Si la médecine ne se réduit pas aux médicaments, la médecine personnalisée ne se réduit pas aux traitements ciblés. C’est sur cette évidence que travaille Etienne Minvielle, professeur à l’École polytechnique, en imaginant un parcours de soin plus personnalisé. L’objectif est de considérer le patient dans toute son individualité, en prenant en compte son vécu social, ses habitudes de vie, et même ses croyances.
« C’est donc une stratégie personnalisée qui peut se déployer dans l’ensemble du parcours de soin du patient, depuis l’hôpital jusqu’à son domicile en passant par le pharmacien ou l’infirmier libéral », explique-t-il.
Orienter le patient de manière optimale
Il s’agit de s’inspirer des outils développés par les industries de service ou le e‑commerce pour proposer à leurs clients un suivi personnalisé. Mais plutôt que d’offrir des réductions ciblées sur les habitudes d’achat, la personnalisation du soin doit prendre en compte les déterminants sociaux et les besoins psychosociaux du patient.
« Après le diagnostic d’une maladie chronique, un patient a des demandes de services, d’interventions non médicales qui améliorent la qualité de sa vie. Il peut s’agir de garde d’animaux durant les séances de soins, d’aide administrative pour se déclarer atteint d’une affection longue durée, ou de l’organisation de son transport, par exemple », illustre Etienne Minvielle.
Le comportement ou la personnalité du patient modifient également son rapport au soin. Par exemple, l’habitude de faire des recherches sur internet, la tendance aux comportements à risque, une personnalité plutôt positive ou négative, introvertie ou extravertie, etc. « Tous ces éléments modulent la réponse du patient », insiste-t-il. Pour les intégrer, le chercheur développe des modèles de gestion de la singularisation.
De tels outils requièrent des données, dont la collecte et l’assemblage en profil pertinent peuvent bénéficier des techniques d’intelligence artificielle. « Mais en santé, beaucoup de données sont complexes. Il faut s’appuyer sur de nouveaux acteurs de la santé, comme l’infirmière coordinatrice, pour les rechercher ». Il sera également possible de recourir à des objets connectés, comme les piluliers, ou de prescrire des analyses sanguines pour la recherche des métabolites pour surveiller l’observance d’un patient. « Mais de telles solutions doivent s’accompagner d’une réflexion éthique. Jusqu’où peut-on aller sans intrusion dans la vie du patient ? »
Préserver son autonomie
Sur cette question, de nombreux paramètres doivent être surveillés : « La médecine personnalisée ne doit pas être discriminante dans l’accès aux soins, insiste Etienne Minvielle. Et ce risque concerne à la fois l’accès à cette personnalisation et la représentativité des profils minoritaires dans les modèles proposés. » En effet, dans un système qui adapterait le parcours de soin d’un patient à son profil, les modèles numériques peuvent préférer organiser les options selon de grands profils généraux. Un tel choix consisterait à rationaliser l’offre de parcours de soin, au risque d’oublier des préférences peu présentes au sein de la population de patients.
Enfin, la personnalisation du parcours de soin doit préserver l’autonomie du patient. « Il faudra imaginer un droit à ne pas bénéficier d’un parcours de soin personnalisé, et créer la possibilité de choisir son chemin de personnalisation, quand bien même celui-ci ne serait pas optimal », ajoute le spécialiste.
Intelligence humaine et numérique
Au vu de ces enjeux, la création d’un tel programme ne peut pas seulement reposer sur des outils numériques : ils doivent être associés à l’intelligence humaine. « L’intelligence artificielle n’arrive pas encore à repérer les moments où elle dysfonctionne. Alors que dans cette application, une mauvaise orientation du patient constitue une réelle perte de chance que l’humain remarque tout de suite », rappelle le médecin.
Ce système serait-il plus économe ? « Cela reste à voir, reconnaît Etienne Minvielle. D’un côté, nous devrions éviter du gaspillage, mais de l’autre, cela revient à créer une organisation plus complexe des soins. » Il faudra approfondir ces recherches pour le vérifier. Car nous sommes encore loin du parcours de soin personnalisé.
« La principale difficulté, c’est la synthèse », précise le chercheur. Ce modèle de singularisation se nourrit de différents champs de recherche : de travaux de santé publique, pour intégrer les déterminants socioéconomiques, d’études psychologiques qui analysent les comportements et les demandes des patients, et de la recherche médicale, qui étudie l’efficacité des traitements selon les profils. Or, « ces différentes communautés de la prise en charge des patients travaillent aujourd’hui en silo. Et pour que cette culture de la personnalisation s’inscrive dans le système de soin, elle doit encore démontrer ce qu’elle peut apporter. »