Depuis 20 ans environ, la médecine personnalisée s’applique à soigner les patients en choisissant, grâce à la génétique, le traitement le plus efficace. À l’origine, la discipline s’est développée avec les médicaments contre le cancer, qui permettaient de cibler les mécanismes particuliers de chaque tumeur.
Vous analysez le déploiement de la médecine personnalisée en France. Qu’est-ce que cela apporte aux patients ?
Pascal Pujol. La médecine personnalisée n’est plus la médecine de demain. C’est la médecine d’aujourd’hui ! On sait maintenant que certaines mutations héréditaires sont de mauvais pronostics pour le cancer. Prenons les exemples des mutations de BRCA1 et de BRCA2 qui prédisposent aux cancers du sein et de l’ovaire. Avec l’arrivée de traitements personnalisés qui les ciblent, nous avons amélioré les pronostics : il y a 10 ans pour 100 femmes avec un diagnostic de cancer de l’ovaire associé à une mutation BRCA1, nous observions 30 % de survie à trois ans. Maintenant, c’est 70 %.
Il ne s’agit plus de traiter des petits groupes de patients. L’oncologue a besoin de savoir que non seulement ces traitements existent, mais aussi de savoir comment prescrire le test. Et ce dernier point n’est pas anodin. Le diagnostic peut nécessiter un conseil génétique, car on recherche la mutation dans le génome constitutif du patient, et pas seulement dans celui de la tumeur.
Cette consultation de conseil génétique évite qu’une information à dimension familiale ne soit pas bien transmise aux sœurs, oncles, cousins, etc. qui pourraient aussi être concernés. Elle implique différents acteurs : généticien, oncologue, biologiste moléculaire ou pathologiste. Une équipe pluridisciplinaire qui va personnaliser le soin, mais aussi la prise en charge familiale si une mutation est détectée.
De quoi avez-vous besoin pour améliorer cette prise en charge ?
Nous avons besoin de nouveaux outils ! Y compris pour la décision médicale. Il faut des solutions bio-informatiques pour analyser les séquences génétiques, pour trier les variants détectés et ne garder que ceux qui ont un sens biologique. Mais pas seulement.
Si nous n’identifions pas de mutation pour laquelle un médicament est disponible en pharmacie, peut-être qu’un des variants détectés est concerné par un médicament autorisé dans un autre organe ? Peut-être l’est-il dans le cadre d’un essai clinique ou d’une autorisation temporaire d’utilisation ? Peut-être notre patient est-il éligible à un programme AcSé de l’Inca [pour l’accès aux thérapies innovantes] ou à une « basket study » [nouveau type d’étude clinique qui inclut les patients en fonction de leur profil génétique sans tenir compte de la localisation de la tumeur] ? Repérer ces différentes options n’est pas simple.
Nous avons besoin de solutions intelligentes à la fois pour nous dire qu’une altération génétique peut être ciblée par un traitement et pour nous aider à orienter le patient vers le protocole de soin le plus intéressant pour lui.
Mais la médecine personnalisée ne concerne pas que la cancérologie…
Non, elle intéresse désormais le spécialiste en rhumatologie ou en cardiologie. Des problèmes cardiaques (cardiomyopathies) que l’on croyait inexpliqués ne le sont plus. On sait aujourd’hui que des gènes sont responsables de morts subites de sportifs !
Pour des maladies communes, comme le diabète, on découvre des marqueurs de risque. Car si on parle beaucoup de la personnalisation au sens thérapeutique, il existe aussi une personnalisation du dépistage et de la prévention. Des marqueurs génétiques indiquent le risque de développer un cancer du sein ou un diabète. Dans un avenir très proche, ils rentreront dans la pratique médicale.
Pour en bénéficier, devrons-nous tous faire séquencer notre génome ?
Non, ce séquençage généralisé, c’est le projet de 23andMe [société américaine d’analyses du génome destinées aux particuliers]. Moi, je vous parle de médecine. Concrètement nous avons 100 gènes actionnables aujourd’hui. Autrement dit sur lesquels on peut agir, soit avec un traitement soit en prévention, en modifiant le mode de vie. Ce sont ceux-là qu’il faut regarder. Nous ne disposons d’aucun test génétique à proposer systématiquement à la population. Voilà la vérité. Par contre, si vous avez des antécédents médicaux, là plusieurs tests peuvent être envisagés.
Le plan France Médecine Génomique prévoyait le séquençage de 200 000 génomes, les Britanniques ont déjà produit 150 000 génomes, mais uniquement pour mesurer l’intérêt de faire du séquençage en population générale. Si, sur le plan médico-économique, nous découvrons que cette approche est intéressante, alors pourquoi pas. Mais aujourd’hui, nous identifions leurs utilités potentielles.
Alors on peut dire que tout est prêt ?
Non. Si l’on prend l’exemple de la France, nous avons besoin que les analyses génétiques soient inscrites au régime de la Sécurité sociale. Aujourd’hui, leur prise en charge passe par des systèmes d’innovation complexes, qui risquent de créer des inégalités d’accès. Une patiente avec un cancer du sein a besoin d’une analyse génétique. Il n’y a aucune raison que cet examen ne soit pas coté et remboursé ! Ce n’est plus de l’innovation : une femme sur trois est concernée.