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Tumeurs : mieux comprendre, mieux cibler, mieux soigner

« Les avancées en physique et l’horizon d’une nouvelle radiothérapie des tumeurs »

Alessandro Flacco, professeur associé à l'ENSTA Paris (IP Paris)
Le 21 octobre 2021 |
4 min. de lecture
Alessandro Flacco
Alessandro Flacco
professeur associé à l'ENSTA Paris (IP Paris)
En bref
  • La radiothérapie est utilisée pour détruire les cellules cancéreuses aussi précisément que possible, sans trop affecter les cellules saines environnantes.
  • Depuis les années 1990, les médecins utilisent des proton thérapies, et plus récemment, l'utilisation de faisceaux d'électrons dans le traitement du cancer a été étudiée.
  • De récentes découvertes ont montré que la toxicité des rayonnements est liée à la durée de l'exposition, connue sous le nom d'« effet flash », une brève explosion de rayonnements.
  • Plus la durée est courte, moins les cellules saines sont touchées grâce à une moindre brûlure et une moindre fibrose.
  • Cette découverte a incité les scientifiques à réexaminer les sources de particules telles que les lasers pulsés qui fournissent un rayonnement rapide et très localement intense – ou en injectant des nanoparticules photosensibles.

Les sci­ences biologiques ne sont pas les seules à se bat­tre pour le pro­grès de la can­cérolo­gie. La physique, grâce à la mise au point d’accélérateurs de par­tic­ules et de détecteurs de plus en plus per­for­mants, est égale­ment asso­ciée à d’importants pro­grès thérapeu­tiques. Elle par­ticipe notam­ment à l’amélioration de l’efficacité et à la réduc­tion des effets indésir­ables des radio­thérapies, qui représen­tent plus de la moitié des traitements. 

Ablation des tumeurs

Pour com­pren­dre ces pro­grès, il faut tout d’abord com­pren­dre le principe de la radio­thérapie. Cette approche con­siste à élim­in­er les cel­lules can­céreuses sous l’influence d’un ray­on­nement physique. Ce ray­on­nement vise la destruc­tion des cel­lules can­céreuses, le plus pré­cisé­ment pos­si­ble, en évi­tant de touch­er les cel­lules saines envi­ron­nantes. Pour y par­venir, les médecins s’appuient sur la tox­i­c­ité radio-induite, c’est-à-dire la plus faible résis­tance des cel­lules can­céreuses aux effets du ray­on­nement ion­isant en com­para­i­son d’une cel­lule saine. Cette pro­priété assure la marge thérapeu­tique, c’est-à-dire la dif­férence entre une dose* thérapeu­tique et une dose tox­ique. Cette dernière est aus­si le fruit d’avancées topologiques, d’une meilleure focal­i­sa­tion des fais­ceaux. La com­bi­nai­son de ces deux phénomènes, tox­i­c­ité radio-induite et topolo­gie, pro­tège les tis­sus sains autour de la tumeur.

Les rayons ion­isants déposent leur énergie dans la pro­fondeur des tis­sus. Ils agis­sent à dif­férents niveaux : atom­ique, molécu­laire, chim­ique, biologique et phys­i­ologique. Au niveau atom­ique, les ray­on­nements inter­agis­sent avec les espèces chim­iques con­tenues dans la cel­lule. Leurs actions ion­isantes pro­duisent des espèces réac­tives, comme des rad­i­caux libres, qui peu­vent égale­ment détru­ire l’ADN et pouss­er la cel­lule vers la mort. Ils agis­sent aus­si directe­ment au niveau molécu­laire, en pro­duisant des cas­sures sur les molécules d’ADN. Si ces dom­mages sont assez nom­breux, ils sub­mer­gent les proces­sus de répa­ra­tion de la cel­lule. Lorsque cette dernière va chercher à se divis­er, le pro­pre des cel­lules can­céreuses, elle échoue à men­er sa divi­sion à terme et meurt. Cette somme de dom­mage attaque la struc­ture de la tumeur.

Plusieurs types de par­tic­ules peu­vent être util­isées : les rayons X (des pho­tons) sont les plus fréquents. Depuis les années 1990, les médecins utilisent des pro­tons et depuis très peu de temps on étudie l’intérêt des rayons d’électrons à haute énergie dans le traite­ment des cancers.

Trouver la bonne dose

Ces mécan­ismes sont con­nus et leur maîtrise biologique sem­blait nette. On esti­mait que l’effet biologique était assuré par la dose de ray­on­nement admin­istrée, un effet dose-réponse typ­ique de la biolo­gie. Mais récem­ment, cette cer­ti­tude a été boulever­sée. On a décou­vert que le pro­fil tem­porel de la dose mod­i­fie la tox­i­c­ité du ray­on­nement 1. C’est ce qu’on appelle l’effet Flash. Il con­siste à délivr­er la dose en un temps extrême­ment court, quelques mil­lisec­on­des au lieu de plusieurs minutes.

Or plus le temps est court, plus la sen­si­bil­ité des cel­lules saines baisse alors que celle des cel­lules can­céreuses reste équiv­a­lente. L’effet Flash aug­mente ain­si la marge thérapeu­tique. En pra­tique, cela réduit les effets indésir­ables de la radio­thérapie en provo­quant moins de brûlures et en pro­duisant moins de fibros­es, une cica­tri­sa­tion anor­male des tis­sus sains qui peut entraver le fonc­tion­nement d’un organe, comme le foie ou les poumons lorsqu’ils sont à prox­im­ité de la zone irradiée.

Cet effet est de plus en plus doc­u­men­té par la recherche clin­ique, mais l’explication fine manque encore. Elle ouvre un nou­veau champ de recherche. 

Des nouveaux lasers

Cette décou­verte a incité les sci­en­tifiques à ré-explor­er les sources de par­tic­ules. A ce titre, nous étu­dions avec mon équipe l’intérêt des ray­on­nements générés par laser. Con­traire­ment aux sys­tèmes habituels, les lasers sont à l’origine de sources de par­tic­ules pul­sées et non con­tin­ues. Les sources laser présen­tent un pro­fil tem­porel encore dif­férent de celui des sources con­ven­tion­nelles, et un mil­lion de fois plus court que le Flash. Le ray­on­nement généré est à la fois très rapi­de et très intense locale­ment. Nous cher­chons actuelle­ment à étudi­er son effet biologique dans le but de com­pren­dre l’origine de l’effet Flash et, peut-être, de l’améliorer.

Sur des cel­lules en cul­ture, nous avons observé un effet biologique, une tox­i­c­ité des cel­lules can­céreuses qui sem­ble intéres­sante2. Nous étu­dions actuelle­ment la fais­abil­ité de réalis­er des tests in vivo afin de mieux qual­i­fi­er cet effet.

D’autres pro­grès sont liés aux avancées de la physique. C’est le cas des nanopar­tic­ules, qui visent à con­cen­tr­er locale­ment l’irradiation. L’idée est d’injecter ces nanopar­tic­ules dans la tumeur. Elles poten­tialisent le ray­on­nement et per­me­t­tent ain­si d’administrer une irra­di­a­tion plus faible pour un effet biologique con­stant. Ce qui réduit les effets indésirables.

D’autres nanopar­tic­ules libèrent des médica­ments lorsqu’elles sont irradiées. Elles for­ment une cage inerte qui empris­onne des molécules cyto­tox­iques. Sous l’action locale du ray­on­nement, la cage s’ouvre et libère le traite­ment anti­cancéreux. Cette approche vise à éviter que le patient ne soit soumis à une tox­i­c­ité générale du médica­ment. Seule la zone irradiée n’est en con­tact avec les molécules cytotoxiques.

Et pour ne par­ler que des pro­grès thérapeu­tiques car le diag­nos­tic, avec les pro­grès majeurs réal­isé dans l’imagerie des can­cers, con­stitue un autre domaine qui se nour­rit des pro­grès des sci­ences physiques.

* dose : l’énergie déposée sur une masse de tissu

Propos recueillis par Agnès Vernet
1Favaudon et al. Sci­ence Transl Med 2014  doi : 10.1126/scitranslmed.3008973 https://​www​.sci​ence​.org/​d​o​i​/​1​0​.​1​1​2​6​/​s​c​i​t​r​a​n​s​l​m​e​d​.​3​0​08973
2Bayart et al. Sci­en­tif­ic Reports 2019 https://doi.org/10.1038/s41598-019–46512‑1

Auteurs

Alessandro Flacco

Alessandro Flacco

professeur associé à l'ENSTA Paris (IP Paris)

Alessandro Flacco  travaille sur les applications des sources de particules par laser à la biologie et à la médecine. Il a longtemps travaillé sur la physique des plasmas crées par laser à très haute intensité et sur l'accélération de protons par interaction laser-matière. Il est professeur associé à l'ENSTA Paris et chercheur au LOA (Laboratoire d'Optique Appliquée : unité mixte de recherche CNRS, ENSTA, École Polytechnique).

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