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Faut-il avoir peur des robots tueurs ?

Les défis technologiques des robots militaires terrestres

Richard Robert, journaliste et auteur
Le 9 novembre 2021 |
4 min. de lecture
David Filliat
David Filliat
professeur à l'ENSTA Paris (IP Paris)
En bref
  • Les robots terrestres posent des défis techniques particuliers, dans le domaine de la mobilité notamment.
  • Une pleine autonomie sur le champ de bataille est hors de portée aujourd’hui.
  • Mais les progrès sont rapides, notamment parce que ce sont des technologies duales, qui ne sont pas développées spécifiquement pour les militaires.

Quels sont les défis de la robo­t­ique mil­i­taire ter­restre aujourd’hui ?

Mil­i­taire ou civile, la robo­t­ique recou­vre des univers tech­niques dif­férents : il y a les tech­nolo­gies de per­cep­tion, celles de mobil­ité d’un point de vue mécanique ou d’intelligence arti­fi­cielle… Des pro­grès impres­sion­nants ont été accom­plis ces dernières années : les robots de Boston Dynam­ics, par exem­ple, sont très aboutis en ter­mes de mobil­ité physique et sont pleine­ment opéra­tionnels. Mais beau­coup reste à faire si l’on con­sid­ère les con­traintes du champ de bataille ou plus large­ment des opéra­tions mil­i­taires : tant en ter­mes de dis­cré­tion que de robustesse, on est au début de l’histoire.

Les plus grands défis aujourd’hui con­cer­nent l’autonomie de déplace­ment. Un ter­rain incon­nu et com­plexe n’a pas grand-chose à voir avec une route où, grosso modo, il y a sim­ple­ment des pié­tons et des voitures. Dans un con­texte mil­i­taire le ter­rain est plus acci­den­té et var­ié. La capac­ité de nav­i­ga­tion à par­tir de coor­don­nées GPS reste la même, mais dans le détail du chem­ine­ment, la moin­dre branche est un obsta­cle qui doit être détec­té, éval­ué et géré soit par un logi­ciel, soit mécanique­ment. Il y a donc des enjeux sup­plé­men­taires, de plus haut niveau.

Plus que des robots humanoïdes il faut imag­in­er des robots à roues ou à che­nilles et une robo­t­i­sa­tion des équipements.

Cepen­dant, les con­cep­teurs imag­i­nent des sys­tèmes com­plets, chaque sys­tème amenant des solu­tions pour con­tourn­er cer­tains prob­lèmes. En robo­t­ique, l’aérien peut ain­si être plus sim­ple que le ter­restre. Il amène aus­si une forme de vul­néra­bil­ité, à moins de pou­voir vol­er très haut, loin du théâtre d’opérations ; ce qui engage des choix tech­niques par­ti­c­uliers. Si l’on con­sid­ère la capac­ité embar­quée, rouler (par rap­port à marcher ou vol­er) per­met d’emporter plus d’énergie, plus de cap­teurs. Chaque sys­tème a sa logique, ses défauts et ses avan­tages. Aucun ne s’impose aujourd’hui comme « la » solu­tion. On raisonne davan­tage en ter­mes d’applications.

Une pleine autonomie est-elle hors de portée aujourd’hui ?

Sur le champ de bataille, assuré­ment. Dans les années qui vien­nent, on ne ver­ra pas de robots com­plète­ment autonomes assur­er des mis­sions com­plex­es. Les robots vont prob­a­ble­ment appa­raître aux côtés des hommes. Plus que des robots humanoïdes (ou en forme de chien) il faut d’ailleurs imag­in­er des robots à roues ou à che­nilles et une robo­t­i­sa­tion des équipements.

Par exem­ple, des dis­posi­tifs d’aide à la con­duite, soit dans les con­vois comme on l’expérimente déjà dans le civ­il avec des con­vois de semi-remorques, soit sous la forme d’une con­duite automa­tique prenant le relais de l’humain sur ter­rain dégagé – ce qui peut per­me­t­tre au con­duc­teur de lâch­er les com­man­des et de se repos­er une heure.

Vladi­vos­tok, Russie – 25 juil­let 2016 : Expo­si­tion des équipements de l’ar­mée Russe. « Platform‑M » robot de com­bat qui peut être util­isé aus­si bien pour les patrouilles que pour les attaques.

L’enjeu prin­ci­pal de tous ces efforts tech­niques con­siste à épargn­er des vies humaines. Mais cela va de pair avec la recherche d’autres modes d’action, dif­férents, plus effi­caces. La robo­t­ique inter­vient aus­si dans un con­texte où appa­rais­sent de nou­velles men­aces, elles-mêmes déshu­man­isées, comme les essaims de drones. La ques­tion est alors de se pro­téger, de pro­téger les con­duc­teurs, les fan­tassins, en mécan­isant et en automa­ti­sant cer­taines tâches.

La robo­t­ique n’est ici qu’une nou­velle étape dans une his­toire déjà anci­enne. Lors de la Deux­ième Guerre mon­di­ale, les Alle­mands ont conçu les V1 pour lim­iter la perte de pilotes, un per­son­nel rare et très qual­i­fié. Les armées d’aujourd’hui raison­nent de la même façon avec l’ensemble des troupes, car dans des con­flits loin­tains qui ne sont pas pleine­ment légitimes aux yeux de l’opinion publique, une vie humaine per­due a beau­coup d’impact.

Pour autant, il ne faut pas se dis­simuler qu’on assiste à des évo­lu­tions. Il y a quinze ans encore, les appli­ca­tions de la robo­t­ique étaient la logis­tique, l’observation, le sou­tien. Aujourd’hui on bas­cule sur la létal­ité. Une par­tie de ces efforts vient de la per­cep­tion d’une évo­lu­tion des men­aces : à court terme, le dan­ger perçu est l’essaim de petits drones. Mais les grands pays peu­vent dévelop­per des drones plus grands, fur­tifs : le développe­ment de sys­tèmes d’armes autonomes vient en réponse à cette men­ace, dans une logique de course tech­nologique inévitable.

Quels sont les déter­mi­nants de cette course technologique ?

Un élé­ment essen­tiel et, me sem­ble-t-il, nou­veau, est que l’on par­le ici de tech­nolo­gies duales, qui ne sont pas dévelop­pées spé­ci­fique­ment pour les mil­i­taires. C’est très dif­férent de ce qui s’est joué dans le nucléaire ou l’aéronautique, sans par­ler des nom­breuses tech­nolo­gies dévelop­pées dans le cadre de la DARPA améri­caine qui se sont ensuite dif­fusées dans le monde civ­il (pensez à Inter­net, au GPS…).

Les mil­i­taires cherchent des syn­er­gies avec le monde civil.

Aujourd’hui, on peut même con­sid­ér­er que le monde civ­il (indus­triels, grands acteurs du logi­ciel) est le cen­tre de grav­ité des tech­nolo­gies qui pour­raient boule­vers­er les équipements. Les mil­i­taires l’ont com­pris et recherchent des syn­er­gies avec le civil.

C’est le cas de la com­préhen­sion de l’environnement, où les algo­rithmes doivent être entraînées sur des vol­umes de don­nées gigan­tesques, ce qui peut con­fér­er un avan­tage au civ­il où le nom­bre de sys­tèmes déployés pou­vant acquérir des don­nées est beau­coup plus grand. Les « véhicules autonomes » sur lesquels planchent aujourd’hui les con­struc­teurs et équipemen­tiers auto­mo­biles doivent gér­er l’ensemble des prob­lèmes de prise de déci­sion, de plan­i­fi­ca­tion de tra­jec­toire, de per­cep­tion, toutes fonc­tion­nal­ités qui sont aus­si essen­tielles aux usages mil­i­taires. Même si, comme nous l’avons vu, les défis sont plus élevés dans un con­texte mil­i­taire, et les don­nées plus dif­fi­ciles à recueil­lir, ce sont les mêmes briques tech­nologiques qui sont développées.

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