C’est une question qui ne divise pas tellement la communauté des chercheurs qui travaillent sur la nutrition. Tout le monde s’accorde à dire, avec plus ou moins de réserves sur certains points, que les produits animaux ne sont pas indispensables pour conserver une bonne santé. En réalité, les divergences se concentrent généralement sur des points précis : est-ce qu’on considère la santé de l’individu ou d’une population ? L’optimalité ou la viabilité du régime ?
Pour décortiquer ces problématiques, difficiles à comprendre si nos connaissances en nutrition sont faibles, François Mariotti, expert en nutrition de santé publique, en établit les tenants et aboutissants. Précisons que le cadre de cet entretien se focalise uniquement sur la problématique de la santé humaine et de l’alimentation sans prendre en considération d’autres enjeux majeurs, comme l’éthique animale ou les externalités négatives de l’élevage.
Il n’existe aucune différence, vis-à-vis de la chimie, entre les protéines dites animales et les protéines dites végétales. Partant de ce constat, peut-on considérer qu’une alimentation strictement végétale, bien conduite, peut subvenir aux besoins en protéines de la population ?
François Mariotti. On entend souvent que les protéines contenues dans les végétaux manquent d’un ou de plusieurs acides aminés – unités élémentaires des molécules telles que les peptides et les protéines. Et il faut bien comprendre ce qu’on entend par-là, car cela est souvent mal compris. Le raisonnement qui sous-tend le fait que certaines protéines contenues dans les végétaux seraient limitantes se base sur une situation virtuelle. On imagine, d’une manière théorique, un individu qui ne consommerait qu’une protéine particulière (de blé, de riz, d’œuf, etc.) en quantité juste suffisante pour couvrir ses besoins azotés, c’est-à-dire pour subvenir à son besoin protéinique total. À partir de cette situation fictive, on se demande si cet individu ingère une quantité suffisante de chaque acide aminé pour couvrir ses besoins.
Avec ce type de raisonnement, on peut aboutir à la conclusion susmentionnée qui est : il manque tel acide aminé dans telle protéine — essentiellement la lysine dans les céréales. Mais on constate bien que cette situation est purement théorique. Premièrement, les gens ne consomment pas qu’une seule protéine donnée, deuxièmement les protéines contenues dans les végétaux se complètent très bien et troisièmement les adultes et les enfants consomment, actuellement en France, plus de protéines que ce qui est nécessaire pour satisfaire leurs besoins. On peut donc en conclure que les protéines contenues dans les végétaux pourraient sans problème subvenir aux besoins protéiques totaux de la population, hors cas particulier (personnes dénutries ou à risque de dénutrition principalement).
Acides aminés
Alors que dans le langage courant, nous associons souvent les protéines avec les muscles, il est important de comprendre que leur utilité biologique va bien au-delà. Toutes les cellules, peu importe l’organisme dont on parle, sont en grande partie composées de protéines. Elles jouent des rôles essentiels :
• Enzymatique, en permettant que certaines réactions chimiques essentielles se déroulent bien ;
• Immunitaire, à ce titre, on peut prendre comme exemple les anticorps qui sont des glycoprotéines ;
• Ou encore structurel, le cytosquelette (un organite qui se trouve au sein de nos cellules) qui donne la forme à nos cellules est composé de filaments protéiques.
Pour fabriquer les protéines, notre corps a besoin de vingt acides aminés, dont neuf sont essentiels. Notre organisme ne sait donc pas les fabriquer lui-même à l’instar d’autres molécules telles que les vitamines. Ces acides aminés doivent être apportés par l’alimentation afin de subvenir à nos besoins en azote et permettent à notre corps de fabriquer la plupart des molécules qui le composent.
Il existe des nutriments (vitamines, minéraux, fibres, oligo-éléments) qui sont présents dans les produits animaux mais absents des produits végétaux contenant des protéines et inversement. Peut-on satisfaire nos besoins concernant ces composés avec une alimentation strictement végétale ?
On appelle ces différences le protein package pour caractériser les nutriments associés aux protéines contenues dans les produits animaux et végétaux. Et c’est là que la question se complique, car lorsqu’on se passe de produits animaux, ce n’est pas tant les protéines qui sont problématiques, mais plutôt certains composés associés. La même chose est encore plus vraie si on se passe de végétaux.
En santé publique, on va se poser ces questions abordent un aspect de sécurité. Est-ce qu’un individu cessant de consommer des produits animaux, voire des produits d’origine animale pourra obtenir, via d’autres aliments, des quantités suffisantes de composés d’intérêts comme la vitamine B12, le fer, le zinc, le calcium, l’iode, les acides gras oméga 3 que sont les acides EPA (eicosapentaénoïque) et DHA (docosahexaénoïque) ?
Les recommandations alimentaires dépendent de plusieurs facteurs comme le degré de végétalisation de l’alimentation (les problèmes ne sont pas les mêmes chez des flexitariens, pesco-végétariens, lacto-ovo-végétariens ou végétaliens) et la diversité de l’alimentation. Par exemple, pour la vitamine B12, la supplémentation est justifiée chez les lacto-ovo-végétariens et est essentielle chez les végétaliens sous peine de graves problèmes neurologiques à court terme. Pour les autres composés, la question réside plutôt dans le degré de végétalisation et dans la difficulté à équilibrer son régime alimentaire. Cela reste possible, mais demande des connaissances et des dispositions qui ne sont pas facilement accessibles.
Pour pallier ça, on peut enrichir les aliments végétaux de certains nutriments d’intérêts. En France, ces aliments enrichis ne sont pas très présents dans le commerce alors qu’ils ont un véritable intérêt pour la santé publique. La végétalisation de l’alimentation concerne des populations très éloignées de la caricature du « bobo », elles sont souvent jeunes, en situation de précarité et par conséquent à haut risque nutritionnel.
On sait que végétaliser son alimentation est bénéfique pour la santé, mais jusqu’à quel point ?
L’ensemble des régimes recommandés comporte une consommation bien plus importante de végétaux que de produits animaux. Il est clair que végétaliser son alimentation est bénéfique pour la santé, souvent à un degré plus élevé que ce que suggèrent les recommandations qui considèrent des paramètres comme les normes culturelles et la faisabilité en population générale.
D’un point de vue nutritif, je pense qu’il n’y a aucun intérêt à supprimer des produits animaux ayant des contributions nutritionnelles intéressantes. Pour illustrer mon propos, je trouve un intérêt à supprimer la viande rouge tandis que je n’en trouve pas — toujours sur le plan nutritionnel — à supprimer les poissons en particulier les poissons gras. Néanmoins, on peut se passer de produits animaux et de produits d’origine animale comme nous l’évoquions précédemment, mais si l’on considère seulement la santé humaine, cela n’atteindra sans doute pas l’optimalité qui résiderait plutôt dans une alimentation fortement végétalisée en conservant une petite place aux produits animaux.
Si vous deviez apporter une réponse résumée à cette problématique complexe, où même avec des réponses précises on peine à y voir clair, que diriez-vous ?
Le point à retenir, dans le domaine de la nutrition et de végétalisation de l’alimentation, est qu’il faut poser les bons diagnostics et savoir à quoi il faut faire attention. Continuer à voir se jouer dans le débat public des questions relatives aux besoins protéiques des enfants s’ils ne mangent pas ou peu de viande, alors que ce sont des questions dépassées qui ont été réglées. Par contre, il faut s’attacher à ce qui peut être problématique dans les régimes lacto-ovo-végétarien ou végétalien comme le statut en fer, en zinc, en calcium et en iode. Enfin, je rajouterai qu’il est caduc d’opposer sources animales et végétales dans leur ensemble. Il faut plutôt raisonner en catégorie d’aliments, comme le font les professionnels de la diététique. Il existe des aliments animaux intéressants — la volaille par exemple — voire très intéressants comme le poisson, et des aliments végétaux à éviter comme les céréales raffinées. À l’inverse, il y a des aliments végétaux très intéressants comme les fruits et légumes, les céréales complètes, les légumineuses ou les fruits à coque, et des aliments animaux à éviter comme la viande rouge et la charcuterie.