Quels sont les systèmes éducatifs qui fonctionnent bien concernant l’accès à l’emploi, et ceux qui laissent à désirer ?
L’analyse diffère en fonction du diplôme obtenu à la sortie des études. Sans surprise, de meilleurs débouchés sur le marché du travail s’offrent aux titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur dans quasi tous les pays de l’OCDE. C’est particulièrement vrai en France, où 87 % des 25–34 ans diplômés du supérieur sont en emploi, contre seulement 51 % parmi ceux qui n’ont aucune qualification (les moyennes OCDE sont respectivement de 85 % et 61 %). C’est l’un des écarts les plus importants des pays de l’OCDE. Le diplôme est la meilleure protection contre le chômage ou l’inactivité en France, et ceux qui « décrochent » à l’école se retrouvent en très grande précarité sur le marché du travail.
Pour ce qui est de l’enseignement supérieur, les pays d’Europe du Sud (Espagne, Italie et Grèce) font figure de mauvais élèves avec des taux d’emploi inférieurs à 80 %. Deux raisons majeures : certains diplômes universitaires sont encore peu valorisés par les entreprises, mais surtout les taux de chômage des jeunes restent élevés dans ces pays. Plus surprenant, la Corée du Sud avec un taux d’emploi de 77 % est aussi en queue de peloton, d’une part parce que l’expansion ultra rapide de l’enseignement supérieur a abouti à des décalages importants entre les besoins des entreprises et la durée ainsi que l’exigence des formations. Et d’autre part, car les femmes coréennes se mettent souvent en inactivité après leurs études supérieures pour fonder une famille.
Parmi les pays de l’OCDE où le taux d’emploi des 25–34 ans diplômés du supérieur approche ou dépasse 90 %, on retrouve des pays où les filières professionnelles du supérieur sont très développées et soutenues par les entreprises (Allemagne, Luxembourg, Pays-Bas) et certains pays nordiques (Norvège, Islande et Suède) où les taux d’emplois sont élevés, quel que soit le diplôme obtenu.
On associe souvent le poids des mathématiques au succès des élèves. Qu’en est-il vraiment ?
L’intérêt du marché du travail pour les diplômés en sciences — la technologie, l’ingénierie et les mathématiques (STIM) — ne se dément pas. Ces filières offrent encore aujourd’hui de meilleurs taux d’emploi et souvent les meilleurs salaires, ce qui reflète la demande d’une société de plus en plus axée sur l’innovation. En chiffres, les diplômés en technologies de l’information et de la communication (TIC) peuvent s’attendre à un taux d’emploi supérieur de 7 points de pourcentage à celui des diplômés en lettres et arts, ou en sciences sociales, journalisme et information. Parmi les domaines scientifiques, les taux d’emploi sont cependant inégaux : les diplômés en sciences naturelles, mathématiques et statistiques sont plus susceptibles d’avoir des taux d’emploi similaires à ceux des diplômés en lettres et arts — tous deux inférieurs à ceux dont bénéficient les ingénieurs ou les spécialistes des TIC.
C’est surprenant, car les mathématiques jouent encore aujourd’hui un rôle majeur dans les systèmes éducatifs tant pour la formation aux métiers que pour la sélection vers l’enseignement supérieur. Le niveau en mathématiques est d’ailleurs un sujet d’inquiétude dans de nombreux pays. Les résultats des élèves de 15 ans à l’étude PISA montrent une baisse du niveau dans une majorité de pays et notamment en France où en 2003, 15 % des élèves obtenaient de très bonnes performances (5 et 6 au PISA, 6 étant le maximum) alors qu’en 2018, ils n’étaient plus que 11 %. Les élèves en difficulté (en dessous du niveau 2) représentaient quant à eux 17 % du total en 2003 pour 21 % en 2018. En 15 ans, la France est ainsi passée du groupe des pays où les élèves de 15 ans sont performants en mathématiques à celui se situant tout juste au niveau de la moyenne OCDE. La situation au primaire est encore plus inquiétante. Dans la dernière étude internationale (TIMSS), qui évaluait le niveau en Mathématiques des élèves de CM1, on trouvait la France en dernière position du classement avec un score moyen de 488 points, pour une moyenne européenne de 527 points.
D’où proviennent ces difficultés en mathématiques ?
Les pays dont l’investissement sur la formation des enseignants est ou a été insuffisant ont en général un niveau en baisse. Le métier d’enseignant en mathématiques manque aujourd’hui cruellement d’attractivité, notamment pour des raisons de rémunération, de prestige, d’absence de formation continue et d’évolution de carrière. Dans l’enseignement élémentaire en France, un problème de compétences existe également. Il est stupéfiant de constater que les élèves qui choisissent les filières littéraires en raison de leurs mauvaises performances en maths au lycée sont les mêmes qui après une licence en Lettres, Arts ou Sciences Humaines s’orientent vers des carrières d’enseignement en cours élémentaires. Selon l’étude TIMSS, les enseignants de CM1 en France sont les plus nombreux à déclarer se sentir mal à l’aise lorsqu’il s’agit d’améliorer la compréhension des mathématiques des élèves en difficulté (39 % contre 21 % en moyenne). Pourtant, l’étude PISA de 2018 a démontré que l’enthousiasme des enseignants, leur capacité à transmettre leur savoir avec plaisir et assurance sont les premiers facteurs de succès des élèves.
L’amélioration des performances éducatives en France passera donc par une meilleure formation des acteurs, mais aussi par la poursuite de la politique engagée depuis 2012 de lutte contre les inégalités scolaires et sociales. Un nombre grandissant de pays, et dans des zones géographiques très différentes — Royaume-Uni, Finlande, Australie, Canada, Estonie, Japon pour n’en citer que quelques-uns — concilient une performance au-dessus de la moyenne et une plus grande équité sociale dans la performance. Les inégalités observées en France ne sont donc pas une fatalité. Le facteur numéro un est toujours l’investissement humain. En Corée du Sud, par exemple, les meilleurs enseignants sont systématiquement attribués aux élèves en difficulté. En France, c’est l’inverse. Les jeunes enseignants en manque d’expérience sont souvent affectés dans les établissements défavorisés et confrontés ainsi aux élèves les moins préparés.
Y a‑t-il des systèmes éducatifs innovants ?
Dans des pays comme la Finlande, l’Estonie ou encore le Canada, l’école ne sert pas à noter ou à trier les élèves selon leurs résultats aux disciplines. Le but principal est plus vaste, il vise à préparer les jeunes à devenir des citoyens éclairés dans le monde du 21ème siècle et à créer des vocations. Les métiers et le monde de l’entreprise sont très présents dans les cursus scolaires de ces pays, et dès le collège. Cette approche moins disciplinaire, plus ancrée dans le monde réel, se développe un peu partout dans le monde. On le voit dans notre projet de l’OCDE « Éducation 2030 ». En Finlande par exemple, le programme éducatif est désormais centré sur des compétences non cognitives que sont la créativité, la curiosité, la capacité à collaborer, la confiance en soi ou encore la communication. La numératie demeure importante, mais le rapport aux mathématiques est décomplexé et traité de façon interdisciplinaire. A contrario, il est intéressant de constater que la France et le Japon sont les deux pays, dans PISA 2012, où les mathématiques généraient le plus d’anxiété chez les élèves de 15 ans.
Quelles sont les recommandations de l’OCDE pour permettre aux systèmes éducatifs d’être plus en phase avec le marché de l’emploi ?
Nous recommandons de renforcer la formation initiale des enseignants sur le volet pédagogique du métier. Les enjeux ne sont plus les mêmes qu’il y a 30 ans, l’éducation s’est démocratisée et les enseignants doivent faire face à des classes de plus en plus hétérogènes, ce qui demande une évolution dans la pédagogie utilisée. Il faut également renforcer l’attractivité du métier d’enseignant, notamment dans le domaine scientifique, pour faire face à la compétition avec le secteur privé : augmenter la rémunération, permettre des évolutions de carrière, développer la formation continue afin d’avoir accès au meilleur de la recherche en neurosciences et en sciences de l’éducation. Enfin, les meilleurs enseignants doivent être mobilisés auprès des publics les plus difficiles, la politique en faveur des premiers niveaux d’éducation et des écoles défavorisées doit, en ce sens, absolument être prolongée.