Ils sont discrets, parfois invisibles. Les animaux sauvages varient selon les pays et les latitudes. En France, cette faune est composée d’espèces bien connues telles que les cerfs, les campagnols, les ours et les loups — revenus récemment — ou encore les saumons et les phoques, mais aussi d’espèces moins connues comme les acariens ou les vers nématodes, ces derniers formant pourtant la majorité de la faune sauvage en nombre d’individus et d’espèces.
Aujourd’hui, cette faune sauvage vit dans des écosystèmes largement transformés par les activités humaines. Et bien que certaines espèces anthropophiles comme le pigeon bénéficient d’environnements façonnés par les êtres humains, la tendance générale pour les espèces sauvages est le plus souvent négative, voire désastreuse. Un premier syndrome majeur est sans nul doute son déclin, car les animaux sauvages disparaissent des écosystèmes, effondrement catastrophique désigné par le terme de « défaunation ».
Les mammifères domestiques, 90% de la biomasse
La défaunation procède, dans un premier temps, du déclin du contingent des populations d’espèces. Ces pertes d’effectifs, constatées chez l’ensemble des vertébrés terrestres et chez les insectes, peuvent atteindre 3 % par an. Les oiseaux européens ont ainsi perdu 25 % de leur effectif en 30 ans, ce qui représente la disparition de 500 millions d’oiseaux. Citons, en Europe, le déclin emblématique d’une espèce « commune », le moineau domestique, qui souffre de la raréfaction de ses proies, notamment en milieu urbain.
Parfois, la réduction des effectifs est d’une telle intensité qu’une espèce pourrait disparaître en quelques décennies seulement. Les extinctions actuelles seraient cent à mille fois plus rapides que durant les périodes géologiques dites « normales ». De nombreuses causes de ce déclin ont été documentées. Il s’agit en premier lieu de la dégradation et fragmentation des habitats naturels, consécutifs à l’étalement urbain, à l’expansion des zones de culture et d’élevage, de l’uniformisation des paysages agricoles et l’intensification des pratiques associées, ainsi que de la construction de réseaux routiers. Mais les causes sont aussi liées à la surexploitation des ressources, aux changements climatiques et aux pollutions diverses. Enfin, l’extinction d’une population peut entraîner des extinctions secondaires de populations d’autres espèces. On parle alors d’extinctions en cascade.
Les activités humaines induisent également des changements très rapides dans la composition des communautés avec « l’homogénéisation biotique », ou banalisation des faunes locales, associée au remplacement des espèces spécialistes par des espèces généralistes. L’alouette des champs, spécialiste des milieux agricoles, laisse par exemple la place au merle noir dans les champs. Une autre manifestation de cette banalisation des communautés concerne les invasions biologiques, c’est-à-dire le remplacement d’espèces autochtones par des espèces exotiques.
Le changement climatique joue également un rôle. De nombreux animaux modifient certaines habitudes de vie, en changeant notamment leur période de reproduction, pour s’adapter aux variations climatiques.
Enfin, depuis 10 000 ans, une réorganisation massive s’observe chez les mammifères en faveur des espèces domestiques au détriment des espèces sauvages. Les mammifères domestiques qui ne comptent qu’une vingtaine d’espèces représentent actuellement plus de 90 % de la biomasse totale des mammifères, tandis que les mammifères sauvages, représentés par 6 495 espèces1, constituent moins de 10 % de cette biomasse.
Des mesures de réensauvagement
Ces phénomènes conduisent à une homogénéisation des faunes sauvages, à une perte de diversité génétique et d’originalité fonctionnelle, avec des conséquences écologiques majeures. Elle restreint fortement les potentialités écologiques et évolutives de cette faune, car la diversité offre des possibilités de plasticité, d’adaptation à des environnements divers, nouveaux. Ainsi, la diversité des couleurs des ailes (noires ou blanches) de la phalène du bouleau a permis à ce papillon de s’adapter au noircissement des troncs des bouleaux au moment de la révolution industrielle.
Il reste néanmoins très difficile de prédire plus précisément les effets de ces changements. Mais l’effondrement de la vie sauvage doit nous inviter à nous questionner et à réviser la façon dont on envisage nos relations avec les non-humains, leurs valeurs écologiques, sociales et culturelles.
Il semble particulièrement intéressant de ménager des temps et des espaces propices à l’autonomie des processus naturels et des animaux sauvages. Ces mesures de réensauvagement peuvent prendre des formes variées, selon les contextes sociaux, géographiques et écologiques. La suppression de barrages pour restaurer la continuité de certaines rivières favorise ainsi le retour de certains poissons migrateurs comme l’esturgeon ou l’anguille. Cela profite également à des espèces inféodées à ces milieux comme la loutre ou le cincle plongeur. Parfois, le mieux reste de ne rien faire, laissant simplement les dynamiques naturelles se mettre en place, quitte parfois à se faire surprendre. Un autre projet de réensauvagement concernant des herbivores est en cours en Europe avec comme espèce emblématique le bison qui régule les écosystèmes, leur diversité, faune et flore. En milieu aquatique, cette philosophie du réensauvagement concerne notamment les baleines qui auraient un rôle majeur dans le cycle des nutriments.
Au sein des agroécosystèmes, dont dépend notre alimentation, l’agroécologie, en tant que discipline, technique et processus, offre une perspective d’amélioration de nos relations avec la nature et les animaux sauvages en particulier. En favorisant la diversité des cultures, en multipliant les haies, les bosquets et en laissant de la place à la flore sauvage, l’agroécologie se propose de remplacer des relations hostiles avec la nature par des relations mutualistes, en intégrant la biodiversité, l’ensemble de ses propriétés, dans les démarches agronomiques. Au sein des territoires urbains, une faune sauvage plus abondante et plus diverse peut également enrichir la vie des citadins, en matière de qualité de vie et de relations sociales. Ce qui suppose que la flore sauvage soit présente elle aussi.
Notre vision des animaux doit évoluer en considérant les enjeux culturels, sociaux et écologiques associés à leur présence, leur importance majeure qui est souvent ignorée dans les socio-écosystèmes.