Commençons par un constat. Paru le 8 mars 2021, « Filles et garçons sur le chemin de l’égalité, de l’école à l’enseignement supérieur » est le dernier dossier statistique du ministère de l’Éducation nationale, de la jeunesse et des sports. Ce qui émerge de cette enquête — qui a pour but de connaître l’origine des inégalités — n’est qu’une confirmation des précédentes études sur les différences des performances scolaires entre filles et garçons à différents âges et niveaux scolaires. Résultat : les filles ne sont pas moins fortes en sciences, mais elles se dirigent moins spontanément vers les filières scientifiques.
Les filles préfèrent-elles les sciences humaines et sociales ?
Tout d’abord pour les enfants les plus jeunes, il n’y a pas de différence — ni en appétence ni en capacité — vis-à-vis des sciences. Dans le rapport, on observe, en général à cet âge, une absence de différences remarquables par rapport aux disciplines scientifiques telles que les mathématiques1. Effectivement, au CP, 46 % des filles contre 48 % des garçons ont une maîtrise supérieure dans la résolution de problèmes, alors que 61 % des filles contre 55 % des garçons ont une maîtrise supérieure dans les compétences linguistiques. À partir du CM2, l’avantage et l’intérêt des garçons en maths augmentent légèrement, jusqu’à la troisième. En 2019, les filles ont obtenu un score moyen de 227 points et les garçons de 236 points lors de l’enquête Cedre2. Mais l’engouement des filles pour les maths rejoint celui des garçons : 31 % des filles et 35 % des garçons attendent les séances de mathématiques avec impatience.
Dans la série générale, 91 % des filles obtiennent le brevet contre 84 % des garçons. De même, dans la série professionnelle, les filles qui obtiennent le brevet sont 76 % contre 71 % des garçons. Selon l’enquête PISA, dans la plupart des pays européens, les filles ont un net avantage en compréhension de l’écrit. En effet, c’est entre la fin du collège et le début du lycée que les différences d’orientation commencent à prendre forme. Les filles s’orientent davantage vers des études humaines et sociales ou vers les professions du soin (91 %), alors que les garçons s’orientent plutôt vers des métiers technico-scientifiques ou industriels (deux tiers des garçons choisissent ces spécialités professionnelles).
À la fin de l’enseignement secondaire, les filles sont moyennement plus diplômées dans la filière scientifique (93 % des filles contre 90 % des garçons obtiennent le baccalauréat scientifique) et avec de meilleurs résultats ; mention « bien » ou « très bien » pour 35 % des filles contre 29 % des garçons. Comme dans l’orientation après le brevet, à la fin du lycée, le choix des études supérieures est également dépendant du genre et suit les mêmes tendances. Toutes disciplines confondues, les jeunes femmes obtiennent davantage de diplômes.
Moins de femmes dans des carrières scientifiques
En France, 52 % des femmes et 42 % des hommes sont diplômés de l’enseignement supérieur, mais un an plus tard les femmes ont plus de difficultés à trouver un emploi : 66 % des femmes en trouvent un pour 70 % des hommes. Elles sont également moins rémunérées que les hommes, avec une différence de salaire de 15,8 % en France. Elles ont aussi moins de postes stables, comme de positions de cadre, en France seuls 36,3 % des cadres sont des femmes3.
Ensuite, au fur et à mesure que l’on monte dans la hiérarchie, on trouve de moins en moins de femmes : c’est le fameux « plafond de verre ». En 2019, d’après les données du ministère de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, seuls 25 % des professeurs d’université, 30 % des directeurs de recherche et 37 % d’enseignants-chercheurs en France étaient des femmes4.
Suite à ce constat, l’association Femmes & Sciences (en collaboration avec le CNRS Occitanie Ouest, l’Université Toulouse 3 – Paul Sabatier et l’Université Toulouse 2 – Jean Jaurès) a mené l’enquête « Masculinités et carrières académiques – OMéGARS ». Cette étude a sondé les perceptions des chercheurs hommes occupant des positions à haute responsabilité par rapport aux carrières de leurs collègues femmes. Les résultats indiquent que le phénomène du plafond de verre est sous-estimé, parfois nié, et que les possibles solutions sont quelque part entravées5. En effet, la plupart des interviewés (directeurs de recherche et professeurs des universités) ont reconnu le problème, mais ont attribué la cause au vivier féminin qui serait insuffisant : il y a peu de femmes dans des positions hautes simplement parce qu’il y a peu de femmes tout court. Tous les interviewés se sont montrés opposés aux quotas et à l’obligation de parité des jurys dans les commissions.
Augmenter la présence des femmes par le « nudge »
Dans l’objectif d’augmenter la présence des femmes dans les hautes sphères de la science, Violetta Zujovic, neuroscientifique à l’INSERM, a co-fondé le dispositif « Comité XX ». « L’initiative est née à la suite d’une remarque du Conseil scientifique international de l’ICM lors d’une évaluation interne. Nous avons été alertés de la sous-représentation des femmes dans le comité de direction », explique-t-elle. Dans un premier temps, le comité a dressé un état des lieux : en 2017 l’institut était composé à 63 % de femmes, mais seulement 26 % occupaient un poste de direction et 25 % étaient invitées comme conférencières dans les séminaires internes6.
« Nous nous sommes demandé comment utiliser les connaissances en neurosciences, notre cœur de métier, pour changer cette situation. À partir de ces réflexions, nous avons mis en place différentes initiatives à partir des biais cognitifs ». Le comité a alors mis en place des efforts subtils (le « nudge »), par exemple la communication sur les suivis des indicateurs de l’égalité femmes-hommes au sein de l’institut, organisation de colloques sur les biais de genre, ateliers pratiques, et formations pour les étudiants femmes et hommes.
Les résultats montrent que ces efforts ont pu changer le pourcentage de femmes dans le comité de pilotage scientifique de l’INSERM : aujourd’hui, il est composé à 50 % de femmes. Aussi, dans le Conseil scientifique international de l’ICM, 6 personnes sur 11 sont des femmes aujourd’hui alors qu’avant il n’y en avait qu’une seule. « De plus, nous avons réussi à avoir de meilleurs résultats par rapport à l’Index de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, une mesure gouvernementale basée sur plusieurs paramètres dont l’écart de rémunération et l’écart de taux d’augmentation et promotion hommes/femmes. Nous sommes passés de 75 sur 100 à 91 sur 100. »
Le soutien par le mentorat
May Morris, biochimiste à l’Institut des biomolécules Max Mousseron, est responsable du mentorat Femmes & Sciences pour doctorantes. Né à Montpellier en 2015, le dispositif permet de relier une personne expérimentée du milieu professionnel académique (ayant au minimum un doctorat) à une étudiante souhaitant être suivie, guidée et soutenue. « Le mentorat permet l’échange des expériences et l’apport de conseils utiles à la poursuite d’une carrière scientifique, mais aussi de répondre aux questions individuelles que peuvent se poser les jeunes femmes, notamment par rapport à l’articulation de leur vie personnelle avec leur projet professionnel. »
Il est également chargé d’aider les doctorantes à se fixer des objectifs, à mieux appréhender et valoriser leurs compétences, et de les guider dans leur introduction dans des réseaux professionnels. Le mentorat se développe sur une période de 12 mois dans un esprit de bienveillance en combinant des réunions mensuelles entre un mentor ou une mentore et une doctorante, avec des réunions de groupe, des formations et des témoignages de femmes scientifiques.
« Nous évaluons le projet depuis 2015 et suivons la carrière des doctorantes ayant bénéficié du programme. Nous avons pu constater une meilleure construction des projets de carrière et une insertion professionnelle après la thèse satisfaisante. Les doctorantes ont également appris à gagner plus de confiance en elles, à exprimer leurs besoins et à définir leurs objectifs. Le programme leur a aussi permis une meilleure gestion des problèmes dans des situations difficiles. »