Alors que les effets du Covid-19 sont encore présents partout dans le monde, le moment semble opportun pour se pencher sur la prévention des futures pandémies. Pas moins de 75 % des maladies infectieuses touchant l’être humain sont d’origine animale. À ce titre, l’approche de One Health s’est retrouvée sous le feu des projecteurs.
C’est à l’occasion du Forum de Paris sur la paix, en novembre 2020, qu’a été lancé ce conseil d’experts de haut niveau,destiné à intégrer au sein d’une même structure les systèmes de santé humains, animaux et environnementaux. Signe de cette évolution vers une approche globale, Thierry Lefrançois, directeur du département des Systèmes biologiques du Cirad, est également le premier vétérinaire à rejoindre le Conseil scientifique Covid-19.
Le concept de One Health repose sur l’espoir que les chercheurs pourront identifier le plus rapidement possible les maladies émergentes susceptibles de se transmettre de l’animal à l’homme. Pourquoi est-il essentiel de mettre l’accent sur les problèmes environnementaux ?
75 % des maladies infectieuses affectant les humains sont d’origine animale, et sont dues à des micro-organismes (virus, bactéries ou parasites) capables d’infecter aussi bien les hommes que les animaux. Parmi les maladies associées, aussi connues sous le nom de « zoonoses », citons Ebola, dont on soupçonne les chauves-souris d’être le vecteur, la grippe aviaire chez les oiseaux domestiques et sauvages, la rage chez le chien et, bien sûr, le SARS-CoV‑2 (Covid-19). Même si l’on suppose qu’il est d’abord venu de la chauve-souris, on ignore quelles espèces ont permis sa transmission à l’homme (pangolin, vison, etc.). Les zoonoses surviennent à la suite d’une série de processus largement liés à la proximité entre les différentes espèces.
Notons que tout cela n’a rien de nouveau : cela fait des années que la communauté scientifique alerte sur le danger représenté par les zoonoses. Entre 1940 et 2000, la transmission des maladies de l’animal à l’homme a plus que triplé. Les raisons en sont simples : les virus se propagent bien plus facilement parmi les animaux élevés dans des milieux denses et parfois insalubres (élevages intensifs, notamment), comme en témoigne la propagation du Covid-19 chez les visons. En outre, la destruction des habitats due à la déforestation ou au remplacement de zones naturelles par des zones agricoles ou urbaines rapproche le bétail, les animaux domestiques et les hommes de la faune sauvage, favorisant alors la propagation des maladies entre espèces. Le risque de maladies infectieuses est ainsi largement influencé par les écosystèmes, les facteurs climatiques, les pratiques agricoles et autres causes socio-économiques.
Serons-nous bientôt capables de prévoir les pandémies ?
Il est extrêmement difficile de prévoir quelles zoonoses vont se transmettre d’une espèce à l’autre, comme le montrent les expériences passées. En revanche, le développement de nouvelles technologies susceptibles de nous aider à détecter le lieu et la période où de nouvelles épidémies apparaissent, en repérant les zones où la propagation de la maladie devient problématique. Cela va nous permettre d’identifier les agents pathogènes en circulation qui risquent de devenir pandémiques.
Le projet européen MOOD1, coordonné par le Cirad, consiste à étudier la façon dont nous pouvons utiliser l’intelligence artificielle (IA) pour détecter les pandémies le plus vite possible. Au lieu d’examiner les traditionnelles mesures épidémiologiques, qui nécessitent des échantillons et des tests biologiques, l’IA analyse les données textuelles disponibles sur Internet, comme les messages sur les réseaux sociaux. Cette analyse permet de dépister une épidémie très tôt. Nous pouvons rechercher des termes relativement familiers comme « grippe porcine » ou « fièvre » et comparer leurs occurrences pour repérer l’éventuelle apparition de clusters.
Il est également possible d’effectuer une « surveillance syndromique » grâce à la recherche ciblée par mots-clés sur Google, ou des tendances dans les ventes de produits pharmaceutiques — le but étant ici moins ici la prévention que la détection de pandémies émergentes aussi rapidement que possible en profitant de la montagne d’informations disponibles en ligne. Des expériences ont été menées avec cette technologie pour étudier l’arrivée de la grippe aviaire, et elles ont donné des résultats positifs, qui montrent que l’on aurait pu agir plus vite si l’on avait disposé de cette méthode à l’époque.
L’anticipation est cruciale, mais qu’en est-il de la prévention ?
Elle est extrêmement importante, car, en s’intéressant aux systèmes socioculturels, elle permet d’éviter l’émergence et de prévenir la circulation d’agents pathogènes chez les animaux. Nous suivons de près un certain nombre de maladies dans le monde, dont la grippe porcine africaine, la rage ou le Nipah (une infection présente chez les chauves-souris en Asie du Sud-Est). Des études ont révélé que ces efforts devraient être payants : investir dans la prévention revient cent fois moins cher qu’une pandémie2.
Il n’est pas utile, pour y parvenir, de cibler des animaux particuliers, dans la mesure où la transmission varie selon les espèces. Mieux vaut trouver un moyen de prévenir les facteurs qui favorisent la transmission, et qui semblent fluctuer selon leur localisation. C’est ainsi que nous avons pu identifier des zones à haut risque auxquelles nous portons particulièrement attention, comme le Mexique, le Zimbabwe ou le Vietnam. Dans un monde idéal, le développement urbain et agricole tiendrait compte de la biodiversité. Quand on agrandit une ville, pourrait-on créer des chemins pour que la nature puisse la traverser ? Y aura-t-il des animaux domestiques ou du bétail ? S’agira-t-il d’une zone d’agriculture intensive ? Répondre à ces questions aiderait à analyser les risques et à prendre en considération la santé environnementale, au même titre que le bien-être humain et animal.
Le concept de One Health est issu d’une collaboration internationale. À quel genre de coopération assistons-nous ?
De façon générale, ce sont des institutions distinctes qui gèrent au sein des États la santé, l’environnement et l’agriculture. Avec One Health, nous proposons une approche intégrée au plus haut niveau. Le mois dernier, l’appel à experts a été clôturé, et le conseil international sélectionné a réuni ce mois-ci une vingtaine de spécialistes pour travailler de concert et apporter une expertise multidisciplinaire aux organisations internationales concernées par les problématiques que traitera One Health (OMS, Organisation mondiale de la santé animale, Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, Programme des Nations unies pour l’environnement).
Ce n’est toutefois pas sur la coopération au plus haut niveau que doit se concentrer notre attention. L’initiative One Health doit bien sûr être prise au sérieux par les États, mais le travail sur le terrain est tout aussi important. Afin d’être sûrs d’étudier les bons indicateurs, nous devons être attentifs à ce qui se passe in situ. Ce n’est pas seulement le travail des chercheurs, mais aussi celui des agriculteurs, des parcs nationaux, des services publics, etc.
Il faut donc agir à l’échelle du territoire, « penser global, agir local. » Privilégier le « partage des terres » plutôt que la protection de zones sous la forme de parcs naturels, dans la mesure où la nature ne fait pas la différence entre un parc national et une zone occupée par l’homme. Fusionner les deux serait donc une façon intelligente de préserver la biodiversité. Lors du Sommet de la planète qui s’est tenu en France le 11 janvier 2021, le président Macron a lancé l’initiative PREZODE afin de « réduire les risques d’émergence et garantir la pertinence des systèmes de surveillance et de détection précoce aux niveaux local, régional et mondial34 ». C’est une initiative internationale très ambitieuse, soutenue politiquement dans les plus hautes sphères de l’État et financée par les ministères de la Recherche, de l’Europe et des Affaires étrangères. Et, à l’avenir, par un grand nombre d’autres pays, fondations et organisations à travers le monde ; avec plus d’un millier de scientifiques originaires d’une cinquantaine de pays, les choses avancent.