Les sciences biologiques ne sont pas les seules à se battre pour le progrès de la cancérologie. La physique, grâce à la mise au point d’accélérateurs de particules et de détecteurs de plus en plus performants, est également associée à d’importants progrès thérapeutiques. Elle participe notamment à l’amélioration de l’efficacité et à la réduction des effets indésirables des radiothérapies, qui représentent plus de la moitié des traitements.
Ablation des tumeurs
Pour comprendre ces progrès, il faut tout d’abord comprendre le principe de la radiothérapie. Cette approche consiste à éliminer les cellules cancéreuses sous l’influence d’un rayonnement physique. Ce rayonnement vise la destruction des cellules cancéreuses, le plus précisément possible, en évitant de toucher les cellules saines environnantes. Pour y parvenir, les médecins s’appuient sur la toxicité radio-induite, c’est-à-dire la plus faible résistance des cellules cancéreuses aux effets du rayonnement ionisant en comparaison d’une cellule saine. Cette propriété assure la marge thérapeutique, c’est-à-dire la différence entre une dose* thérapeutique et une dose toxique. Cette dernière est aussi le fruit d’avancées topologiques, d’une meilleure focalisation des faisceaux. La combinaison de ces deux phénomènes, toxicité radio-induite et topologie, protège les tissus sains autour de la tumeur.
Les rayons ionisants déposent leur énergie dans la profondeur des tissus. Ils agissent à différents niveaux : atomique, moléculaire, chimique, biologique et physiologique. Au niveau atomique, les rayonnements interagissent avec les espèces chimiques contenues dans la cellule. Leurs actions ionisantes produisent des espèces réactives, comme des radicaux libres, qui peuvent également détruire l’ADN et pousser la cellule vers la mort. Ils agissent aussi directement au niveau moléculaire, en produisant des cassures sur les molécules d’ADN. Si ces dommages sont assez nombreux, ils submergent les processus de réparation de la cellule. Lorsque cette dernière va chercher à se diviser, le propre des cellules cancéreuses, elle échoue à mener sa division à terme et meurt. Cette somme de dommage attaque la structure de la tumeur.
Plusieurs types de particules peuvent être utilisées : les rayons X (des photons) sont les plus fréquents. Depuis les années 1990, les médecins utilisent des protons et depuis très peu de temps on étudie l’intérêt des rayons d’électrons à haute énergie dans le traitement des cancers.
Trouver la bonne dose
Ces mécanismes sont connus et leur maîtrise biologique semblait nette. On estimait que l’effet biologique était assuré par la dose de rayonnement administrée, un effet dose-réponse typique de la biologie. Mais récemment, cette certitude a été bouleversée. On a découvert que le profil temporel de la dose modifie la toxicité du rayonnement 1. C’est ce qu’on appelle l’effet Flash. Il consiste à délivrer la dose en un temps extrêmement court, quelques millisecondes au lieu de plusieurs minutes.
Or plus le temps est court, plus la sensibilité des cellules saines baisse alors que celle des cellules cancéreuses reste équivalente. L’effet Flash augmente ainsi la marge thérapeutique. En pratique, cela réduit les effets indésirables de la radiothérapie en provoquant moins de brûlures et en produisant moins de fibroses, une cicatrisation anormale des tissus sains qui peut entraver le fonctionnement d’un organe, comme le foie ou les poumons lorsqu’ils sont à proximité de la zone irradiée.
Cet effet est de plus en plus documenté par la recherche clinique, mais l’explication fine manque encore. Elle ouvre un nouveau champ de recherche.
Des nouveaux lasers
Cette découverte a incité les scientifiques à ré-explorer les sources de particules. A ce titre, nous étudions avec mon équipe l’intérêt des rayonnements générés par laser. Contrairement aux systèmes habituels, les lasers sont à l’origine de sources de particules pulsées et non continues. Les sources laser présentent un profil temporel encore différent de celui des sources conventionnelles, et un million de fois plus court que le Flash. Le rayonnement généré est à la fois très rapide et très intense localement. Nous cherchons actuellement à étudier son effet biologique dans le but de comprendre l’origine de l’effet Flash et, peut-être, de l’améliorer.
Sur des cellules en culture, nous avons observé un effet biologique, une toxicité des cellules cancéreuses qui semble intéressante2. Nous étudions actuellement la faisabilité de réaliser des tests in vivo afin de mieux qualifier cet effet.
D’autres progrès sont liés aux avancées de la physique. C’est le cas des nanoparticules, qui visent à concentrer localement l’irradiation. L’idée est d’injecter ces nanoparticules dans la tumeur. Elles potentialisent le rayonnement et permettent ainsi d’administrer une irradiation plus faible pour un effet biologique constant. Ce qui réduit les effets indésirables.
D’autres nanoparticules libèrent des médicaments lorsqu’elles sont irradiées. Elles forment une cage inerte qui emprisonne des molécules cytotoxiques. Sous l’action locale du rayonnement, la cage s’ouvre et libère le traitement anticancéreux. Cette approche vise à éviter que le patient ne soit soumis à une toxicité générale du médicament. Seule la zone irradiée n’est en contact avec les molécules cytotoxiques.
Et pour ne parler que des progrès thérapeutiques car le diagnostic, avec les progrès majeurs réalisé dans l’imagerie des cancers, constitue un autre domaine qui se nourrit des progrès des sciences physiques.
* dose : l’énergie déposée sur une masse de tissu