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La science a-t-elle besoin de plus de femmes ?

Femmes et carrières scientifiques : y a‑t-il un plafond de verre ?

Annalisa Plaitano, médiatrice scientifique
Le 13 avril 2022 |
5 min. de lecture
Violetta Zujovic
Violetta Zujovic
chercheuse à l'INSERM et co-cheffe d’équipe à l'Institut du cerveau de Paris (ICM)
May Morris_photo
May Morris
directrice de recherche CNRS à l’Institut des Biomolécules Max Mousseron
En bref
  • Le 8 mars 2021, une enquête du ministère de l’Éducation nationale, ayant pour but de connaître l’origine des inégalités, a fait un constat : les filles ne sont pas moins fortes en sciences, mais elles se dirigent moins spontanément vers les filières scientifiques.
  • En France, 52 % des femmes et 42 % des hommes sont diplômés de l’enseignement supérieur, mais un an plus tard les femmes ont plus de difficultés à trouver un emploi : 66 % des femmes en trouvent un pour 70 % des hommes.
  • En 2019, d’après les données du ministère de l’Enseignement supérieur, seulement 25 % des professeurs d’université, 30 % des directeurs de recherche et 37 % d’enseignants-chercheurs en France étaient des femmes.
  • Des efforts subtils (le « nudge »), entrepris par le « Comité XX », ont pu changer le pourcentage de femmes dans le Comité de pilotage scientifique de l’INSERM : aujourd’hui, il est composé à 50 % de femmes.

Com­mençons par un con­stat. Paru le 8 mars 2021, « Filles et garçons sur le chemin de l’égalité, de l’école à l’enseignement supérieur » est le dernier dossier sta­tis­tique du min­istère de l’Éducation nationale, de la jeunesse et des sports. Ce qui émerge de cette enquête — qui a pour but de con­naître l’origine des iné­gal­ités — n’est qu’une con­fir­ma­tion des précé­dentes études sur les dif­férences des per­for­mances sco­laires entre filles et garçons à dif­férents âges et niveaux sco­laires. Résul­tat : les filles ne sont pas moins fortes en sci­ences, mais elles se diri­gent moins spon­tané­ment vers les fil­ières scientifiques.

Les filles préfèrent-elles les sciences humaines et sociales ?

Tout d’abord pour les enfants les plus jeunes, il n’y a pas de dif­férence — ni en appé­tence ni en capac­ité — vis-à-vis des sci­ences. Dans le rap­port, on observe, en général à cet âge, une absence de dif­férences remar­quables par rap­port aux dis­ci­plines sci­en­tifiques telles que les math­é­ma­tiques1. Effec­tive­ment, au CP, 46 % des filles con­tre 48 % des garçons ont une maîtrise supérieure dans la réso­lu­tion de prob­lèmes, alors que 61 % des filles con­tre 55 % des garçons ont une maîtrise supérieure dans les com­pé­tences lin­guis­tiques. À par­tir du CM2, l’avantage et l’intérêt des garçons en maths aug­mentent légère­ment, jusqu’à la troisième. En 2019, les filles ont obtenu un score moyen de 227 points et les garçons de 236 points lors de l’enquête Cedre2. Mais l’engouement des filles pour les maths rejoint celui des garçons : 31 % des filles et 35 % des garçons atten­dent les séances de math­é­ma­tiques avec impatience.

Dans la série générale, 91 % des filles obti­en­nent le brevet con­tre 84 % des garçons. De même, dans la série pro­fes­sion­nelle, les filles qui obti­en­nent le brevet sont 76 % con­tre 71 % des garçons. Selon l’enquête PISA, dans la plu­part des pays européens, les filles ont un net avan­tage en com­préhen­sion de l’écrit. En effet, c’est entre la fin du col­lège et le début du lycée que les dif­férences d’orientation com­men­cent à pren­dre forme. Les filles s’orientent davan­tage vers des études humaines et sociales ou vers les pro­fes­sions du soin (91 %), alors que les garçons s’orientent plutôt vers des métiers tech­ni­co-sci­en­tifiques ou indus­triels (deux tiers des garçons choi­sis­sent ces spé­cial­ités professionnelles).

À la fin de l’enseignement sec­ondaire, les filles sont moyen­nement plus diplômées dans la fil­ière sci­en­tifique (93 % des filles con­tre 90 % des garçons obti­en­nent le bac­calau­réat sci­en­tifique) et avec de meilleurs résul­tats ; men­tion « bien » ou « très bien » pour 35 % des filles con­tre 29 % des garçons. Comme dans l’orientation après le brevet, à la fin du lycée, le choix des études supérieures est égale­ment dépen­dant du genre et suit les mêmes ten­dances. Toutes dis­ci­plines con­fon­dues, les jeunes femmes obti­en­nent davan­tage de diplômes.

Moins de femmes dans des carrières scientifiques

En France, 52 % des femmes et 42 % des hommes sont diplômés de l’enseignement supérieur, mais un an plus tard les femmes ont plus de dif­fi­cultés à trou­ver un emploi : 66 % des femmes en trou­vent un pour 70 % des hommes. Elles sont égale­ment moins rémunérées que les hommes, avec une dif­férence de salaire de 15,8 % en France. Elles ont aus­si moins de postes sta­bles, comme de posi­tions de cadre, en France seuls 36,3 % des cadres sont des femmes3.

Ensuite, au fur et à mesure que l’on monte dans la hiérar­chie, on trou­ve de moins en moins de femmes : c’est le fameux « pla­fond de verre ». En 2019, d’après les don­nées du min­istère de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, seuls 25 % des pro­fesseurs d’université, 30 % des directeurs de recherche et 37 % d’enseignants-chercheurs en France étaient des femmes4.

Suite à ce con­stat, l’association Femmes & Sci­ences (en col­lab­o­ra­tion avec le CNRS Occ­i­tanie Ouest, l’Université Toulouse 3 – Paul Sabati­er et l’Université Toulouse 2 – Jean Jau­rès) a mené l’enquête « Mas­culin­ités et car­rières académiques – OMé­GARS ». Cette étude a sondé les per­cep­tions des chercheurs hommes occu­pant des posi­tions à haute respon­s­abil­ité par rap­port aux car­rières de leurs col­lègues femmes. Les résul­tats indiquent que le phénomène du pla­fond de verre est sous-estimé, par­fois nié, et que les pos­si­bles solu­tions sont quelque part entravées5. En effet, la plu­part des inter­viewés (directeurs de recherche et pro­fesseurs des uni­ver­sités) ont recon­nu le prob­lème, mais ont attribué la cause au vivi­er féminin qui serait insuff­isant : il y a peu de femmes dans des posi­tions hautes sim­ple­ment parce qu’il y a peu de femmes tout court. Tous les inter­viewés se sont mon­trés opposés aux quo­tas et à l’obligation de par­ité des jurys dans les commissions.

Augmenter la présence des femmes par le « nudge »

Dans l’objectif d’augmenter la présence des femmes dans les hautes sphères de la sci­ence, Vio­let­ta Zujovic, neu­ro­sci­en­tifique à l’INSERM, a co-fondé le dis­posi­tif « Comité XX ». « L’initiative est née à la suite d’une remar­que du Con­seil sci­en­tifique inter­na­tion­al de l’ICM lors d’une éval­u­a­tion interne. Nous avons été alertés de la sous-représen­ta­tion des femmes dans le comité de direc­tion », explique-t-elle. Dans un pre­mier temps, le comité a dressé un état des lieux : en 2017 l’institut était com­posé à 63 % de femmes, mais seule­ment 26 % occu­paient un poste de direc­tion et 25 % étaient invitées comme con­féren­cières dans les sémi­naires internes6.

« Nous nous sommes demandé com­ment utilis­er les con­nais­sances en neu­ro­sciences, notre cœur de méti­er, pour chang­er cette sit­u­a­tion. À par­tir de ces réflex­ions, nous avons mis en place dif­férentes ini­tia­tives à par­tir des biais cog­ni­tifs ». Le comité a alors mis en place des efforts sub­tils (le « nudge »), par exem­ple la com­mu­ni­ca­tion sur les suiv­is des indi­ca­teurs de l’égalité femmes-hommes au sein de l’institut, organ­i­sa­tion de col­lo­ques sur les biais de genre, ate­liers pra­tiques, et for­ma­tions pour les étu­di­ants femmes et hommes.

Les résul­tats mon­trent que ces efforts ont pu chang­er le pour­cent­age de femmes dans le comité de pilotage sci­en­tifique de l’INSERM : aujourd’hui, il est com­posé à 50 % de femmes. Aus­si, dans le Con­seil sci­en­tifique inter­na­tion­al de l’ICM, 6 per­son­nes sur 11 sont des femmes aujourd’hui alors qu’avant il n’y en avait qu’une seule. « De plus, nous avons réus­si à avoir de meilleurs résul­tats par rap­port à l’Index de l’égalité pro­fes­sion­nelle entre les femmes et les hommes, une mesure gou­verne­men­tale basée sur plusieurs paramètres dont l’écart de rémunéra­tion et l’écart de taux d’augmentation et pro­mo­tion hommes/femmes. Nous sommes passés de 75 sur 100 à 91 sur 100. »

Le soutien par le mentorat

May Mor­ris, biochimiste à l’Institut des bio­molécules Max Mousseron, est respon­s­able du men­torat Femmes & Sci­ences pour doc­tor­antes. Né à Mont­pel­li­er en 2015, le dis­posi­tif per­met de reli­er une per­son­ne expéri­men­tée du milieu pro­fes­sion­nel académique (ayant au min­i­mum un doc­tor­at) à une étu­di­ante souhai­tant être suiv­ie, guidée et soutenue. « Le men­torat per­met l’échange des expéri­ences et l’apport de con­seils utiles à la pour­suite d’une car­rière sci­en­tifique, mais aus­si de répon­dre aux ques­tions indi­vidu­elles que peu­vent se pos­er les jeunes femmes, notam­ment par rap­port à l’articulation de leur vie per­son­nelle avec leur pro­jet pro­fes­sion­nel. »

Il est égale­ment chargé d’aider les doc­tor­antes à se fix­er des objec­tifs, à mieux appréhen­der et val­oris­er leurs com­pé­tences, et de les guider dans leur intro­duc­tion dans des réseaux pro­fes­sion­nels. Le men­torat se développe sur une péri­ode de 12 mois dans un esprit de bien­veil­lance en com­bi­nant des réu­nions men­su­elles entre un men­tor ou une men­tore et une doc­tor­ante, avec des réu­nions de groupe, des for­ma­tions et des témoignages de femmes scientifiques.

« Nous éval­u­ons le pro­jet depuis 2015 et suiv­ons la car­rière des doc­tor­antes ayant béné­fi­cié du pro­gramme. Nous avons pu con­stater une meilleure con­struc­tion des pro­jets de car­rière et une inser­tion pro­fes­sion­nelle après la thèse sat­is­faisante. Les doc­tor­antes ont égale­ment appris à gag­n­er plus de con­fi­ance en elles, à exprimer leurs besoins et à définir leurs objec­tifs. Le pro­gramme leur a aus­si per­mis une meilleure ges­tion des prob­lèmes dans des sit­u­a­tions dif­fi­ciles. »

1https://www.education.gouv.fr/filles-et-garcons-sur-le-chemin-de-l-egalite-de-l-ecole-l-enseignement-superieur-edition-2021–322668
2https://​www​.edu​ca​tion​.gouv​.fr/​c​y​c​l​e​-​d​e​s​-​e​v​a​l​u​a​t​i​o​n​s​-​d​i​s​c​i​p​l​i​n​a​i​r​e​s​-​r​e​a​l​i​s​e​e​s​-​s​u​r​-​e​c​h​a​n​t​i​l​l​o​n​-​c​e​d​r​e​-​e​n​-​f​i​n​-​d​-​e​c​o​l​e​-​e​t​-​f​i​n​-​d​e​-2870
3https://​ec​.europa​.eu/​e​u​r​o​s​t​a​t​/​d​a​t​a​b​r​o​w​s​e​r​/​v​i​e​w​/​s​d​g​_​0​5​_​2​0​/​d​e​f​a​u​l​t​/​t​a​b​l​e​?​l​a​ng=fr
4https://​archives​-sta​tis​tiques​-depp​.edu​ca​tion​.gouv​.fr/​D​e​f​a​u​l​t​/​d​o​c​/​S​Y​R​A​C​U​S​E​/​4​5​4​2​3​/​v​e​r​s​-​l​-​e​g​a​l​i​t​e​-​f​e​m​m​e​s​-​h​o​m​m​e​s​-​c​h​i​f​f​r​e​s​-​c​l​e​s​-​2​0​1​9​-​m​i​n​i​s​t​e​r​e​-​d​e​-​l​-​e​n​s​e​i​g​n​e​m​e​n​t​-​s​u​p​e​r​i​e​u​r​-​d​e​-​l​a​-​r​e​c​h​e​r​c​h​?​_​l​g​=​fr-FR
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6https://​presse​.inserm​.fr/​l​a​-​s​c​i​e​n​c​e​-​a​g​i​t​-​p​o​u​r​-​l​e​g​a​l​i​t​e​-​h​o​m​m​e​-​f​e​m​m​e​/​3​6929/

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