Après le cloud, le “fog” est-il l’avenir des bases de données ?
- Le Fog computing est une infrastructure informatique décentralisée, où de multiples petites machines sont dispersées géographiquement et placées proches des utilisateurs.
- La technologie est en plein développement et permet de réduire les temps de trajets des flux de données vers les centres de données du Cloud.
- Le Fog computing est déjà utilisé dans l’industrie, et intéresse de nombreux domaines comme l’agriculture, la santé ou le tourisme.
- Il permet de gagner en rapidité et en efficacité, ce qui est très utile pour les applications qui nécessitent de l’interactivité, comme la réalité augmentée ou les jeux vidéo.
- Le système n’a pas vocation à remplacer le Cloud, mais peut répondre à certaines de ses limites : consommation importante d’énergie, saturation, latence…
Envoyer un e‑mail, regarder une vidéo sur YouTube, organiser une réunion en visioconférence, ou encore jouer à un jeu en ligne… Chacune de ces activités nécessite des flux importants de données vers et au départ de serveurs, situés dans des centres de données. Le Cloud est le système de traitement et de stockage à distance privilégié pour développer toutes les applications Internet que nous utilisons au quotidien. Mais d’autres infrastructures informatiques décentralisées existent. Le Fog computing ou « informatique en brouillard » connaît une popularité croissante. Selon le consultant spécialisé Future Market Insights, le marché mondial du Fog computing devrait atteindre 2,2 milliards de dollars d’ici 2032, alors qu’en 2022, il était évalué à 196,6 millions de dollars.
Raccourcir le trajet des données
Qu’est-ce que le Fog computing ? « Il s’agit d’un cloud extrêmement distribué, avec des petites unités de calcul, dispersées géographiquement, plus proches des sources de données, donc des utilisateurs. », définit Guillaume Pierre, professeur d’informatique à l’Université de Rennes, qui travaille actuellement sur cette technologie. En effet, les données des utilisateurs font des allers-retours vers des data centers généralement très éloignés, qui peuvent se trouver dans un autre pays ou un autre continent, et qui sont très énergivores. Le Fog computing permet de raccourcir les trajets de ces flux. Guillaume Pierre travaille ainsi sur l’utilisation de petites machines, de la taille d’une carte de crédit, souvent utilisées pour enseigner l’informatique, les Raspberry Pi.
Cette infrastructure répond donc à certaines limites du Cloud. Cependant, le Fog computing ne remplacera pas le Cloud, prévient le professeur d’informatique : « Le Fog computing est plutôt l’extension du Cloud vers de nouveaux territoires, de nouveaux types de besoins. » Son intérêt principal : la rapidité et l’efficacité des transmissions de données. Le Fog computing peut donc s’avérer particulièrement utile lorsque l’application utilisée nécessite un temps de réponse le plus faible possible, comme la réalité augmentée ou les jeux vidéo.
Le Fog computing est l’extension du Cloud vers de nouveaux territoires, de nouveaux types de besoins.
« Quand on va vers des scénarios d’utilisation exigeants, le temps de réponse peut être suffisamment important pour que l’interactivité soit compromise et que l’application fonctionne mal voire pas du tout. », précise Guillaume Pierre. Pour la réalité virtuelle ou augmentée, par exemple, les spécialistes indiquent que si le temps entre un mouvement et la mise à jour de l’affichage dépasse un délai de 20 millisecondes, l’utilisateur peut souffrir de mal de mer parce que les objets ont l’air de ne pas être stables. « Le Fog computing peut être une solution pour réduire les temps de latence entre l’utilisateur et le jeu. », détaille le professeur.
Un avantage pour l’Internet des objets
L’autre avantage du Fog computing se justifie en regard du développement de l’Internet des objets. Les objets connectés comme les smartphones, les tablettes, les voitures ou les téléviseurs intelligents sont désormais omniprésents. Et c’est le cas aussi dans de nombreux domaines comme l’industrie, l’agriculture, la recherche scientifique, l’urbanisme ou encore la sécurité. Or, des objets connectés, comme un capteur de température, une caméra ou un compteur d’énergie, produisent des données à certains endroits précis. « Quand on travaille avec des scientifiques qui observent la crue d’une rivière, par exemple, il peut être intéressant de traiter les données sur place de façon à pouvoir programmer des réactions comme changer la fréquence des mesures, appliquer tel type de traitements etc. », explique Guillaume Pierre.
Le Fog computing est-il une solution aux enjeux environnementaux posés par les centres de données ? La réponse n’est pas évidente, selon Guillaume Pierre. En effet, ces centres consomment beaucoup d’énergie, mais ils sont aussi bien optimisés. La technologie du Fog est encore en plein développement. « Si on fait mal les choses, il est possible de plus consommer. En revanche, on aura peut-être accès à davantage d’énergie renouvelable pour alimenter les petites machines. Nous sommes en train de réfléchir à des façons d’alimenter les outils avec des sources renouvelables, peut-être des panneaux solaires, ce qui réduirait considérablement l’impact écologique. », indique le spécialiste.
Notre utilisation massive du numérique pourrait, en outre, mener à une crise du stockage. Pour des chercheurs de l’Aston University, en Angleterre, le Cloud arriverait à saturation, avec une augmentation de 300 % du nombre de données dans le monde dans les trois prochaines années (étude publiée en décembre 2022). « Organiser des systèmes de stockage à base d’unités plus petites peut constituer une partie de la solution, en particulier si les données sont déjà dispersées à l’origine, comme celles de l’Internet des objets. », affirme Guillaume Pierre.
Vers une massification de la technologie ?
Au-delà de la comparaison avec le Cloud, la recherche autour du Fog computing a déjà mené à des avancées concrètes. Guillaume Pierre a coordonné le projet européen de formation doctorale FogGuru. Huit doctorants ont pu travailler avec la ville de Valence, en Espagne, sur la consommation d’eau, un enjeu majeur dans cette zone semi-désertique. La ville déploie depuis quinze ans des compteurs intelligents, similaires à l’appareil Linky d’Enedis : l’équipe de chercheurs a développé l’application permettant de traiter les données dans le but d’intervenir plus rapidement en cas de fuite d’eau chez les consommateurs. Auparavant, le délai de réponse était entre trois et six jours. Avec le Fog computing, les données sont transmises plus fréquemment et efficacement et le temps d’intervention est passé à quelques heures seulement, ce qui évite le gaspillage de cette ressource précieuse.
Le Fog computing est, par ailleurs, déjà déployé dans l’industrie. Les opérateurs téléphoniques se montrent aussi très intéressés par le développement de cette technologie, tout comme les musées et offices de tourisme qui y voient un moyen de proposer animations et simulations fluides et rapides. Les utilisations sont variées : traitement de données scientifiques, jeux vidéo, procédés industriels, restaurants qui veulent optimiser leur fréquentation, analyses médicales, visites d’une ville ou d’une exposition en réalité augmentée…
Que manque-t-il alors pour le développement à grande échelle de cette technologie ? « Ce qu’on n’a pas encore aujourd’hui, ce sont des systèmes généralistes, où n’importe qui pourrait déployer son application dans le Fog, et où plusieurs usages coexisteront. Cette massification va prendre un peu de temps, car on manque de technologies de déploiement d’application et de gestion de plateforme, sur lesquelles nous travaillons actuellement. D’ici une dizaine d’années, on aura cette technologie déployée, disponible, peut-être pas pour des particuliers, mais certainement pour les entreprises. », assure Guillaume Pierre.