Les accélérateurs laser-plasma (LPA) propulsent des particules à haute énergie sur de courtes distances en utilisant des impulsions intenses et ultracourtes de lumière laser. Ces accélérateurs peuvent fournir des faisceaux de particules de haute qualité (d’électrons, de protons et de photons de rayons X) pour des études radio-biologiques qui aideront les scientifiques à mieux comprendre comment les rayonnements endommagent l’ADN et, à terme, à optimiser les traitements anticancéreux avec des rayonnements ionisants.
Des études récentes ont montré que l’effet biologique d’un rayonnement dépend non seulement de la dose totale déposée, mais aussi de la durée pendant laquelle il est déposé et de son débit. Au LOA ((Laboratoire d’Optique Appliquée), nous étudions l’effet des débits de dose ultra-élevés afin de développer des protocoles d’irradiation capables d’augmenter la réponse différentielle entre les cellules saines et cancéreuses.
Les lasers que nous utilisons produisent des impulsions très courtes, de l’ordre de la picoseconde (10-12 s) ou de la femtoseconde (10-15 s), et sont très intenses – à tel point que lorsqu’une impulsion laser frappe le matériau cible, elle l’ionise immédiatement, le transformant en un plasma, un état de la matière dans lequel les électrons et les ions forment un mélange dominé par leur mouvement collectif. Ainsi détachés de leurs noyaux, les électrons réagissent au champ laser à travers le plasma.
Dans le cas d’un plasma très dense, ou le laser ne parvient pas à se propager, les électrons s’échappant de la cible conduisent à son explosion, ainsi générant l’accélération de ses ions. Des ions dans la gamme d’énergie des mégaélectronvolts (MeV) sont produits sur des longueurs aussi courtes que des millimètres.
Dans le cas d’un plasma peu dense, la propagation de l’impulsion laser produit derrière elle une onde de sillage qui se propage à la vitesse de la lumière. Les électrons qui sont piégés dans cette onde sont accélérés – tel un surfeur sur une vague – et gagnent ainsi en énergie. Des gradients de champ électrique aussi élevés (100 GeVm-1) que ceux produits par cette stratégie ne sont pas possibles avec les structures conventionnelles (des cavités radiofréquence), qui peuvent atteindre seulement environ 0.1 GeVm-1.
Les rayonnements ionisants sont utilisés en médecine pour de multiples raisons – de l’imagerie au diagnostic et au traitement des cancers. Il existe toute une série de thérapies possibles basées sur l’effet nocif de ces rayonnements sur les organismes vivants. Les faisceaux d’électrons endommagent les cellules cancéreuses de manière très similaire aux photons à haute énergie, qui constituent la modalité de radiothérapie la plus courante en pratique clinique. En effet, les électrons de haute énergie convertissent une grande partie de leur énergie cinétique en photons de rayons X par « bremsstrahlung », ce qui déclenche une cascade d’électrons, de positrons et de photons, et ionise également la matière par collisions inélastiques. Ce sont ces dernières qui finissent par endommager les cellules cancéreuses, soit en ionisant directement l’ADN, soit en créant indirectement des radicaux qui l’endommagent.
Différences de radiorésistance entre les cellules saines et les cellules cancéreuses
Dans tout type de thérapie, il existe un différentiel entre l’effet désiré et l’effet secondaire involontaire. En radiothérapie on utilise la toxicité des rayonnements ionisants sur le vivant. Fondamentalement, les cellules saines ont une radiorésistance légèrement supérieure à celle des cellules cancéreuses. Cette différence permet de mettre au point des protocoles de dépôt de dose de rayonnements ionisants dans lesquels l’effet nocif sur les cellules saines est moindre que l’effet destructeur sur les cellules tumorales.
Pour les particules accélérées par laser, il y a deux aspects. Le premier est lié à la qualité des particules utilisées. Actuellement, les particules les plus couramment employées en radio-médecine sont les photons et les protons, mais chacun a des caractéristiques très différentes de dépôt de dose dans les tissus biologiques. Les photons déposent leur énergie selon une courbe exponentielle décroissante, de sorte qu’il y a une dose maximale déposée à la surface des tissus et une minimale en profondeur. Les protocoles d’irradiation des tumeurs profondes doivent donc être conçus de manière à ne pas dépasser certaines doses à l’entrée et à atteindre une dose thérapeutique en profondeur, ce qui n’est pas facile.
Les protons, en revanche, présentent un type de dynamique différent dans lequel la dose maximale est effectivement déposée en profondeur dans les tissus et non en surface. C’est très intéressant du point de vue de la physique médicale, même si cela introduit certaines complexités comme le contrôle de la dose effectivement déposée, qui peut très vite devenir létale pour les cellules saines.
Les photons sont largement utilisés en radiothérapie, car ils sont faciles à produire, alors que les protons commencent à peine à l’être, car ils nécessitent des machines beaucoup plus grandes. Par exemple, un appareil de radiothérapie par photons requiert une pièce d’environ 20 m2, alors que la protonthérapie, qui nécessite un cyclotron, doit être installée dans un bâtiment de plusieurs centaines de mètres carrés.
Les électrons, en revanche, ont été peu utilisés par le passé pour plusieurs raisons. D’abord, ils ont une courbe de dépôt de dose plutôt plate. Ils étaient également plus difficiles à accélérer que les photons.
L’effet flash
Cette situation a changé avec la découverte de l’effet flash, un phénomène observé dès les années 1970 et redécouvert à Orsay dans les années 2000. Les chercheurs y ont constaté qu’une même dose thérapeutique de rayonnements ionisants a un effet différent selon l’échelle de temps dans laquelle elle est délivrée.
Les chercheurs ont constaté qu’une même dose thérapeutique de rayonnements ionisants a un effet différent selon l’échelle de temps dans laquelle elle est délivrée.
Tout le domaine de la radiothérapie repose sur le postulat qu’à dose égale, on a une réponse égale. C’est la même chose que pour un médicament, comme une dose de paracétamol, par exemple : la dose détermine l’effet biologique. Ce que nous avons découvert : si vous administrez la même dose sur une période de temps extrêmement courte, l’effet thérapeutique change. Les tissus sains semblent être beaucoup plus résistants à la même dose si elle est appliquée sur une très courte période, alors que la sensibilité des tissus tumoraux reste inchangée. Cela signifie que si l’on applique cette dose thérapeutique sur 50 ms plutôt que sur 10 minutes, rien ne change pour les cellules tumorales, mais les dommages aux tissus sains sont considérablement réduits.
L’effet permet ainsi un traitement beaucoup plus efficace et efficient.
Les premières expériences sur l’effet flash (entre 2016 et 2020) ont été menées avec des électrons de basse énergie (low energy electrons, LEE), tout simplement parce qu’il s’agissait des électrons les plus disponibles. Ces électrons, dont l’énergie est inférieure à 5 MeV, peuvent pénétrer à une profondeur de quelques millimètres seulement dans les tissus, et ne peuvent donc pas être utilisés pour traiter des tumeurs profondes.
Électrons de très haute énergie et fractionnement rapide
Nous nous sommes maintenant intéressés aux électrons de très haute énergie (very high energy electrons, VHEE), c’est-à-dire aux électrons dont l’énergie est supérieure à 150 MeV, qui ont été peu étudiés par le passé. Les faisceaux de ces électrons pénètrent profondément dans les tissus, ce qui permet de traiter des tumeurs que l’irradiation par photons ne peut atteindre. Cependant, un système de traitement VHEE basé sur un linac, par exemple, devrait être suffisamment compact pour tenir dans une salle de traitement d’hôpital pour être compétitif par rapport aux photons.
Les VHEE seront probablement plus coûteux à produire que les photons, mais moins chers que les protons. Les courbes profondeur-dose montrent qu’en plus de délivrer la dose en profondeur, les VHEE devraient également être plus résilientes aux inhomogénéités tissulaires inattendues que les rayons X.
Les VHEE peuvent également permettre un ciblage précis des tumeurs profondes en concentrant la dose dans un petit volume. Cette dose peut être contrôlée, ce qui peut constituer un avantage pour le traitement des tumeurs résistantes aux radiations. La possibilité de déposer la dose dans un petit point peut également profiter à la thérapie d’ultra-précision, lorsqu’il est nécessaire d’irradier de très petites zones de tissu. En outre, la très faible dose d’entrée et les faibles doses distales et proximales des faisceaux focalisés VHEE peuvent contribuer à minimiser les dommages causés aux tissus sains et aux organes sensibles.
L’utilisation clinique de ce type de thérapie est encore loin et il reste beaucoup à faire pour développer la technologie du laser et de l’accélérateur afin de la rendre adaptée à des applications réelles.
Nous avons appelé cette modalité d’irradiation « fractionnement rapide » et avons commencé à étudier ses effets biologiques. Les résultats préliminaires montrent que la cadence des impulsions laser a un effet sur la toxicité des rayonnements ionisants, c’est-à-dire que ce n’est pas seulement la durée du flash, mais aussi la dose totale d’une seule impulsion qui a un effet sur la toxicité. À ce jour, nous n’avons aucune explication sur les mécanismes qui sous-tendent l’effet flash, mais nous ne faisons que commencer nos études. Une chose est sûre, il est très prometteur pour le développement d’une radiothérapie extrêmement efficace.
Références :