La 5G a commencé à être installée sur le territoire français en 2020. Cette cinquième génération de téléphonie mobile survient à la suite des précédentes. Ces générations, se succèdent toutes au même rythme d’environ tous les dix ans et marquent chacune une évolution technologique : après la voix (2G), le texte et les SMS (3G), puis l’internet mobile (4G), la 5G permet désormais d’offrir des débits plus importants, un temps de latence plus faible et de connecter bien plus d’objets. Son rayon d’action est donc bien plus large que les seules utilisations grand public.
[Vidéos produites en partenariat avec l’Ecole Polytechnique Executive Education].
Un outil surtout industriel
La 5G aura des applications « aussi bien dans les entreprises que dans de grands espaces publics comme les gares, les aéroports, les stades. Elle permettra d’assurer les connexions simultanées de milliers, voire de millions d’appareils » explique Pierre-Jean Benghozi, directeur de recherche au CNRS, et professeur à l’École polytechnique, spécialiste de l’économie du numérique. Certains imaginent même qu’il sera par exemple possible, depuis sa tribune du stade de France, de zoomer individuellement « en live » sur l’écran de son portable pour mieux voir un joueur spécifique s’approcher des buts…
Si la 5G va permettre de désengorger le réseau public 4G (proche de la saturation dans les zones très peuplées) elle n’a néanmoins pas été conçue pour les applications ludiques, ni pour que les amateurs de séries télévisées puissent télécharger leur épisode en un millième de seconde au lieu d’une. « La 5G répond d’abord aux besoins de numérisation de l’usine 4.0, avance Pierre-Jean Benghozi. L’essentiel des usages de la 5G est à destination des industriels. »
Présentée comme la nouvelle révolution industrielle (après la mécanisation, la production de masse au XIXesiècle et l’automatisation de la production au XXe siècle), l’usine 4.0 se caractérise par l’intégration des technologies numériques à tous les niveaux, jusqu’aux processus de fabrication, permettant de penser les usages différemment. « Dans cette usine, l’Internet des Objets est un réseau de réseaux qui permet […] d’identifier directement des entités numériques et des objets physiques afin de pouvoir récupérer, stocker, transférer puis traiter, sans discontinuité entre les mondes physiques et virtuels, les données s’y rattachant »poursuit le professeur Benghozi1. Et tout ceci est possible grâce à des systèmes d’identification électronique et des dispositifs mobiles sans fil d’abord, des modalités de connexion ultra haut débit fixe et mobile de plus en plus emboitées ensuite, et enfin des capacités algorithmiques et de traitement de données pouvant être pensées de manière répartie.
La 5G répond d’abord aux besoins de numérisation de l’usine 4.0… l’essentiel des usages est à destination des industriels.
Cette communication continue et instantanée entre les différents outils et postes de travail intégrés dans les chaînes de fabrication et d’approvisionnement suppose des investissements et de repenser les modes d’organisation, mais elle permet d’optimiser les processus manufacturiers tout autant que la gestion de services. De plus, elle donne les moyens d’améliorer la flexibilité afin de s’adapter à la demande en temps réel et de mieux satisfaire les besoins individuels de chaque client.
La première usine 5G de France
Le projet « 5G Steel » d’ArcelorMittal, lancé avec l’appui du plan de relance, est une bonne illustration des nouvelles méthodes de production que permet la 5G. C’est sur son immense site de Dunkerque que le géant mondial de l’acier a installé son propre réseau privé, sur des bandes mises à disposition par l’ARCEP (Autorité de Régulation des Communications Électroniques et des Postes). Marquant sa volonté de rester européen, ArcelorMittal a choisi de travailler sur ce réseau avec l’opérateur Orange et l’équipementier Ericsson.
Il faut imaginer le site de Dunkerque comme une petite ville de 3 300 salariés, qui produit 10 % de l’acier du groupe sidérurgiste, soit 6 à 7 millions de tonnes par an. Ici, ponts automatiques et gigantesques grues jalonnent des lignes de production d’environ 2 km de long, sur lesquels sont placés plus de 200 capteurs de données permettant de suivre la production.
« Ce site est à certains endroits ouverts, à d’autres fermés, et comprend de nombreuses zones blanches » explique David Glijer, directeur technique chez ArcelorMittal et responsable du déploiement du projet. « Il est absolument impossible de couvrir tout le site avec la fibre. Jusqu’ici le personnel passait beaucoup de temps à faire des allers retours entre les lignes de production et le central pour recharger des données. » Avec la 5G, le réseau est disponible sur tout le site. « De plus, nous envisageons de faire circuler sur le site (200 km de voies ferrées internes et plusieurs kilomètres de routes privées) nos gros porteurs (capacité de transport de 120 tonnes de bobines d’acier) de façon autonome, sans chauffeur, car ces transports sont complexes et parfois dangereux. »
Huit antennes « outdoor » (en extérieur) ont été installées sur ce site, qui, classé Seveso, impose des normes de sécurité draconiennes. « La sécurité est une de nos obsessions, et nous devons fonctionner 24h/24h : en maitrisant notre propre réseau, nous sommes à l’abri d’un problème technique qui surviendrait chez un opérateur extérieur. »
Le risque industriel est très important si on ne prend pas le virage de la 5G.
Le projet 5G Steel est déjà opérationnel, mais encore expérimental. « Ici nous testons vraiment la 5G en environnement industriel « sévère », puisqu’il y a sur ce site beaucoup de poussière, du métal en grande quantité, des zones de forte chaleur… Il faut vérifier que le métal ne crée pas des interférences avec les antennes, lever les incertitudes et les risques en termes de robustesse, de sécurité. »
D’autres industriels piétinent
À Dunkerque, la 5G s’inscrit dans un projet collaboratif multisites, et sera déployée en 2023 sur les sites de Florange et Mardyck. Mais en France, le réseau d’ArcelorMittal est singulièrement isolé. En mars 2022, le rapport de Philippe Herbert sur la Mission 5G industrielle2 relevait plusieurs freins au développement des usages industriels de ce type de réseau en France, notamment le problème d’accès aux fréquences, la faiblesse de l’écosystème autour de la 5G industrielle et l’insuffisante disponibilité d’équipements et de services adaptés.
« Jusqu’à présent, afin d’accéder à la 5G, un industriel doit débourser au minimum 70 000 euros pour obtenir un droit d’émettre sur une zone de 100 km2, souligne Philippe Herbert dans son rapport. Le ticket d’entrée est bien trop élevé pour tester une technologie nouvelle et la zone d’émission bien trop large s’il s’agit d’équiper un site industriel de quelques km2. » D’autres pays ont choisi de réserver dès le départ des fréquences à leurs entreprises. C’est le cas de l’Allemagne, où plus de 70 universités et sociétés travaillant dans les secteurs de l’industrie, les transports, la santé et les médias se sont lancés dans des projets de 5G industrielle.
« Nous devons faire comprendre aux entreprises françaises et européennes, PME comprises, que le risque industriel est très important si on ne prend pas le virage de la 5G, estime David Glijer. Nos compétiteurs sont en Asie, Chine et Corée, où la 5G fonctionne déjà. Mais il ne suffit pas d’avoir le réseau, il faut les applications. Il est donc essentiel de drainer dans notre sillage des start-ups françaises et européennes qui travaillent sur de telles applications. C’est pourquoi ici, notre réseau, bien que privé, est accessible à nos partenaires de la Communauté urbaine de Dunkerque, qui pourra en faire bénéficier certaines entreprises. »