Quels sont les défis de la robotique militaire terrestre aujourd’hui ?
Militaire ou civile, la robotique recouvre des univers techniques différents : il y a les technologies de perception, celles de mobilité d’un point de vue mécanique ou d’intelligence artificielle… Des progrès impressionnants ont été accomplis ces dernières années : les robots de Boston Dynamics, par exemple, sont très aboutis en termes de mobilité physique et sont pleinement opérationnels. Mais beaucoup reste à faire si l’on considère les contraintes du champ de bataille ou plus largement des opérations militaires : tant en termes de discrétion que de robustesse, on est au début de l’histoire.
Les plus grands défis aujourd’hui concernent l’autonomie de déplacement. Un terrain inconnu et complexe n’a pas grand-chose à voir avec une route où, grosso modo, il y a simplement des piétons et des voitures. Dans un contexte militaire le terrain est plus accidenté et varié. La capacité de navigation à partir de coordonnées GPS reste la même, mais dans le détail du cheminement, la moindre branche est un obstacle qui doit être détecté, évalué et géré soit par un logiciel, soit mécaniquement. Il y a donc des enjeux supplémentaires, de plus haut niveau.
Plus que des robots humanoïdes il faut imaginer des robots à roues ou à chenilles et une robotisation des équipements.
Cependant, les concepteurs imaginent des systèmes complets, chaque système amenant des solutions pour contourner certains problèmes. En robotique, l’aérien peut ainsi être plus simple que le terrestre. Il amène aussi une forme de vulnérabilité, à moins de pouvoir voler très haut, loin du théâtre d’opérations ; ce qui engage des choix techniques particuliers. Si l’on considère la capacité embarquée, rouler (par rapport à marcher ou voler) permet d’emporter plus d’énergie, plus de capteurs. Chaque système a sa logique, ses défauts et ses avantages. Aucun ne s’impose aujourd’hui comme « la » solution. On raisonne davantage en termes d’applications.
Une pleine autonomie est-elle hors de portée aujourd’hui ?
Sur le champ de bataille, assurément. Dans les années qui viennent, on ne verra pas de robots complètement autonomes assurer des missions complexes. Les robots vont probablement apparaître aux côtés des hommes. Plus que des robots humanoïdes (ou en forme de chien) il faut d’ailleurs imaginer des robots à roues ou à chenilles et une robotisation des équipements.
Par exemple, des dispositifs d’aide à la conduite, soit dans les convois comme on l’expérimente déjà dans le civil avec des convois de semi-remorques, soit sous la forme d’une conduite automatique prenant le relais de l’humain sur terrain dégagé – ce qui peut permettre au conducteur de lâcher les commandes et de se reposer une heure.
L’enjeu principal de tous ces efforts techniques consiste à épargner des vies humaines. Mais cela va de pair avec la recherche d’autres modes d’action, différents, plus efficaces. La robotique intervient aussi dans un contexte où apparaissent de nouvelles menaces, elles-mêmes déshumanisées, comme les essaims de drones. La question est alors de se protéger, de protéger les conducteurs, les fantassins, en mécanisant et en automatisant certaines tâches.
La robotique n’est ici qu’une nouvelle étape dans une histoire déjà ancienne. Lors de la Deuxième Guerre mondiale, les Allemands ont conçu les V1 pour limiter la perte de pilotes, un personnel rare et très qualifié. Les armées d’aujourd’hui raisonnent de la même façon avec l’ensemble des troupes, car dans des conflits lointains qui ne sont pas pleinement légitimes aux yeux de l’opinion publique, une vie humaine perdue a beaucoup d’impact.
Pour autant, il ne faut pas se dissimuler qu’on assiste à des évolutions. Il y a quinze ans encore, les applications de la robotique étaient la logistique, l’observation, le soutien. Aujourd’hui on bascule sur la létalité. Une partie de ces efforts vient de la perception d’une évolution des menaces : à court terme, le danger perçu est l’essaim de petits drones. Mais les grands pays peuvent développer des drones plus grands, furtifs : le développement de systèmes d’armes autonomes vient en réponse à cette menace, dans une logique de course technologique inévitable.
Quels sont les déterminants de cette course technologique ?
Un élément essentiel et, me semble-t-il, nouveau, est que l’on parle ici de technologies duales, qui ne sont pas développées spécifiquement pour les militaires. C’est très différent de ce qui s’est joué dans le nucléaire ou l’aéronautique, sans parler des nombreuses technologies développées dans le cadre de la DARPA américaine qui se sont ensuite diffusées dans le monde civil (pensez à Internet, au GPS…).
Les militaires cherchent des synergies avec le monde civil.
Aujourd’hui, on peut même considérer que le monde civil (industriels, grands acteurs du logiciel) est le centre de gravité des technologies qui pourraient bouleverser les équipements. Les militaires l’ont compris et recherchent des synergies avec le civil.
C’est le cas de la compréhension de l’environnement, où les algorithmes doivent être entraînées sur des volumes de données gigantesques, ce qui peut conférer un avantage au civil où le nombre de systèmes déployés pouvant acquérir des données est beaucoup plus grand. Les « véhicules autonomes » sur lesquels planchent aujourd’hui les constructeurs et équipementiers automobiles doivent gérer l’ensemble des problèmes de prise de décision, de planification de trajectoire, de perception, toutes fonctionnalités qui sont aussi essentielles aux usages militaires. Même si, comme nous l’avons vu, les défis sont plus élevés dans un contexte militaire, et les données plus difficiles à recueillir, ce sont les mêmes briques technologiques qui sont développées.