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Cybersécurité : l’enjeu de la protection des données publiques

Christophe Gaie
Christophe Gaie
chef de division ingénierie et innovation numérique au sein des services du Premier ministre
Jean LANGLOIS-BERTHELOT
Jean Langlois-Berthelot
docteur en mathématiques appliquées et chef de division au sein de l'armée de Terre
En bref
  • La cybersécurité est aujourd’hui un enjeu majeur du numérique face aux nouvelles menaces variées : cybercriminels, États ennemis ou groupes activistes.
  • Les cybermenaces se diversifient, visent les infrastructures critiques et sont renforcées par de nouvelles technologies (intelligence artificielle, blockchain…).
  • Les institutions publiques sont des cibles importantes car elles concentrent des données sensibles comme des informations personnelles, financières ou stratégiques.
  • Les institutions publiques doivent mettre en place une stratégie qui protège les systèmes d'information contre les menaces tout en garantissant la continuité des services et en respectant les droits et libertés des citoyens.
  • La France, la Pologne et l’Italie ont mis en place des stratégies pour faire face aux cybermenaces, avec des objectifs communs mais des plans d’action distincts.

L’apparition des ordi­na­teurs indi­vidu­els et l’émergence d’Internet à par­tir des années 1980 a ini­tié une démarche de trans­for­ma­tion des organ­i­sa­tions publiques et privées. Les pre­mières décen­nies ont vu appa­raître les pre­miers sites web et la créa­tion de traite­ments de don­nées sim­ples, puis ceux-ci se sont raf­finés pour met­tre en place des ser­vices inter­ac­t­ifs avec des échanges de don­nées1, avant d’arriver aujourd’hui à l’utilisation de l’intelligence arti­fi­cielle. Désor­mais, le numérique se situe au cœur des démarch­es envers les usagers, ce qui con­tribue à opti­miser le coût du ser­vice ren­du, à en amélior­er la réac­tiv­ité et à offrir une expéri­ence per­son­nal­isée2.

La trans­for­ma­tion des ser­vices a amené les organ­i­sa­tions à ne plus sim­ple­ment mod­erniser les procé­dures mais à les repenser pour les ren­dre plus acces­si­bles à l’utilisateur final et mieux adap­tées au sys­tème d’information. Cette inté­gra­tion en pro­fondeur a per­mis d’optimiser l’efficience des ser­vices, qui intè­grent dès leur con­cep­tion la notion de per­sis­tance des don­nées, les droits d’accès, les pos­si­bil­ités de réu­til­i­sa­tion, etc. Le numérique n’est donc plus une fonc­tion sup­port des organ­i­sa­tions mais un domaine au cœur de leur fonc­tion­nement. Aucune organ­i­sa­tion n’est aujourd’hui en mesure de se pass­er d’applications de ges­tion trans­verse des con­gés, de la paye, des dépens­es ; aucun ser­vice méti­er n’est en capac­ité de se pass­er des appli­ca­tions qui lui per­me­t­tent d’exercer son activ­ité, aus­si diverse qu’elle soit (logis­tique, bud­get, ingénierie, etc.).

L’émergence de nouvelles menaces cybernétiques

L’adoption mas­sive du numérique et son imbri­ca­tion au cœur des sys­tèmes d’information a con­sti­tué un ter­reau fer­tile pour l’émer­gence de nou­velles men­aces cyberné­tiques. Les men­aces sont mul­ti­ples et per­pétrées par des adver­saires var­iés : cyber­crim­inels, États enne­mis ou groupes activistes. La majorité d’entre eux dis­posent désor­mais d’outils de plus en plus sophis­tiqués pour men­er des attaques de grande envergure.

Par ailleurs, les cyber­me­n­aces se sont diver­si­fiées et sophis­tiquées au fil des ans, met­tant à mal la sécu­rité des sys­tèmes d’in­for­ma­tion. Des attaques par déni de ser­vice (DDoS) visant à sat­ur­er les sys­tèmes, aux rançongi­ciels paralysant les activ­ités en échange d’une rançon, en pas­sant par le piratage de don­nées sen­si­bles et les attaques d’ingénierie sociale manip­u­lant les util­isa­teurs, les arse­naux des cyber­crim­inels ne cessent de s’étof­fer. Les infra­struc­tures cri­tiques, telles que les réseaux énergé­tiques et les sys­tèmes de trans­port, sont par­ti­c­ulière­ment visées. L’émer­gence de tech­nolo­gies avancées comme l’in­tel­li­gence arti­fi­cielle et la blockchain a encore ren­for­cé la puis­sance de ces attaques, per­me­t­tant aux cyber­crim­inels de con­cevoir des out­ils de plus en plus sophis­tiqués et de men­er des opéra­tions à grande échelle. Face à cette men­ace gran­dis­sante, les organ­i­sa­tions doivent met­tre en œuvre des mesures de sécu­rité robustes et adap­tées pour pro­téger leurs don­nées et leurs sys­tèmes. Ces men­aces sont par­ti­c­ulière­ment avérées pour les ser­vices publics.

Les enjeux de la cybersécurité pour les institutions publiques

Les insti­tu­tions publiques con­stituent effec­tive­ment des cibles d’intérêt pour les cyber­crim­inels. En effet, elles con­cen­trent d’im­por­tantes quan­tités de don­nées sen­si­bles, telles que des infor­ma­tions per­son­nelles, finan­cières et stratégiques. L’obtention fraud­uleuse de ces infor­ma­tions con­stitue une source de prof­it pour les attaquants, qui peu­vent les utilis­er pour les reven­dre ou les exploiter à des fins poli­tiques ou idéologiques. De plus, les ser­vices four­nis par les insti­tu­tions publiques les exposent par­ti­c­ulière­ment : une attaque réussie peut entraîn­er des per­tur­ba­tions majeures (en ter­mes de finances ou de sécu­rité par exem­ple), avec des con­séquences sociales et économiques impor­tantes. L’impossibilité de lever l’impôt ou la divul­ga­tion de secrets détenus par l’armée con­stituent par exem­ple des men­aces critiques.

Les con­séquences d’une cyber­at­taque con­tre une insti­tu­tion publique peu­vent être dévas­ta­tri­ces. Au-delà des pertes finan­cières directes liées aux coûts de remise en fonc­tion­nement du sys­tème d’information ou à la perte de recettes fis­cales ou sociales, une telle attaque peut dis­créditer sur le long terme une insti­tu­tion. En effet, lorsque les citoyens sont infor­més que leurs don­nées ont été dérobées par des cyber­crim­inels, ils seront beau­coup moins enclins à utilis­er les ser­vices numériques de l’État, ce qui peut nuire à la stratégie de trans­for­ma­tion numérique. Par ailleurs, les cyber­at­taques peu­vent per­turber le fonc­tion­nement de ser­vices essen­tiels, au-delà de la sphère éta­tique régali­enne, tels que les trans­ports, l’én­ergie ou la san­té, avec des con­séquences poten­tielle­ment dra­ma­tiques pour la population.

Dès lors, met­tre en place une stratégie de cyber­sécu­rité effi­cace et volon­tariste est un enjeu majeur pour les insti­tu­tions publiques3. Par une stratégie nationale claire et opéra­tionnelle, il s’ag­it de pro­téger les sys­tèmes d’in­for­ma­tion con­tre les men­aces tout en garan­tis­sant la con­ti­nu­ité des ser­vices et en respec­tant les droits et lib­ertés des citoyens. Cet équili­bre est déli­cat à trou­ver, car les mesures de sécu­rité peu­vent par­fois entraver la flu­id­ité des échanges et l’ac­cès aux ser­vices numériques. Il est donc essen­tiel de met­tre en place des solu­tions de sécu­rité qui soient à la fois effi­caces et dis­crètes, c’est-à-dire qui ne pénalisent pas l’ex­péri­ence util­isa­teur. Par ailleurs, la cyber­sécu­rité doit être con­sid­érée comme un levi­er pour favoris­er l’in­no­va­tion et ren­forcer la con­fi­ance dans l’é­conomie numérique.

France, Pologne et Italie : trois pays, trois approches

L’étude des approches de cyber­sécu­rité est un thème clas­sique de la recherche et a notam­ment été traité par Gaie, Karpiuk et Spaziani4. Dans un arti­cle, les auteurs étu­di­ent et com­par­ent les mesures pris­es par trois pays européens. 

Ain­si, la France s’est engagée tôt dans la cyber­sécu­rité, avec une pre­mière archi­tec­ture nationale mise en place en 2013. L’ac­cent a été mis sur la pro­tec­tion des infra­struc­tures cri­tiques, la préven­tion des cyber­crimes et la sen­si­bil­i­sa­tion du pub­lic. La créa­tion de l’A­gence nationale de la sécu­rité des sys­tèmes d’in­for­ma­tion (ANSSI) en 2009 a ren­for­cé la coor­di­na­tion des efforts nationaux. La stratégie française est car­ac­térisée par une approche glob­ale, inté­grant des aspects tech­niques, juridiques et de coopéra­tion internationale.

La Pologne a adop­té une loi sur le sys­tème nation­al de cyber­sécu­rité en 2018, définis­sant un cadre juridique clair et pré­cisant les respon­s­abil­ités des dif­férents acteurs. L’ac­cent est mis sur la pro­tec­tion des ser­vices essen­tiels et la résilience des sys­tèmes d’in­for­ma­tion. Le CERT polon­ais joue un rôle cen­tral dans la sur­veil­lance des men­aces et la réponse aux inci­dents. La stratégie polon­aise est mar­quée par une approche prag­ma­tique, axée sur la mise en œuvre con­crète de mesures de sécurité.

L’I­tal­ie a rejoint plus tar­di­ve­ment la course à la cyber­sécu­rité, avec une pre­mière archi­tec­ture nationale mise en place en 2013. L’A­gence nationale pour la cyber­sécu­rité (ACN), créée en 2021, a ren­for­cé la coor­di­na­tion des efforts nationaux. La stratégie ital­i­enne met l’ac­cent sur la pro­tec­tion des infra­struc­tures cri­tiques, la coopéra­tion inter­na­tionale et le développe­ment de com­pé­tences en matière de cybersécurité.

Ain­si, les trois pays ont mis en place des straté­gies de cyber­sécu­rité pour faire face aux men­aces numériques, en partageant des objec­tifs com­muns tels que la pro­tec­tion des infra­struc­tures cri­tiques, la préven­tion et la réponse aux inci­dents, ain­si que la sen­si­bil­i­sa­tion du pub­lic. Toute­fois, des dif­férences nota­bles les dis­tinguent. La France, pio­nnière en la matière, a dévelop­pé une archi­tec­ture insti­tu­tion­nelle solide et une stratégie glob­ale, tan­dis que la Pologne a opté pour une approche plus prag­ma­tique, axée sur un cadre juridique pré­cis. L’I­tal­ie, quant à elle, a rejoint plus récem­ment ce mou­ve­ment, en met­tant en place une agence nationale dédiée à la cyber­sécu­rité. Si les pri­or­ités générales con­ver­gent, des nuances appa­rais­sent dans l’or­gan­i­sa­tion des struc­tures nationales et dans l’ac­cent mis sur cer­tains aspects spé­ci­fiques, reflé­tant les con­textes nationaux et les enjeux pro­pres à chaque pays.

Que faire par la suite ?

La cyber­sécu­rité est désor­mais une pri­or­ité stratégique pour les États européens. Alors que le numérique est désor­mais pleine­ment inté­gré dans notre quo­ti­di­en per­son­nel et pro­fes­sion­nel, les cyber­me­n­aces se diver­si­fient et se sophis­tiquent, met­tant à mal les sys­tèmes d’in­for­ma­tion des organ­i­sa­tions, publiques comme privées. Face à cette men­ace gran­dis­sante, les États ont mis en place des straté­gies nationales pour pro­téger leurs infra­struc­tures cri­tiques et garan­tir la con­ti­nu­ité de leurs services.

Les approches mis­es en place par dif­férents pays con­ver­gent vers un objec­tif com­mun : la pro­tec­tion des citoyens, des entre­pris­es et des États con­tre les cyber­at­taques. L’évo­lu­tion rapi­de du paysage de la cyber­sécu­rité néces­sit­era une adap­ta­tion con­stante de ces straté­gies et une coopéra­tion ren­for­cée entre les États mem­bres de l’U­nion européenne, c’est tout le sens de la direc­tive européenne NIS25.

1Leimeis­ter, J.M., Öster­le, H. & Alter, S. Dig­i­tal ser­vices for con­sumers. Elec­tron Mar­kets 24, 255–258 (2014). https://doi.org/10.1007/s12525-014‑0174‑6
2Bar­ry M. Lein­er, Vin­ton G. Cerf, David D. Clark, Robert E. Kahn, Leonard Klein­rock, Daniel C. Lynch, Jon Pos­tel, Lar­ry G. Roberts, and Stephen Wolff. 2009. A brief his­to­ry of the inter­net. SIGCOMM Com­put. Com­mun. Rev. 39, 5 (Octo­ber 2009), 22–31. https://​doi​.org/​1​0​.​1​1​4​5​/​1​6​2​9​6​0​7​.​1​6​29613
3Revue stratégique de cyberdéfense, SGDSN, 15 mars 2018  https://​www​.sgdsn​.gouv​.fr/​p​u​b​l​i​c​a​t​i​o​n​s​/​r​e​v​u​e​-​s​t​r​a​t​e​g​i​q​u​e​-​d​e​-​c​y​b​e​r​d​e​fense 
4Gaie, Karpiuk, Spaziani. Cyber­se­cu­ri­ty in France, Poland and Italy, Stu­dia Iuridi­ca Lubli­nen­sia, 2024, In Pub­lish
5Direc­tive (EU) 2022/2555 of 14 Decem­ber 2022 on mea­sures for a high com­mon lev­el of cyber­se­cu­ri­ty across the Union, amend­ing Reg­u­la­tion (EU) No 910/2014 and Direc­tive (EU) 2018/1972, and repeal­ing Direc­tive (EU) 2016/1148 (NIS2 Direc­tive) [2022] OJ L333/80.  https://​eur​-lex​.europa​.eu/​e​l​i​/​d​i​r​/​2​0​2​2​/​2​5​55/oj

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