1_handicapeAugmenté
π Science et technologies π Société π Santé et biotech
Travail, handicap, armée : la révolution de l’humain augmenté

Quand l’humain augmenté répare le handicap

Marina Julienne, journaliste indépendante
Le 22 juin 2022 |
4 min. de lecture
Vance Bergeron
Vance Bergeron
directeur de recherche au CNRS et président de l'Association Advanced Neurorehabilitation Thérapies (ANTS) à l'Ecole Normale Supérieure de Lyon, département de physique
Grégoire Courtine
Grégoire Courtine
professeur de neurosciences à l'École Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL)
En bref
  • Les exosquelettes peuvent être perçus comme un moyen d’accompagner une population vieillissante, c’est notamment le cas au Japon.
  • En 2020, une équipe menée par le chercheur Grégoire Courtine a implanté à trois hommes paralysés un neurostimulateur cardiaque dans l’abdomen, et une quinzaine d’électrodes sur leur moelle épinière.
  • Les patients opérés ont pu faire leurs premiers pas presque immédiatement, même si cela était fait sur un tapis roulant dans un laboratoire.
  • De nombreuses améliorations sont attendues sur ces exosquelettes, comme le Bluetooth, aussi utile pour limiter les fils encombrants que pour en réduire son coût, et, pourquoi pas, populariser son utilisation.

Ils sont une ving­taine aujourd’hui dans cette salle de sport un peu par­ti­c­ulière, à s’entraîner sur des vélos et des rameurs sta­tion­naires. Par­tic­u­lar­ité : tous — et toutes — sont en sit­u­a­tion de hand­i­cap, et leurs jambes ou leurs bras sont cen­sés ne plus pou­voir faire aucun mou­ve­ment. Pour­tant, grâce à l’électrostimulation, leurs mus­cles répon­dent à nouveau.

Vance Berg­eron, directeur de recherche au lab­o­ra­toire de physique de l’ENS de Lyon, lui-même tétraplégique suite à un acci­dent de vélo, est à l’origine de la salle S.P.O.R.T (« stim­u­lat­ing peo­ple and orga­niz­ing Recre­ation­al Ther­a­pies » en anglais), créée en 2018 par l’association ANTS (acronyme anglais pour « Sport et Thérapies Neu­ro-réé­d­uca­tives Avancées » en anglais).

« Cette idée de stim­uler élec­trique­ment les mus­cles n’est pas nou­velle, explique Vance Berg­eron. C’est d’ailleurs un français, le doc­teur Duchenne de Boulogne, qui a étudié la phys­i­olo­gie des mou­ve­ments à l’aide de l’expérimentation élec­trique, dans un ouvrage de 1867 resté de référence ! Le développe­ment des exosquelettes est plus tardif, il a com­mencé dans les années 50, mais les recherch­es ont stag­né jusqu’au boom des semi-con­duc­teurs et de l’électronique dans les années 90 ».

Les efforts à travers le monde

Le Japon est alors en tête sur ce sujet, les exosquelettes appa­rais­sant comme un bon moyen d’accompagner une pop­u­la­tion vieil­lis­sante. Tan­dis que les États-Unis se con­cen­trent plutôt sur les appli­ca­tions mil­i­taires. Reste à mari­er les deux tech­nolo­gies, exosquelette et stim­u­la­tion élec­trique. Ce qui sera ini­tié par la société Cli­natec, fondée en 2006 par le Pr Alim-Louis Ben­abid, neu­rochirurgien à Greno­ble. En con­ce­vant un dis­posi­tif implantable qui per­met de recueil­lir les sig­naux cérébraux émis lors de l’intention de mou­ve­ment d’une per­son­ne, les chercheurs de Cli­natec espèrent don­ner aux per­son­nes tétraplégiques la pos­si­bil­ité de pilot­er men­tale­ment un robot exosquelette pour marcher et manip­uler des objets.

C’est le même espoir qui guide Gré­goire Cour­tine, neu­ro­sci­en­tifique à l’École poly­tech­nique fédérale de Lau­sanne (EPFL), qui vient de tester la pos­si­bil­ité de faire remarcher des tétraplégiques en leur implan­tant un neu­rostim­u­la­teur car­diaque dans l’abdomen et des élec­trodes sur la moelle épinière (voir encadré). Mais ces dis­posi­tifs sont très invasifs pour des résul­tats encore incer­tains. Tan­dis que le main­tien d’une activ­ité physique pour les per­son­nes en sit­u­a­tion de hand­i­cap est immé­di­ate­ment béné­fique et sans dan­ger. « La stim­u­la­tion des mem­bres lésés per­met de lut­ter effi­cace­ment con­tre le risque de com­pli­ca­tions sec­ondaires pou­vant appa­raître suite à une blessure de la moelle épinière, explique Vance Berg­eron, qu’elle soit causée par un acci­dent ou par un AVC »

Suite à son acci­dent, ce chercheur a donc réori­en­té l’activité de son lab­o­ra­toire pour met­tre au point un vélo d’électrostimulation. Le principe est le suiv­ant : le mou­ve­ment de pédalage est recréé via des élec­trodes de sur­face non inva­sives, sim­ple­ment posées sur les jambes de la per­son­ne paralysée. Un courant élec­trique stim­ule les nerfs moteurs afin de déclencher des con­trac­tionsmus­cu­laires, dans un ordre per­me­t­tant à la per­son­ne paralysée de pédaler à nou­veau. « On prévient ain­si dif­férents risques physiques, comme les escar­res, la déminéral­i­sa­tion osseuse, les trou­bles de la cir­cu­la­tion san­guine, pour­suit Vance Berg­eron. Mais l’électrostimulation a aus­si un impact psy­chologique : con­serv­er un vol­ume mus­cu­laire per­met d’avoir une meilleure image cor­porelle de soi et facilite les mou­ve­ments quo­ti­di­ens, notam­ment les trans­ferts depuis le fau­teuil qui deman­dent de gros efforts physiques ».

Bénéfices sur le bien-être

Enfin, se retrou­ver dans un lieu col­lec­tif, comme une salle de sport, facilite la réin­ser­tion sociale, dimin­ue l’isolement, et donc les risques de dépres­sion. Deux vélos et un rameur sont aujourd’hui mis à dis­po­si­tion dans cette salle tou­jours unique en France. Mais le prob­lème de ces dis­posi­tifs d’électrostimulation, c’est qu’ils entraî­nent une impor­tante fatigue des mus­cles. « Lorsqu’un marathonien s’entraîne, il utilise des mus­cles dif­férents de ceux aux­quels a recourt le sprint­er, pré­cise Vance Berg­eron. Nous essayons au lab­o­ra­toire de voir com­ment nous pou­vons cibler cer­tains mus­cles, ne pas tous les sol­liciter en même temps ».

Le lab­o­ra­toire tra­vaille égale­ment à l’amélioration des matériels, avec un sys­tème Blue­tooth qui per­me­t­trait de se débar­rass­er des fils, en inté­grant les élec­trodes dans les vête­ments. Enfin, l’objectif est de pro­pos­er du matériel com­péti­tif sur le plan financier. « Le pre­mier vélo conçu pour l’électrostimulation que j’ai importé des USA et adap­té en France coû­tait 30 000 euros ! Là je coopère avec une société alle­mande pour un mod­èle acces­si­ble au pub­lic, aux alen­tours de 2000 euros ».

Demain, quel matériel sera util­isé par les per­son­nes en sit­u­a­tion de hand­i­cap ? Les exosquelettes per­me­t­tent certes de se tenir debout, mais même en ver­sion non inva­sive, ils sont très lourds, et leur temps d’utilisation est lim­ité par leur bat­terie. À côté, l’usage de l’électrostimulation est sim­plis­sime, quelques watts suff­isent pour faire fonc­tion­ner le dispositif…

*Sen­sorStim Neu­rotech­nol­o­gy GmbH

Faire remarcher les tétraplégiques ?

En 2020, une équipe, menée par le chercheur Gré­goire Cour­tine, neu­ro­sci­en­tifique, pro­fesseur à l’École Poly­tech­nique Fédérale de Lau­sanne, Joce­lyne Bloch, neu­rochirurgi­en­ne au Cen­tre hos­pi­tal­ier uni­ver­si­taire vau­dois (Suisse) et Guil­laume Charvet, chef de pro­jet au CEA-Leti Cli­natec (Greno­ble) a implan­té à trois hommes paralysés un neu­rostim­u­la­teur car­diaque dans l’abdomen, et une quin­zaine d’électrodes sur leur moelle épinière, pour cibler les régions d’activation des mus­cles du tronc et des jambes. Les patients opérés ont pu faire leurs pre­miers pas presque immé­di­ate­ment même si, réal­isés sur un tapis roulant en lab­o­ra­toire, ils n’avaient rien à voir avec une marche normale.

Con­crète­ment, la tech­nolo­gie néces­site une longueur d’au moins 6 cen­timètres de moelle épinière saine sous la lésion, là où sont implan­tées les élec­trodes. Le patient a un déam­bu­la­teur, sur lequel sont fixés deux bou­tons. Il doit appuy­er sur le bou­ton droit du déam­bu­la­teur avec l’intention de lever sa jambe gauche ; et sur le bou­ton gauche avec la volon­té de lever la gauche droite. 

Ces bou­tons sont con­nec­tés à une tablette, sur laque­lle se trou­ve le logi­ciel de pilotage, qui trans­met les sig­naux au neu­rostim­u­la­teur. Celui-ci relaie à son tour ces sig­naux aux implants spin­aux, qui, enfin, provo­quent l’activation des neu­rones spé­ci­fiques com­man­dant le fait de lever la jambe.

Après cinq mois de réé­d­u­ca­tion, l’un des patients était par exem­ple en mesure de marcher près d’un kilo­mètre sans inter­rup­tion. Mais dès qu’elle est éteinte, la stim­u­la­tion élec­trique n’a pas d’effet. Et il est incon­cev­able de la main­tenir en per­ma­nence, à moins d’épuiser l’organisme des patients. Cette tech­nolo­gie va faire l’objet de larges essais clin­iques, sous l’égide de la start­up néer­landaise Onward.

Le monde expliqué par la science. Une fois par semaine, dans votre boîte mail.

Recevoir la newsletter