passage par les attaquants. Ces derniers menacent de diffuser ces documents, souvent confidentiels, sur internet. Ce sont des criminels, ils n’ont aucune loi, aucune limite. »
Beaucoup préfèrent payer plutôt que de faire face à une fuite massive de données et une image de marque détériorée vis-à-vis des clients, des partenaires et des utilisateurs. Si l’on constate aujourd’hui une relative stabilisation du nombre d’attaques de type ransomwares selon les derniers chiffres du parquet de Paris, le niveau demeure élevé et tous les forfaits ne sont pas révélés au grand jour, discrétion oblige.
Cyberattaques : quelles cibles ?
Face aux cyberattaques, les moins vulnérables sont finalement les grands acteurs industriels. Ils ont à la fois les moyens d’assurer leur sécurité et sont déjà structurés en ce sens avec une direction dédiée à l’informatique, à la sûreté et à la sécurité. La gouvernance est en place et s’adapte plus aisément aux nouvelles menaces.
De plus, l’obligation de mettre en place une cybersécurité par la loi, au niveau national ou européen, fait que la plupart des grands acteurs peuvent y faire face. « Mais si l’on regarde du côté de plus petits acteurs comme les PME ou les ETI, la situation est plus complexe. », comme le souligne Guillaume Poupard. « Elles sont beaucoup moins structurées en termes de gouvernance numérique et elles peuvent devenir des cibles plus intéressantes, soit pour des criminels, soit pour des espions. Cette fragilité entraîne un autre cas de figure déjà observé à plusieurs reprises, celui d’attaquants s’en prenant à un grand groupe industriel en ciblant l’un de ses prestataires. C’est une sorte de raid indirect très à la mode qu’on appelle “attaque par la chaîne de valeur”. Comme la sécurité des grands groupes s’est renforcée, les pirates profitent des faiblesses des sous-traitants pour mener ces attaques indirectes et atteindre leur système d’information. »
L’ordre de grandeur du coût de la cybercriminalité dans le monde en 2021 est de 1 000 milliards de dollars dans le monde.
Si les cyberattaquants sont de plus en plus nombreux et de plus en plus professionnels, « il est difficile de mesurer précisément la cybercriminalité. Mais l’ordre de grandeur du coût de cette dernière dans le monde en 2021 est de 1 000 milliards de dollars dans le monde. C’est colossal. Le chiffre est en hausse et touche tous les secteurs. » analyse Jean-Luc Gibernon.
Si une sécurité efficace à 100 % n’existe pas, les professionnels du secteur savent désormais rendre les systèmes d’information suffisamment complexes à attaquer pour pousser les cybercriminels à abandonner et passer à une autre cible. Une situation qui doit pousser les grands industriels à prendre un rôle de leader pour convaincre les sous-traitants d’appliquer leurs normes de sécurité.
« Dans le nucléaire par exemple, quelles que soient les filières, il y a des myriades de sous-traitants avec qui les risques sont partagés. Il faut sécuriser l’ensemble des acteurs. C’est ce qu’on appelle la sécurisation de la supply chain, la chaîne de valeur. », explique Jean-Luc Gibernon. « Mais il y a encore du travail, beaucoup de travail. » Dans ce nouveau monde, il ne s’agit plus de sécuriser un acteur isolé, mais tout un écosystème. « Et cela ne viendra pas de la base, c’est-à-dire de PME sous-traitantes. Il faut que cela vienne par le haut. » En intégrant de plus en plus d’interconnectivités, les industries sont désormais confrontées aux mêmes menaces que les entreprises. Et si la prise de conscience des acteurs est réelle, elle n’est pas encore complète.