Faut-il centraliser les données de santé détenues par l’État ? En 2019, le gouvernement français a lancé le Health Data Hub afin de permettre l’accès aux données de santé tant pour la recherche que pour les entreprises et ainsi accélérer en matière d’innovation. Doté d’un budget de 10 millions d’euros1, ce projet a connu un coup d’arrêt en janvier dernier suite au retrait de la demande d’autorisation formulée par le Health Data Hub auprès de la CNIL. Emmanuel Didier, membre du Comité consultatif national d’éthique, qui rendra un avis sur le sujet dans les mois qui viennent, revient sur la création et la mise en place du Health Data Hub.
En quoi les données peuvent-elles être utiles pour la santé ?
Le Health Data Hub, la centralisation des données de l’Assurance maladie française et d’une quarantaine d’autres bases, facilitera le travail des médecins en mutualisant des données de santé. Il sera également une source très riche pour les chercheurs. D’autre part, il ouvrira un nouveau marché prolifique pour les entreprises. La volonté du gouvernement est de créer un espace propice à l’innovation dans le secteur de la santé pour permettre la création de nouvelles licornes, ces start-ups valorisées à plus d’un milliard d’euros (Doctolib, par exemple), censées concurrencer les géants du numérique américains (GAFAM).
Pour accéder à ces données, les acteurs doivent proposer un projet expliquant les raisons d’utilisation. L’espoir réside dans un croisement des données qui ouvrirait de nouvelles possibilités de suivi des soins et leur prise en charge. Un exemple dans ce domaine est celui des électrocardiogrammes. Actuellement, il y a plusieurs logiciels pour récupérer les électrocardiogrammes. Une centralisation des données permettrait donc de n’utiliser qu’un seul logiciel pour des échanges plus fluides entre les différents centres de cardiologie, tout en proposant une gestion mieux adaptée.
Y’a‑t-il des projets similaires dans d’autres pays ?
La France est un pays dont le système de santé correspond à un projet tel que le Health Data Hub. En effet, la quantité de données de santé en France est colossale : le Sniiram (le Système national d’information inter-régimes de l’Assurance maladie) détient 1,2 milliard de feuilles de soins collectées depuis 20022. Dans des pays comme l’Allemagne ou les États-Unis, le système de santé est divisé en plusieurs parties. En Allemagne, ce sont les Länder (les régions administratives) qui gèrent leur propre système de santé, aux États-Unis, ce sont les états via les compagnies d’assurance. De fait, une centralisation des données doit nécessairement être organisée autrement qu’en France où celles-ci sont gérées par l’État.
L’espoir réside dans un croisement de données qui permettrait d’avoir des possibilités inédites pour le suivi des soins et leur prise en charge.
Cependant d’autres pays possèdent un système de santé similaire au nôtre et pourraient éventuellement lancer ce type de projet. C’est le cas au Royaume-Uni où la Bio Bank est déjà au cœur des recherches sur la centralisation. C’est d’ailleurs ce que l’Europe a en tête avec son espace européen des données de santé. Cette espace correspond à une volonté européenne de partage des données de santé afin de faciliter la recherche et d’améliorer les systèmes de santé dans leur globalité. Le but est de construire des algorithmes d’intelligence artificielle à grande échelle permettant de gérer des crises comme celle du Covid-193.
Quelles sont les critiques suscitées par ce projet ?
La centralisation pose un problème à certains acteurs qui ne veulent pas confier leurs bases de données au risque de perdre le travail investi dans celles-ci. Constance, une cohorte épidémiologique française, dispose par exemple de conditions d’accès spécifiques à ses quelques 200 000 données et a fait comprendre au Health Data Hub ne pas vouloir les partager4.
Une autre critique concerne l’enrichissement des uns avec les données de santé des autres. En France, il est interdit d’utiliser les données de santé à des fins de marketing ou assurancielles. Cependant, le Health Data Hub lui, offre un nouveau terrain de jeu aux entreprises innovantes.
Enfin, l’hébergement de données par des serveurs américains (Microsoft) pose un problème de souveraineté. L’objectif aurait pu ou pourrait permettre la création d’un hébergeur français ou européen. Nous ne savons pas encore quelle orientation est en train de prendre le Health Data Hub.
Quelles peuvent être les solutions qui s’ouvrent pour l’avenir du Health Data Hub ?
L’une des solutions avancées serait de fragmenter les données de santé tout en les rendant accessibles à tous. Au lieu d’avoir un seul Health Data Hub, nous en aurions plusieurs répartis dans toute la France permettant aux entreprises et autres groupes ayant des données en grande quantité de les conserver tout en les partageant avec le plus grand nombre. Cette solution est également plus sécurisée puisque pour tout piratage il y’aurait plusieurs espaces de stockage à attaquer. De fait, les pirates ne pourraient pas mettre la main sur toutes les données d’un seul coup comme ils le feraient avec une seule base de données centralisée. Mais ceci n’est qu’une des pistes possibles.