Le taux de chômage des jeunes est défini par le pourcentage de jeunes (15 à 24 ans) sans emploi, capables de travailler et ayant reçu une formation (c’est-à-dire la population active jeune). À l’échelle mondiale, cela concerne 75 millions de jeunes formés qui restent sans emploi1 (contre 621 millions de Neet), avec des proportions variables selon les pays. Ainsi, en particulier dans les économies développées, le marché du travail des jeunes est l’un des indicateurs clefs d’une économie performante, sans parler des importantes répercussions sociales.
Dans les économies de marché libérales comme le Royaume-Uni ou les États-Unis, lorsqu’il y a une pression sur les marchés financiers, comme lors des crises financières du COVID ou de 2008, les premiers licenciés sont les plus jeunes. Dans ces pays, il y a également moins de places d’apprentissage durant ces périodes, de sorte que, en début de carrière, la jeune génération a des difficultés à trouver un emploi. Le système éducatif a donc une fonction sociale évidente dans l’intégration des jeunes sur le marché intermédiaire. C’est pourquoi les efforts pour maintenir les places d’apprentissage pendant les crises, déployés par d’autres pays comme l’Autriche et l’Allemagne, se sont avérés bénéfiques pour limiter le taux de chômage des jeunes.
Une relation éducation-emploi
Afin de mieux en comprendre les facteurs, de nombreuses recherches ont été menées sur la relation entre l’éducation et l’emploi. Un modèle pertinent, créé par Busemeyer et Trampusch2 il y a plus de dix ans, utilise une typologie à quatre niveaux pour décrire le lien entre l’éducation et le marché du travail. Leur modèle fait essentiellement la distinction entre l’engagement de l’État en faveur de l’éducation et de la formation, tout en considérant les contributions des entreprises privées. Ces dernières peuvent être soit faibles soit élevées, ce qui conduit essentiellement à quatre types de régimes de compétences ; par exemple, si la contribution des deux est faible, on peut parler de systèmes « libéraux » comme au Royaume-Uni et aux États-Unis. Si la contribution de l’État est élevée et les contributions privées faibles, on peut parler de système étatique comme la France et la Suède, ou inversement, au Japon, les engagements de l’État sont faibles et les contributions des entreprises élevées. Alors qu’en Autriche, en Allemagne, au Danemark et en Suisse, qui peuvent être considérés comme des « régimes de compétences collectives », les engagements sont élevés des deux côtés.
Bien que cette analyse n’ait pas nécessairement permis de déterminer si l’un ou l’autre système était meilleur, elle a fourni une classification de la manière dont l’enseignement, la formation professionnelle et la relation avec les industries diffèrent selon les pays.
Une autre façon d’envisager le lien entre l’éducation et l’emploi consiste à supposer un équilibre optimal entre les deux et donc un apport partagé entre les systèmes d’éducation publics et les entités privées (fig. 1).
Cette approche a été testée par des chercheurs de l’Institut économique suisse du KOF de l’ETH Zurich, qui ont mis au point l’indice EEL (Education-Employment-Linkage). Ils ont examiné les programmes d’enseignement professionnel les plus importants des pays de l’OCDE et ont interrogé des experts ainsi que des parties prenantes sur ce lien, au moyen d’enquêtes. Par exemple, ils ont demandé dans quelle mesure les employeurs contribuaient à la conception des programmes d’études ou à l’évaluation des compétences. Sur cette base, ils ont élaboré un indice fondé sur des critères qualitatifs pondérés de façon à générer un indice quantitatif.
En utilisant l’indice EEL, il est donc possible de classer les pays en fonction du degré de coopération entre l’éducation et l’emploi. D’une certaine manière, cela prouve également l’approche des régimes de compétences, car les régimes de compétences collectives (tels que l’Autriche ou l’Allemagne) se sont avérés bien classés dans l’indice EEL. Toutefois, les chercheurs suisses ont pu tirer des conclusions plus approfondies. Ainsi, ils ont noté une corrélation entre l’indice EEL (KOF EELI) et le taux de chômage des jeunes — les pays qui ont obtenu les meilleurs résultats sont ceux où le chômage des jeunes est moindre (KOF YLMI).
Mais restons prudents. Même si nous avons de bons arguments pour croire à l’existence d’un lien de causalité, nous n’avons pas encore de preuve au-delà des corrélations. En outre, ce type de recherche est généralement effectué dans le cadre d’études ponctuelles, comme des instantanés de certaines industries dans certains pays à certains moments. Nous pouvons comparer les pays, mais par exemple, nous ne disposons de l’indice EEL que pour l’année 2016 et il n’existe pas d’indice comparable pour les autres années — il serait donc intéressant de disposer d’une série chronologique plus longue.
Éducation, emploi et qualité de vie
Au-delà de l’analyse actuelle, la question suivante se pose : s’il existe un lien étroit entre l’éducation et l’emploi, pouvons-nous améliorer la société dans son ensemble ? Même si le taux de chômage des jeunes peut être un indicateur de la santé économique, les modèles actuels ne tiennent pas compte d’autres indicateurs sociétaux plus larges, comme l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, la qualité de vie ou le bonheur général. Nous sommes encore loin de disposer d’un modèle complet de ces relations.
En outre, un système d’éducation à engagement plus élevé semble être meilleur, mais seulement dans certains aspects que nous examinons. Oui, davantage de jeunes trouvent un emploi, mais dès que l’on commence à examiner d’autres indicateurs économiques tels que la productivité et l’innovation, l’impact d’un lien étroit entre éducation et emploi est moins évident. De plus, en ce qui concerne les tendances du marché du travail, les prévisions sont de moins en moins efficaces pour savoir quelles sont les compétences nécessaires, au point que ce que nous entendons n’est que rhétorique politique ; nous n’avons aucune preuve scientifique de la voie à suivre. Il est donc compréhensible que l’accent soit mis sur des compétences clefs telles que la numératie et la littératie pouvant être considérées comme universelles. Bien sûr, des questions comme la résolution de problèmes, la créativité et le travail en équipe — considérées comme des compétences du « XXIe siècle » — sont également cruciales, mais elles sont moins transférables d’un domaine professionnel à l’autre.
Réorganiser le travail
En somme, il ne faut pas oublier que l’organisation du travail est entre les mains des entreprises qui emploient des personnes. Je dirais que c’est le principal levier. Vous pouvez essayer de changer et d’améliorer le système éducatif autant que vous le voulez, mais s’il n’y a pas le bon type d’emplois proposés par les employeurs, cela n’aura pas d’effet positif sur le taux d’emploi. La conception et la qualité des emplois sont donc essentielles !
Prenons deux cas extrêmes. D’un côté, nous constatons que les entreprises ont tendance à organiser le travail de manière à ce qu’il puisse être effectué par n’importe qui. Cela inclut le microtravail tel que celui négocié par Amazon Mechanical Turk. Ici, les tâches sont divisées en si petits morceaux, comme cliquer sur une image sur un écran ou scanner un produit sur un rayon, qu’aucune ou peu de formation n’est nécessaire. Il existe toutefois un danger que ces méthodes soient utilisées comme des moyens élaborés d’exploitation humaine.
D’autre part, après la sortie de la crise du COVID, dans certains pays d’Europe, le marché du travail a déjà retrouvé les taux d’avant la crise. Certains affichent même des taux de chômage inférieurs à ceux d’avant. La pandémie a amené de nombreuses personnes à réfléchir à ce qu’elles considèrent comme un emploi de qualité, et la nouvelle génération de diplômés est beaucoup plus exigeante envers les employeurs qu’il y a 20 ou 30 ans. Cela met la pression sur les entreprises, les poussant à réfléchir à la manière de modifier le travail. À mon avis, la « grande démission » n’est pas un phénomène singulier de la crise du COVID, mais l’annonce d’un marché du travail en mutation. Ainsi, dans les années à venir, nous devrions constater une différence dans l’organisation du travail pour rendre les emplois plus attrayants.
Une question demeure cependant : quel rôle l’État jouera-t-il dans la direction que nous prenons ?
- http://hozekf.oerp.ir/sites/hozekf.oerp.ir/files/kar_fanavari/manabe%20book/TVET/The%20Wiley%20handbook%20of%20vocational%20education%20and%20training.pdf#page=157
- http://www.people.fas.harvard.edu/~iversen/PDFfiles/Busemeyer%26Iversen2011.pdf
- https://www.researchgate.net/publication/299395981_Success_factors_for_the_Dual_VET_System_Possibilities_for_Know-how-Transfer