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Médecine personnalisée : vers la singularité à grande échelle

Médecine personnalisée : à chaque patient son traitement

Agnès Vernet, journaliste scientifique
Le 2 février 2021 |
4 min. de lecture
Pascal Pujol
Pascal Pujol
chef du service d’oncogénétique du CHU de Montpellier
En bref
  • Les soins sur mesure, autrement appelés « médecine personnalisée », se sont déjà faits une place dans la pratique médicale.
  • Les médicaments ciblant des mutations de cancers améliorent la survie par rapport à ceux qui sont généralisés (40% de gain dans le cas du gène BRCA1, par exemple).
  • La médecine personnalisée, c’est aussi pouvoir lire dans le génome du patient ses risques de développer une maladie dans le futur.
  • Actuellement, une centaine de gènes peuvent, s’ils ont mutés, conduire le médecin à proposer un nouveau traitement ou conseiller des mesures de prévention.
  • Pour le Pr Pascal Pujol, il manque toujours des outils numériques pour orienter le patient vers la meilleure option thérapeutique en fonction de ses données génétiques.

Depuis 20 ans env­i­ron, la médecine per­son­nal­isée s’applique à soign­er les patients en choi­sis­sant, grâce à la géné­tique, le traite­ment le plus effi­cace. À l’origine, la dis­ci­pline s’est dévelop­pée avec les médica­ments con­tre le can­cer, qui per­me­t­taient de cibler les mécan­ismes par­ti­c­uliers de chaque tumeur. 

Vous analy­sez le déploiement de la médecine per­son­nal­isée en France. Qu’est-ce que cela apporte aux patients ?

Pas­cal Pujol. La médecine per­son­nal­isée n’est plus la médecine de demain. C’est la médecine d’aujourd’hui ! On sait main­tenant que cer­taines muta­tions hérédi­taires sont de mau­vais pronos­tics pour le can­cer. Prenons les exem­ples des muta­tions de BRCA1 et de BRCA2 qui prédis­posent aux can­cers du sein et de l’ovaire. Avec l’arrivée de traite­ments per­son­nal­isés qui les ciblent, nous avons amélioré les pronos­tics : il y a 10 ans pour 100 femmes avec un diag­nos­tic de can­cer de l’ovaire asso­cié à une muta­tion BRCA1, nous observions 30 % de survie à trois ans. Main­tenant, c’est 70 %.

Il ne s’agit plus de traiter des petits groupes de patients. L’oncologue a besoin de savoir que non seule­ment ces traite­ments exis­tent, mais aus­si de savoir com­ment pre­scrire le test. Et ce dernier point n’est pas anodin. Le diag­nos­tic peut néces­siter un con­seil géné­tique, car on recherche la muta­tion dans le génome con­sti­tu­tif du patient, et pas seule­ment dans celui de la tumeur.

Cette con­sul­ta­tion de con­seil géné­tique évite qu’une infor­ma­tion à dimen­sion famil­iale ne soit pas bien trans­mise aux sœurs, oncles, cousins, etc. qui pour­raient aus­si être con­cernés. Elle implique dif­férents acteurs : généti­cien, onco­logue, biol­o­giste molécu­laire ou pathol­o­giste. Une équipe pluridis­ci­plinaire qui va per­son­nalis­er le soin, mais aus­si la prise en charge famil­iale si une muta­tion est détectée.

De quoi avez-vous besoin pour amélior­er cette prise en charge ?

Nous avons besoin de nou­veaux out­ils ! Y com­pris pour la déci­sion médi­cale. Il faut des solu­tions bio-infor­ma­tiques pour analyser les séquences géné­tiques, pour tri­er les vari­ants détec­tés et ne garder que ceux qui ont un sens biologique. Mais pas seulement.

Si nous n’identifions pas de muta­tion pour laque­lle un médica­ment est disponible en phar­ma­cie, peut-être qu’un des vari­ants détec­tés est con­cerné par un médica­ment autorisé dans un autre organe ? Peut-être l’est-il dans le cadre d’un essai clin­ique ou d’une autori­sa­tion tem­po­raire d’utilisation ? Peut-être notre patient est-il éli­gi­ble à un pro­gramme AcSé de l’Inca [pour l’accès aux thérapies inno­vantes] ou à une « bas­ket study » [nou­veau type d’étude clin­ique qui inclut les patients en fonc­tion de leur pro­fil géné­tique sans tenir compte de la local­i­sa­tion de la tumeur] ? Repér­er ces dif­férentes options n’est pas simple.

Nous avons besoin de solu­tions intel­li­gentes à la fois pour nous dire qu’une altéra­tion géné­tique peut être ciblée par un traite­ment et pour nous aider à ori­en­ter le patient vers le pro­to­cole de soin le plus intéres­sant pour lui.

Mais la médecine per­son­nal­isée ne con­cerne pas que la can­cérolo­gie… 

Non, elle intéresse désor­mais le spé­cial­iste en rhu­ma­tolo­gie ou en car­di­olo­gie. Des prob­lèmes car­diaques (car­diomy­opathies) que l’on croy­ait inex­pliqués ne le sont plus. On sait aujourd’hui que des gènes sont respon­s­ables de morts subites de sportifs !

Pour des mal­adies com­munes, comme le dia­bète, on décou­vre des mar­queurs de risque. Car si on par­le beau­coup de la per­son­nal­i­sa­tion au sens thérapeu­tique, il existe aus­si une per­son­nal­i­sa­tion du dépistage et de la préven­tion. Des mar­queurs géné­tiques indiquent le risque de dévelop­per un can­cer du sein ou un dia­bète. Dans un avenir très proche, ils ren­treront dans la pra­tique médicale.

Pour en béné­fici­er, devrons-nous tous faire séquencer notre génome ?

Non, ce séquençage général­isé, c’est le pro­jet de 23andMe [société améri­caine d’analyses du génome des­tinées aux par­ti­c­uliers]. Moi, je vous par­le de médecine. Con­crète­ment nous avons 100 gènes actionnables aujourd’hui. Autrement dit sur lesquels on peut agir, soit avec un traite­ment soit en préven­tion, en mod­i­fi­ant le mode de vie. Ce sont ceux-là qu’il faut regarder. Nous ne dis­posons d’aucun test géné­tique à pro­pos­er sys­té­ma­tique­ment à la pop­u­la­tion. Voilà la vérité. Par con­tre, si vous avez des antécé­dents médi­caux, là plusieurs tests peu­vent être envisagés.

Le plan France Médecine Génomique prévoy­ait le séquençage de 200 000 génomes, les Bri­tan­niques ont déjà pro­duit 150 000 génomes, mais unique­ment pour mesur­er l’intérêt de faire du séquençage en pop­u­la­tion générale. Si, sur le plan médi­co-économique, nous décou­vrons que cette approche est intéres­sante, alors pourquoi pas. Mais aujourd’hui, nous iden­ti­fions leurs util­ités potentielles.

Alors on peut dire que tout est prêt ?

Non. Si l’on prend l’exemple de la France, nous avons besoin que les analy­ses géné­tiques soient inscrites au régime de la Sécu­rité sociale. Aujourd’hui, leur prise en charge passe par des sys­tèmes d’innovation com­plex­es, qui risquent de créer des iné­gal­ités d’accès. Une patiente avec un can­cer du sein a besoin d’une analyse géné­tique. Il n’y a aucune rai­son que cet exa­m­en ne soit pas coté et rem­boursé ! Ce n’est plus de l’innovation : une femme sur trois est concernée.

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