Les plasmas générés par laser peuvent être utilisés pour accélérer des particules qui peuvent ensuite être exploitées pour créer des impulsions courtes et lumineuses de rayons X et de rayons gamma. Le Laboratoire d’Optique Appliquée (LOA) et sa société spin-off SourceLab développent un dispositif permettant d’utiliser ces sources pour le contrôle non-destructif des matériaux par rayons X. Cette innovation technologique de pointe pourrait permettre aux chercheurs de détecter et de dimensionner les défauts des objets avec une résolution de quelques dizaines de microns, ce qui est encore inaccessible avec les systèmes conventionnels.
Une technique de plus en plus accessible
Les accélérateurs de particules nous ont permis de faire les découvertes les plus importantes en physique, mais ils font collisionner des particules à des énergies toujours plus élevées, poussant les technologies existantes à leurs limites. En effet, les installations d’accélération, telles que le grand collisionneur de hadrons du CERN, deviennent de plus en plus grandes et inaccessibles pour bon nombre de chercheurs.
Ces dernières années, les « accélérateurs plasma à effet de sillage » sont apparus comme une alternative prometteuse. Ces dispositifs utilisent une impulsion d’énergie pour créer une onde de champ électrique dans un plasma (un gaz transformé en un nuage d’électrons et d’ions). C’est un peu comme un bateau qui laisse un sillage lorsqu’il traverse l’eau. Si un groupe de particules est correctement synchronisé, il peut « surfer » sur cette onde et être accéléré beaucoup plus rapidement que dans un accélérateur traditionnel. Il n’est toutefois pas facile de créer cette impulsion d’énergie.
L’un des moyens d’y parvenir consiste à envoyer des impulsions laser extrêmement courtes et intenses dans un gaz. Le front de l’impulsion, qui ne dure que quelques femtosecondes (10-15 s), ionise immédiatement les atomes du gaz et il est si intense qu’il repousse les électrons hors de sa trajectoire, formant ainsi une cavité vide d’électrons dans son sillage. Certains électrons se trouvant dans le sillage de l’impulsion sont accélérés par la vague de plasma chargé positivement qui les précède, tout comme un surfeur sur la vague derrière la poupe d’un bateau. Les électrons peuvent « surfer » sur ce sillage et être ainsi accélérés à des vitesses proches de celle de la lumière.
Quelles sont ces applications ?
Nous étudions ce phénomène au LOA. Il permet aux accélérateurs laser-plasma d’atteindre des forces d’accélération jusqu’à mille fois supérieures à celles que permettent les machines les plus puissantes actuelles. Notre laboratoire est un pionnier dans ce domaine sur lequel nous travaillons depuis le milieu des années 2000. Nous, avec d’autres équipes dans le monde, avons fait évoluer la technologie au point de créer en 2022 le Centre d’accélération laser-plasma Laplace pour mieux comprendre les mécanismes en jeu et développer des applications.
La première est la radiographie, notamment dans le domaine du contrôle non-destructif, un ensemble de techniques permettant de vérifier les composants et d’identifier les défauts d’un matériau sans le détruire. La taille des paquets de particules fournis par les sources laser-plasma étant de l’ordre de la dizaine de microns, il est possible de sonder à haute résolution des composants, par exemple ceux importants pour l’industrie nucléaire et aéronautique. Les premiers résultats en laboratoire indiquent qu’il serait possible de surveiller l’apparition de fissures de 100 microns seulement dans des pièces telles que les trains d’atterrissage. C’est dix fois plus petit que les limites de détection des équipements actuels.
Il s’agit donc d’un moyen simple de voir s’il y a une fissure dans un morceau d’acier, par exemple, sans avoir à le couper, ce qui impliquerait de remplacer une pièce potentiellement très coûteuse.
Ce qui nous intéresse ici, c’est la conversion des faisceaux d’électrons en un faisceau de rayons X très énergétique — en utilisant la technique connue sous le nom de rayonnement de freinage. En pratique, nous envoyons le faisceau d’électrons dans une feuille d’épaisseur millimétrique d’un matériau assez dense, comme le titane. Les électrons sont ralentis, ou freinés, et l’énergie perdue par leur ralentissement est convertie en rayons X dont l’énergie maximale correspond à l’énergie des électrons initiaux avec un spectre très large. Il s’agit d’une méthode assez simple et relativement efficace pour produire des rayons X à partir d’un faisceau d’électrons.
La radiologie des matériaux
La taille des défauts que nous pouvons détecter et surveiller est largement déterminée par la taille de notre source d’accélération. L’accélération laser-plasma est une bonne solution à cet égard puisque nous partons d’une source de très petite taille. Cela signifie que la taille du faisceau de rayons X sera également petite. En fait, elle est un peu plus grande que celle du faisceau d’électrons, car ce dernier présente une grande divergence spatiale. Comme le faisceau diverge, le diamètre du faisceau d’électrons sur le convertisseur est supérieur à sa taille à la sortie du plasma. Typiquement, si vous avez une taille de source micrométrique, vous vous retrouvez avec une taille de l’ordre de quelques dizaines de micromètres pour le faisceau, typiquement 30 à 100 microns, ce qui reste un bon ordre de grandeur.
Nous sommes un peu comme des radiologues médicaux, mais nos « patients » sont les matériaux. Lorsque nous faisons passer les rayons X à travers un matériau, ils seront moins absorbés dans la région d’un défaut. Nous pouvons imager ce défaut exactement de la même manière qu’un radiologue le fait pour les fractures osseuses. Nos rayons X ne traversant pas le corps humain, mais des morceaux de béton ou d’acier, signifie que nous avons besoin de rayons beaucoup plus énergétiques que ceux utilisés par les radiologues.
Références :
- V. Malka, C. Thaury, S. Corde, K. Ta Phuoc and A. Rousse ; Accélérateurs à plasma laser : principes et applications, Reflets de la physique 33, 23–26 (2013)