Depuis quand l’INRS s’intéresse-t-il à ce sujet ?
L’INRS a lancé, en 2012, une première étude prospective qui s’intitulait « Utilisation des robots d’assistance physique à l’horizon 2030 en France ». À l’époque, il existait en France deux exosquelettes testés en entreprise. À peine dix ans plus tard, il y a en a une quarantaine disponibles sur le marché ! Allant du harnais de posture qui soulage le dos à l’exosquelette robotisé qui compense ses efforts, ou ceux de la main. Pour nous, c’est passionnant que les recherches et les interventions sur le terrain soient synchrones avec l’émergence de ces technologies d’assistance physique.
Pourquoi les entreprises ont-elles recours à des exosquelettes ?
Les troubles musculo-squelettiques (TMS) représentent 87 % des maladies professionnelles et le mal de dos représente 20 % des accidents du travail, c’est considérable ! Outre les dommages causés aux salariés, les TMS ont un coût économique élevé pour les entreprises et la sécurité sociale (arrêts de travail). C’est pourquoi les dispositifs mécaniques ou textiles destinés aux opérateurs pour les aider à compenser leurs efforts physiques, ou les assister dans leurs mouvements (soulager le travail en hauteur, redresser le buste), sont déjà utilisés ou à l’étude dans tous les domaines : de l’automobile au nucléaire, en passant par le BTP, la grande distribution, le secteur médico-social, etc.
Comment étudiez-vous ces dispositifs ?
Les études en laboratoire concernent des situations de manutention et de maintien de charges, pour observer les conséquences sur l’activité des muscles préservés ainsi que ceux non assistés, sur la posture et sur les coordinations motrices. Pour l’épaule par exemple, les équipes ont visionné les espaces inter osseux et tendineux, grâce à des ultra-sons, et comparé le comportement de cette articulation avec et sans assistance. Nous menons également des assistances en lien avec le réseau de prévention dans les entreprises, pour analyser comment sont intégrés ces exosquelettes, s’ils sont acceptés, ou non, par les salariés. Il faut comprendre que la différence par rapport à une assistance physique « classique » c’est que cette technologie est attachée au corps de la personne. Cette assistance peut apporter une réduction des efforts et dans le même temps être ressentie comme une contrainte physique et psychologique.
Ces dispositifs soulagent-ils effectivement l’effort physique ?
Les exosquelettes peuvent apporter des bénéfices significatifs, mais proposent une assistance physique très localisée, et ne constituent pas une réponse à l’ensemble des contraintes physiques auxquelles sont exposés les salariés. Surtout, ils peuvent être à l’origine de nouvelles contraintes biomécaniques : impact sur l’activité musculaire des muscles non assistés par l’exosquelette, impact sur l’équilibre, sur les coordinations motrices, adéquation avec une organisation exigeant une cadence élevée et une répétitivité des gestes importante, transfert des sollicitations biomécaniques vers d’autres parties du corps, etc. La nature et l’ampleur des bénéfices ou des limites observées dépendent de l’activité réalisée (posture de travail adoptée, charge manipulée, rythme de travail, …), des caractéristiques techniques de l’exosquelette (point de contact, poids, raideur, etc.), et des tâches identifiées.
Il n’est donc pas si simple d’introduire ces exosquelettes dans l’entreprise ?
Elles doivent énormément réfléchir avant de choisir un matériel et s’interroger sur l’impact que cela aura sur toute l’organisation du travail. Nous éditions des guides pour leur permettre de se poser les bonnes questions. Nous rappelons d’abord que la réflexion sur un éventuel recours à un exosquelette ne peut être décorrélée d’une réflexion plus large visant à réduire les contraintes liées à l’activité physique par des changements organisationnels, des actions de formations… Ensuite une caractérisation précise du besoin d’assistance physique est indispensable (zones corporelles à soulager, postures habituellement adoptées, poids des charges manipulé, etc.).
Si, in fine, la solution exosquelette est retenue, il est indispensable de s’engager dans une démarche de test en suivant des critères précis d’évaluation : dans quelle mesure l’opérateur s’est-il approprié l’équipement ? Est-ilsimple d’utilisation ?Réellement utile ? Quels sont les effets de l’utilisation de l’exosquelette sur l’environnement et le collectif de travail ? Sur une équipe, combien d’individus seront équipés d’un exosquelette ? Quel sera le regard des autres sur ceux qui le portent ? Il faut englober l’exosquelette dans l’analyse des risques du poste de travail, il peut, par exemple, induire de nouveaux risques de collision pour celui qui porte l’équipement.
Beaucoup d’entreprises ne se rendent pas compte à quel point ces matériels peuvent bouleverser tout un environnement de travail.
Quelle est la réglementation sur le sujet ?
Il faut rappeler que les exosquelettes n’ont pas pour but « d’augmenter » les opérateurs, mais de les « assister ». En clair, les opérateurs ne vont pas demain porter des charges qu’ils ne transportaient pas avant, mais porter avec moins de risques d’impact sur leur santé des charges qu’ils portaient déjà. En la matière, il convient de respecter les normes en vigueur concernant les limites de charge et de contraintes physiques pour les tâches de manutention manuelle.
L’Exopush : un cas d’école
C’est en 2014 que l’entreprise Colas expérimente un premier exosquelette robotisé, « Exopush »1, pour des chantiers routiers où les ouvriers doivent étaler et niveler des « enrobés » sur la chaussée. Une sorte de râteau robotisé est mis au point. Il se compose d’un harnais, d’une jambe de force qui reporte le poids de charge au sol afin de réduire les efforts et d’améliorer la posture de l’utilisateur et d’un manche télescopique qui détecte l’intention de l’utilisateur et amplifie son geste. Mais sur le terrain ce matériel est peu utilisé. Un comité de pilotage pluridisciplinaire rassemblant les acteurs de la prévention internes et externes à l’entreprise est alors mis en place, auquel participe l’INRS. De nombreuses réunions avec les équipes sont organisées, le matériel est adapté, les ouvriers sont formés, et un responsable de déploiement entièrement dédié à ce sujet est nommé en 2019 pour généraliser l’utilisation de près de 90 Exopush dans ses agences.