Nos cerveaux sont-ils câblés à la naissance ? Au moins en partie, selon la science.
Des études réalisées ces dernières années sur la région du cerveau responsable de la mémoire, l’hippocampe, suggèrent que les neurones de cette région semblent être pré- câblés pendant le développement. Les scientifiques en concluent que des groupes de neurones déterminés par des événements très précoces peuvent constituer les structures de base de notre mémoire.
Pour comprendre comment ces structures de base se construisent au cours du développement, les chercheurs utilisent les nouvelles avancées en microscopie, qui permettent de voir dans le cerveau. Ils peuvent ainsi observer comment l’hippocampe se modifie quand les souris vivent de nouvelles expériences.
Peindre des neurones
En 2007, une équipe basée à l’Université de Harvard a mis au point une technique baptisée « brainbow » [cerveau-arc-en-ciel] permettant aux chercheurs de colorer les neurones d’un cerveau en développement Ainsi, lorsque les scientifiques les examinent au microscope, ils visualisent le cerveau comme un ensemble de cellules multicolores. Outre la création de ces images, qui ressemblent plus à de l’art qu’à de la science, cette technique permet aux chercheurs de mettre en évidence des neurones spécifiques, en localisant précisément les trajectoires de leurs axones, pourtant très frêles.
L’utilisation de couleurs permet également aux chercheurs d’étudier la neurogenèse, le processus par lequel le cerveau produit de nouveaux neurones. Chaque nouvelle cellule étant globalement le clone de sa cellule mère, elle portera aussi la même couleur, ce qui permettra donc aux scientifiques de suivre les lignées des cellules cérébrales.
Le projet HOPE
Si la coloration des cellules neurales est la première étape, la deuxième consiste à pouvoir les observer en haute résolution. En effet, le cerveau est composé de faisceaux denses de neurones entrelacés, et il n’est pas aisé de repérer des détails. Dans le cadre d’un nouveau projet européen, HOPE, qui doit se dérouler à partir de l’année prochaine, Emmanuel Beaurepaire et son équipe de l’Institut Polytechnique de Paris utilisent la microscopie à trois photons pour examiner les neurones colorés, et en particulier les changements qui surviennent dans l’hippocampe des souris à partir de leur naissance.
Les travaux antérieurs du Dr. Rosa Cossart de l’Institut de Neurobiologie de la Méditerranée, collaboratrice de HOPE, décrivent le processus de pré-câblage de l’hippocampe et l’organisation de l’activité des neurones de cette structure lorsque une expérience récente est rejouée dans le cadre de la mémorisation.
L’équipe, dont fait également partie Jean Livet de l’Institut de la Vision, prévoit de produire des cartes détaillées des projections neuronales et d’étudier la structure de l’hippocampe pour voir comment les cellules se connectent entre elles. Ce projet nécessitera donc à la fois un travail humain, mais aussi informatique, grâce au deep learning.
« Nous voulons voir comment les circuits cérébraux sont créés pendant le développement, et comment cela peut être relié à l’expérience dans le cerveau adulte », explique Emmanuel Beaurepaire. « Bien sûr, comme toujours avec le cerveau, nous sommes limités par notre capacité à observer en profondeur. En utilisant la microscopie à trois photons – sur laquelle nous travaillons depuis quatre ans – nous pouvons regarder à environ un millimètre de profondeur dans les tissus d’une souris vivante ».
De puissants lasers sont utilisés pour stimuler les matériaux fluorescents, permettant de voir les neurones colorés avec une grande précision. Non seulement cette technique permet de regarder plus profondément que les autres méthodes de microscopie, mais sa grande sensibilité permet également aux chercheurs de voir les détails jusqu’aux synapses individuelles. Cela peut sembler peu, mais 1 mm est certainement suffisant pour se faire une idée précise des mécanismes à l’œuvre. « Notre microscopie multi-photon est idéale pour l’hippocampe… de la souris. La technique est trop invasive pour un cerveau plus grand comme celui d’un humain et, pour l’instant, nous ne pourrions pas aller assez loin », déclare-t-il.
Aller au-delà du visuel
« La microscopie multiphotonique est très utilisée en neurosciences, mais elle sera associée à d’autres méthodes », ajoute-t-il. « Plus tard, nous prévoyons ainsi d’utiliser l’optogénétique, une technique qui nous permet de stimuler ou de bloquer des neurones spécifiques en utilisant la lumière, pour en observer les effets ».
« Nous constatons actuellement un énorme progrès dans notre compréhension des neurosciences – en termes de mémoire, de conscience et d’apprentissage – qui débouchera sans doute sur de nouvelles avancées dans toute une série de domaines », explique Emmanuel Beaurepaire. Les problèmes qui peuvent survenir dans l’hippocampe en développement sont connus pour être impliqués dans une série de problèmes de santé qui peuvent persister tout au long de la vie, comme l’épilepsie ou l’autisme, pour n’en citer que quelques-uns. Mais le véritable objectif de recherche reste pour l’instant de l’ordre de la science fondamentale : « Il s’agit d’abord de comprendre comment fonctionne le cerveau. Plus tard, peut-être, on pourra s’en servir pour des traitements médicaux ou psychiatriques ».