En France, plus de 300 000 personnes sont diagnostiquées chaque année pour un cancer. 382 000 nouveaux cas ont ainsi été enregistrés en 2018 selon l’Institut National du Cancer (Inca). Cette même année, 157 400 décès ont été attribué à cette maladie. Un chiffre à la baisse grâce à des diagnostics plus précoces et des avancées thérapeutiques, notamment pour les cancers les plus fréquents. Parmi ces avancées : les thérapies ciblées qui s’appuient sur une nouvelle stratégie de développement de médicaments. « Les traitements ciblés sont développés de manière rationnelle, alors que les chimiothérapies conventionnelles étaient issues d’une approche plus empirique », précise Philippe Cassier, oncologue médical au Centre Léon Bérard à Lyon.
Alors que, jusqu’aux années 2000, on cherchait des molécules qui détruisaient les cellules cancéreuses, sans toujours savoir comment, les progrès dans la compréhension des mécanismes en jeu et les apports de la biologie moléculaire ont changé la donne. Le médecin poursuit : « Il est désormais possible d’identifier une cible, étape clé dans le développement des tumeurs, puis de chercher des molécules capables d’agir dessus ». C’est un changement radical dans l’approche de développement d’un médicament.
Tumeurs à cibler
Ces nouveaux médicaments ciblent des mécanismes biologiques importants pour le développement des tumeurs, mais ces dernières présentent une grande diversité. D’un patient à l’autre, elles ne s’appuient pas forcément sur les mêmes processus biologiques. Le développement des thérapies ciblées s’est donc accompagné d’importants progrès diagnostiques. « C’est une révolution à tous les étages de la cancérologie », estime Philippe Cassier. Grâce aux tests diagnostiques, les médecins peuvent vérifier que la cible est bien présente dans la tumeur du patient et décider ainsi de prescrire ou non le traitement. Ces analyses biologiques repèrent des signaux traduisant le fonctionnement moléculaire de la tumeur, dits biomarqueurs. « Les cancérologues doivent désormais savoir manier les biomarqueurs pour savoir quoi prescrire », ajoute Philippe Cassier. Il devient essentiel de comprendre le moteur de la croissance tumorale pour choisir le traitement le plus approprié.
Les nouveaux médicaments anticancéreux sont le fruit de ce changement de démarche. Les progrès des études concernant, d’un côté, la réaction du système immunitaire face à une tumeur et, de l’autre, les mécanismes moléculaires qui favorisent la prolifération tumorale ont ainsi donné naissance à deux nouvelles classes de traitements : les thérapies ciblées et les immunothérapies. Cette seconde classe de médicament résulte d’une découverte importante de l’immunologie : les tumeurs exercent une action immunosuppressive dans leur environnement. « C’est une manipulation du système immunitaire », précise Philippe Cassier. Le cancer évite ainsi d’être attaqué par les cellules immunitaires qui surveillent en permanence que les cellules ne se divisent pas anormalement.
Effets à suivre
« Même si la compréhension du rôle biologique de la cible est incomplète, des études cliniques chez l’humain vont permettre d’affiner son analyse. C’est le principe de la recherche translationnelle », explique l’oncologue. Ces développements se nourrissent d’un véritable aller-retour entre la recherche clinique et la recherche fondamentale. « L’observation de l’effet du médicament sur le patient permet d’affiner la compréhension de son mode d’action. Les études de phase I ne permettent plus seulement d’étudier la toxicité des traitements, elles cherchent à établir la corrélation clinico-biologique qui sous-tend l’efficacité ».
Ces traitements ont parfois des effets spectaculaires, ce qui a contribué à leur réputation de traitements miracles. « C’est aussi vrai pour les chimiothérapies. Certaines tumeurs sont particulièrement sensibles à un type de traitements et on a alors l’impression d’avoir eu une baguette magique », nuance Philippe Cassier. Côté tolérance aussi, les résultats sont plus compliqués qu’il n’y parait. « Avec les immunothérapies de type anti-PD‑1/anti-PD-L1, les profils de tolérances sont très favorables. Mais d’autres types d’immunothérapies, comme les CAR‑T Cells ou les anticorps bispécifiques activant les cellules T, par exemple, peuvent avoir des effets secondaires graves, justifiant l’hospitalisation en réanimation ».
Ces nouvelles thérapies ont néanmoins offert de nouvelles options thérapeutiques et donc augmentent les chances de trouver une réponse efficace pour chaque patient. Mais elles n’ont pas réglé le problème. « Les cancers sont le mal de la vie, on ne peut probablement pas éradiquer le cancer. C’est une maladie liée aussi à la longévité », reconnait Philippe Cassier.
Résistances à prévoir
L’une des principales difficultés de ces maladies relève de la capacité des tumeurs à développer au fil du temps des mécanismes de résistance aux traitements. « Ce problème est profondément installé dans l’histoire de la cancérologie », précise Philippe Cassier. La recherche clinique a intégré cette donnée et propose plusieurs types de réponses. D’abord, elle développe des médicaments de plus en plus spécifiques des cibles. « Ces progrès incrémentaux allongent la durée de vie sans progression tumorale sous un traitement donné. On l’a notamment mesuré dans le cas des cancers du poumon présentant une translocation du gène ALK », précise l’oncologue lyonnais. Les progrès diagnostiques et la mise en place de dépistages systématiques assurent aussi un début de traitement de plus en plus tôt. « Plus le traitement est mis en place précocement, plus on minimise, en théorie, le risque d’émergence de résistance », explique Philippe Cassier. Enfin le recours à des biopsies liquides, des prises de sang dans lesquelles on est capables de trouver de l’ADN tumoral circulant permettent d’identifier les mécanismes de résistances de plus en plus facilement et de plus en plus tôt.
Tous ces outils concourent à améliorer la prise en charge des patients souffrant de cancer. « Ces pratiques sont bien souvent implémentées dans les centres experts. Mais elles sont plus difficiles à mettre en place dans d’autres centres de soins, comme les cliniques privées ou les centres plus petits, notamment du fait de problèmes liés à la prise en charge financière de ces tests », regrette Philippe Cassier. La faute à leur système de remboursement, qui repose encore sur un mécanisme de financement de l’innovation et non sur la facturation routinière des actes médicaux. Résoudre l’équation liant efficacité économique et efficacité thérapeutique est peut-être le prochain défi de la cancérologie.