La médecine n’est pas qu’une histoire de médicaments et la personnalisation n’est pas seulement de nature génétique. Dans l’équipe MΞDISIM (Inria/Institut Polytechnique), c’est la biomécanique des tissus malades que les chercheurs analysent. L’objectif ? Créer des modèles numériques des organes des patients pour mieux orienter leur traitement.
« Le poumon se déforme quand on respire, il double même de volume, rappelle en introduction Cécile Patte, qui vient de soutenir sa thèse au sein du MΞDISIM. Cette déformation dépend de propriétés mécaniques comme l’élasticité. » La jeune chercheuse a ainsi développé un modèle numérique du poumon afin d’aider les médecins de l’Hôpital Avicenne, à Bobigny, à mieux caractériser les propriétés individuelles des patients souffrant de fibrose pulmonaire idiopathique.
Cette maladie est caractérisée par la formation de cicatrices dans les poumons, ce qui rigidifie l’organe. Cette dégradation tissulaire entrave le passage de l’oxygène dans le sang, entraînant une insuffisance respiratoire mortelle, seulement 2 à 5 ans après l’apparition de la maladie. Or la forme, la porosité initiale et les propriétés mécaniques de l’organe ne sont pas les mêmes chez tout le monde.
« Pour répondre à une question générale, il suffit d’avoir un modèle moyen de l’organe, qui reprend les valeurs moyennes de ses propriétés mécaniques. Mais pour proposer une approche personnalisée, il faut créer un avatar de l’organe du patient », précise Cécile Patte. Et pour cela, il faut des données.
Des données de vie réelle
« La difficulté, c’est que nous voulons travailler à partir de données déjà disponibles. Nous n’allons pas imposer des gestes invasifs supplémentaires aux patients pour créer un avatar » explique la chercheuse, lauréate 2020 du prix Pour les femmes et la science de la Fondation L’Oréal et de l’UNESCO. Il s’agit donc de construire des modèles en s’appuyant sur les informations produites habituellement par le parcours de soin du patient. Et les examens varient selon le type de pathologie et l’organe. Pour le cœur, ce sont des mesures de pression ou d’électrophysiologie. Pour le poumon, il s’agit surtout de données d’imagerie, de radiographies ou de scanners. « Si on avait accès à la pression pleurale, par exemple, ce serait un gain de précision. Mais c’est une mesure trop invasive », admet Cécile Patte.
Les informations spécifiques d’un patient vont venir nourrir l’avatar numérique. Il permet alors de pousser le diagnostic un cran plus loin : pour quantifier les paramètres mécaniques, pour tester des hypothèses thérapeutiques ou encore prédire le pronostic. « On peut imaginer que ces informations aideront les médecins à mieux diagnostiquer la maladie et à orienter le patient vers une stratégie médicamenteuse ou une transplantation », analyse-t-elle.
Pour l’instant, ce logiciel de simulation personnalisée n’est qu’un objet de recherche, une preuve de concept. Beaucoup de travail doit encore être réalisé afin de le transformer en « dispositif médical », un système d’aide à la décision médicale soumis, à un environnement réglementaire exigeant via le marquage de fabrication technique européen (CE), par exemple. Or, le logiciel de simulation du poumon de Cécile Patte n’a été appliqué qu’à quatre patients lorsque nous écrivons cet article. « Pour traiter les données d’un patient, en puisant sa puissance de calcul sur un cluster de laboratoire, notre logiciel exige aujourd’hui deux voire trois jours à temps plein… », admet la chercheuse. Pour être compatible avec la pratique clinique, ce temps devra être raccourci.
Un jumeau numérique
Le poumon n’est pas le seul organe modélisé au sein de l’équipe. Le cœur fait également l’objet de nombreux travaux, avec des applications cliniques multiples en collaboration étroite avec différents hôpitaux. Il s’agit de représenter le cœur dans ses différentes dimensions physiques, contractile et électrique. De tels modèles cardiaques personnalisés permettront par exemple, de tester un traitement sur un ordinateur, notamment en cas d’insuffisance cardiaque, et de prédire ainsi si le patient répondra ou non.
MΞDISIM a également conçu un outil pour le suivi en temps réel du système cardiovasculaire pendant l’anesthésie, AnaestAssist. Le logiciel représente en temps réel la physiologie cardiovasculaire du patient afin d’anticiper les effets de l’anesthésie et d’accompagner le médecin dans cette procédure.
D’autres laboratoires à travers le monde préparent, eux, des modèles de la circulation sanguine, des os, des reins, etc. « Avec cette perspective, tous les organes peuvent être étudiés », estime Cécile Patte.
Il n’est pas impossible qu’à terme nous puissions combiner tous ces modèles afin de représenter les effets systémiques, de créer un véritable double numérique qui nous accompagnera et participera à la prise en charge personnalisée de nos traitements. L’idée séduit même des industriels. Dassault Systèmes, par exemple, a commencé à investir. Il propose sa plateforme 3DEXPERIENCE aux fabricants de dispositifs médicaux pour les aider à optimiser leur développement. Une première étape, sans doute.