Ils sont une vingtaine aujourd’hui dans cette salle de sport un peu particulière, à s’entraîner sur des vélos et des rameurs stationnaires. Particularité : tous — et toutes — sont en situation de handicap, et leurs jambes ou leurs bras sont censés ne plus pouvoir faire aucun mouvement. Pourtant, grâce à l’électrostimulation, leurs muscles répondent à nouveau.
Vance Bergeron, directeur de recherche au laboratoire de physique de l’ENS de Lyon, lui-même tétraplégique suite à un accident de vélo, est à l’origine de la salle S.P.O.R.T (« stimulating people and organizing Recreational Therapies » en anglais), créée en 2018 par l’association ANTS (acronyme anglais pour « Sport et Thérapies Neuro-rééducatives Avancées » en anglais).
« Cette idée de stimuler électriquement les muscles n’est pas nouvelle, explique Vance Bergeron. C’est d’ailleurs un français, le docteur Duchenne de Boulogne, qui a étudié la physiologie des mouvements à l’aide de l’expérimentation électrique, dans un ouvrage de 1867 resté de référence ! Le développement des exosquelettes est plus tardif, il a commencé dans les années 50, mais les recherches ont stagné jusqu’au boom des semi-conducteurs et de l’électronique dans les années 90 ».
Les efforts à travers le monde
Le Japon est alors en tête sur ce sujet, les exosquelettes apparaissant comme un bon moyen d’accompagner une population vieillissante. Tandis que les États-Unis se concentrent plutôt sur les applications militaires. Reste à marier les deux technologies, exosquelette et stimulation électrique. Ce qui sera initié par la société Clinatec, fondée en 2006 par le Pr Alim-Louis Benabid, neurochirurgien à Grenoble. En concevant un dispositif implantable qui permet de recueillir les signaux cérébraux émis lors de l’intention de mouvement d’une personne, les chercheurs de Clinatec espèrent donner aux personnes tétraplégiques la possibilité de piloter mentalement un robot exosquelette pour marcher et manipuler des objets.
C’est le même espoir qui guide Grégoire Courtine, neuroscientifique à l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), qui vient de tester la possibilité de faire remarcher des tétraplégiques en leur implantant un neurostimulateur cardiaque dans l’abdomen et des électrodes sur la moelle épinière (voir encadré). Mais ces dispositifs sont très invasifs pour des résultats encore incertains. Tandis que le maintien d’une activité physique pour les personnes en situation de handicap est immédiatement bénéfique et sans danger. « La stimulation des membres lésés permet de lutter efficacement contre le risque de complications secondaires pouvant apparaître suite à une blessure de la moelle épinière, explique Vance Bergeron, qu’elle soit causée par un accident ou par un AVC »
Suite à son accident, ce chercheur a donc réorienté l’activité de son laboratoire pour mettre au point un vélo d’électrostimulation. Le principe est le suivant : le mouvement de pédalage est recréé via des électrodes de surface non invasives, simplement posées sur les jambes de la personne paralysée. Un courant électrique stimule les nerfs moteurs afin de déclencher des contractionsmusculaires, dans un ordre permettant à la personne paralysée de pédaler à nouveau. « On prévient ainsi différents risques physiques, comme les escarres, la déminéralisation osseuse, les troubles de la circulation sanguine, poursuit Vance Bergeron. Mais l’électrostimulation a aussi un impact psychologique : conserver un volume musculaire permet d’avoir une meilleure image corporelle de soi et facilite les mouvements quotidiens, notamment les transferts depuis le fauteuil qui demandent de gros efforts physiques ».
Bénéfices sur le bien-être
Enfin, se retrouver dans un lieu collectif, comme une salle de sport, facilite la réinsertion sociale, diminue l’isolement, et donc les risques de dépression. Deux vélos et un rameur sont aujourd’hui mis à disposition dans cette salle toujours unique en France. Mais le problème de ces dispositifs d’électrostimulation, c’est qu’ils entraînent une importante fatigue des muscles. « Lorsqu’un marathonien s’entraîne, il utilise des muscles différents de ceux auxquels a recourt le sprinter, précise Vance Bergeron. Nous essayons au laboratoire de voir comment nous pouvons cibler certains muscles, ne pas tous les solliciter en même temps ».
Le laboratoire travaille également à l’amélioration des matériels, avec un système Bluetooth qui permettrait de se débarrasser des fils, en intégrant les électrodes dans les vêtements. Enfin, l’objectif est de proposer du matériel compétitif sur le plan financier. « Le premier vélo conçu pour l’électrostimulation que j’ai importé des USA et adapté en France coûtait 30 000 euros ! Là je coopère avec une société allemande pour un modèle accessible au public, aux alentours de 2000 euros ».
Demain, quel matériel sera utilisé par les personnes en situation de handicap ? Les exosquelettes permettent certes de se tenir debout, mais même en version non invasive, ils sont très lourds, et leur temps d’utilisation est limité par leur batterie. À côté, l’usage de l’électrostimulation est simplissime, quelques watts suffisent pour faire fonctionner le dispositif…
*SensorStim Neurotechnology GmbH
Faire remarcher les tétraplégiques ?
En 2020, une équipe, menée par le chercheur Grégoire Courtine, neuroscientifique, professeur à l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne, Jocelyne Bloch, neurochirurgienne au Centre hospitalier universitaire vaudois (Suisse) et Guillaume Charvet, chef de projet au CEA-Leti Clinatec (Grenoble) a implanté à trois hommes paralysés un neurostimulateur cardiaque dans l’abdomen, et une quinzaine d’électrodes sur leur moelle épinière, pour cibler les régions d’activation des muscles du tronc et des jambes. Les patients opérés ont pu faire leurs premiers pas presque immédiatement même si, réalisés sur un tapis roulant en laboratoire, ils n’avaient rien à voir avec une marche normale.
Concrètement, la technologie nécessite une longueur d’au moins 6 centimètres de moelle épinière saine sous la lésion, là où sont implantées les électrodes. Le patient a un déambulateur, sur lequel sont fixés deux boutons. Il doit appuyer sur le bouton droit du déambulateur avec l’intention de lever sa jambe gauche ; et sur le bouton gauche avec la volonté de lever la gauche droite.
Ces boutons sont connectés à une tablette, sur laquelle se trouve le logiciel de pilotage, qui transmet les signaux au neurostimulateur. Celui-ci relaie à son tour ces signaux aux implants spinaux, qui, enfin, provoquent l’activation des neurones spécifiques commandant le fait de lever la jambe.
Après cinq mois de rééducation, l’un des patients était par exemple en mesure de marcher près d’un kilomètre sans interruption. Mais dès qu’elle est éteinte, la stimulation électrique n’a pas d’effet. Et il est inconcevable de la maintenir en permanence, à moins d’épuiser l’organisme des patients. Cette technologie va faire l’objet de larges essais cliniques, sous l’égide de la startup néerlandaise Onward.