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Biomolécules : trois techniques à la pointe de la recherche

Un ARN inédit pour lutter contre le SARS-CoV‑2

Jean-Louis Mergny, directeur de recherche Inserm et responsable du département de biologie de l'IP Paris
Le 20 avril 2022 |
5 min. de lecture
Jean-Louis Mergny
Jean-Louis Mergny
directeur de recherche Inserm et responsable du département de biologie de l'IP Paris
En bref
  • De nombreuses pistes pour un meilleur traitement du SARS-CoV-2 ont émergé, mais les principaux progrès ont été faits concernant la détection précoce des patients et les protocoles de soins intensifs.
  • Il reste très difficile de cibler un virus, comme nous l’avait déjà montré la lenteur du développement de traitements efficaces contre le VIH et l’hépatite.
  • Cependant une piste clinique s’est ouverte grâce aux effets prometteurs de la protéine NSP3 bloquant la prolifération du virus.
  • Le développement d’un candidat médicament est néanmoins un processus long. Les chercheurs veiennent de commencer la phase préclinique chez les rongeurs pour d’abord évaluer leur distribution ainsi que leur éventuelle toxicité in vivo.

La pandémie de Covid-19 nous a con­fron­tés à une infec­tion con­tre laque­lle nous n’avions pas de médica­ment effi­cace. Il existe évidem­ment des traite­ments de base, comme le paracé­ta­mol ou l’aspirine, qui per­me­t­tent de soulager cer­tains symp­tômes dans les cas bénins (toux, fièvre, maux de tête, etc.), mais leur effi­cac­ité con­tre les formes plus sérieuses d’in­fec­tion est extrême­ment lim­itée. Néan­moins, au fil du temps, de nom­breuses pistes de meilleurs traite­ments ont émergé, avec des effets plus ou moins promet­teurs. Les médecins ont égale­ment fait d’énormes pro­grès en ter­mes de détec­tion pré­coce des patients sus­cep­ti­bles de présen­ter les formes les plus graves et de pro­to­coles de soins intensifs.

Des médicaments contre le Covid-19

Les médica­ments qui ont été dévelop­pés jusqu’à présent pour traiter le Covid-19 ciblent sou­vent l’in­flam­ma­tion ou la réponse immu­ni­taire inap­pro­priée déclenchée par l’in­fec­tion par le virus SARS-CoV­‑2 – une surac­ti­va­tion à l’o­rig­ine des formes les plus graves de Covid-19. On peut, par exem­ple, citer l’in­ter­féron bêta, pour lequel des essais clin­iques sont en cours, notam­ment dans le cadre du pro­jet européen DISCOVERY. Une autre approche effi­cace con­siste à utilis­er des anti­corps mon­o­clonaux tels que ceux dévelop­pés par l’entreprise de biotech­nolo­gie améri­caine Regen­eron Phar­ma­ceu­ti­cals (REGEN-COV).

Il y a cepen­dant peu de solu­tions antivi­rales dans la boîte à out­ils « anti-Covid » qui pour­rait per­me­t­tre un traite­ment plus pré­coce de la mal­adie. De telles options pour­raient aug­menter les chances d’éviter des formes graves de Covid-19 ou d’autres effets à long terme, que nous con­nais­sons encore mal.

Il est très dif­fi­cile de cibler un virus, comme nous l’avons con­staté avec la lenteur du développe­ment de traite­ments effi­caces con­tre le VIH ou l’hé­patite. Même le meilleur traite­ment antivi­ral con­tre la grippe com­mune, le Tam­i­flu, est loin d’être excep­tion­nel. Alors que les bac­téries répon­dent sou­vent à au moins un des antibi­o­tiques disponibles sur le marché (hormis le prob­lème crois­sant de la résis­tance), le mode de fonc­tion­nement des virus les rend par­ti­c­ulière­ment dif­fi­ciles à attein­dre. Ils agis­sent en « piratant » les cel­lules d’une per­son­ne infec­tée, les forçant à pro­duire davan­tage de virus, qui infectent ensuite d’autres cel­lules de son corps. Les bac­téries pos­sè­dent leurs pro­pres cel­lules avec leurs pro­pres com­posants, comme les ribo­somes ou cer­taines enzymes, que nous pou­vons utilis­er comme cibles thérapeu­tiques. En revanche, comme les virus n’ont pas leurs pro­pres « usines », il existe moins d’outils ou d’en­zymes qui peu­vent être spé­ci­fique­ment ciblés.

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Une nouvelle piste contre le SARS-CoV‑2

J’ai passé ma car­rière à étudi­er ce que nous appelons les « con­for­ma­tions inhab­ituelles » de l’ADN. Quand on pense à l’ADN, on pense sou­vent à sa dou­ble hélice. C’est vrai dans la plu­part des cas, mais il arrive que la dou­ble hélice se plie en forme d’épin­gle à cheveux ou que cer­tains seg­ments com­por­tent plus de deux brins. Ces bizarreries sont rares sur l’ADN, mais plus fréquentes sur l’ARN. Comme tous les coro­n­avirus, le SARS-CoV­‑2 a un génome à ARN mono­caté­naire. Ain­si, en jan­vi­er 2020, lorsque le génome du SARS-CoV­‑2 a été pub­lié, j’ai cher­ché à savoir si mon exper­tise pou­vait être utile. Cepen­dant, l’analyse ini­tiale du génome du virus à l’aide d’un algo­rithme que j’ai conçu a sug­géré que des con­for­ma­tions inhab­ituelles étaient peu prob­a­bles sur l’ARN du virus – il était donc dif­fi­cile pour mon lab­o­ra­toire d’intervenir.

Quelques mois plus tard, grâce à une col­lab­o­ra­tion très fructueuse avec le chercheur de de l’In­sti­tut Pas­teur, Marc Lav­i­gne, nous avons réal­isé qu’il exis­tait un autre angle d’at­taque. Une pro­téine, appelée NSP3, pro­duite par un coro­n­avirus très proche et haute­ment infec­tieux (SARS-CoV) peut se fix­er sur une con­for­ma­tion inhab­ituelle appelée « G‑quadruplex ».  Grâce à des obser­va­tions antérieures, nous savions que le génome du SARS-Cov­‑2 ne pou­vait pas for­mer de G‑quadruplex, de sorte que la pro­téine NSP3 ne pou­vait pas se cibler son pro­pre génome viral. Nous avons donc émis l’hy­pothèse que la pro­téine NSP3 inter­agis­sait avec un G‑quadruplex dans les cel­lules infec­tées – et donc chez les patients !

Bloquer le virus, ralentir l’infection

N’ou­bliez pas que les virus sont inca­pables de se mul­ti­pli­er par eux-mêmes. Pour se repro­duire, ils doivent s’in­tro­duire dans la machiner­ie cel­lu­laire d’un autre organ­isme : c’est l’in­fec­tion. Grâce au sou­tien financier de l’In­sti­tut Pas­teur et de l’ANR-flash Covid, nous avons pu mon­tr­er que la pro­téine NSP3 du virus pou­vait se lier au G‑quadruplex de l’ARN humain. Nous pen­sons que cette inter­ac­tion aide le virus à « pirater » la machiner­ie cel­lu­laire de l’hôte, empêchant la cel­lule humaine de pro­duire des défenses.

Nous nous sommes alors demandé s’il était pos­si­ble d’empêcher la repro­duc­tion du virus en blo­quant cette inter­ac­tion. Naturelle­ment, la pre­mière approche a été de tester des molécules capa­bles de blo­quer l’in­ter­ac­tion entre G‑quadruplex et pro­téine. Après deux décen­nies de recherche, nous dis­po­sions déjà d’une large col­lec­tion de telles molécules. Nous avons donc conçu des tests de dépistage pour véri­fi­er leur capac­ité à inhiber la répli­ca­tion virale.

Par­mi les can­di­dats posi­tifs, nous avons iden­ti­fié un groupe de petites molécules capa­bles de blo­quer l’interaction entre la pro­téine NSP3 et le G‑quadruplex. Les com­posés syn­thétisés à Bor­deaux par le pro­fesseur Jean Guil­lon étaient encore plus puis­sants. Une piste clin­ique s’est ain­si ouverte grâce à cette molécule aux effets promet­teurs sur les cel­lules humaines de culture.

C’était la pre­mière fois que l’on par­ve­nait à empêch­er la répli­ca­tion du SARS-CoV­‑2 par le biais d’un quadru­plex. La pré­pa­ra­tion de ces com­posés et leur util­i­sa­tion à des fins antivi­rales ont donc été brevetées. Le développe­ment d’un can­di­dat médica­ment est cepen­dant un long proces­sus, et nous venons de com­mencer la phase pré­clin­ique chez les rongeurs pour d’abord éval­uer leur dis­tri­b­u­tion et leur éventuelle tox­i­c­ité in vivo, puis analyser leurs effets. Cette famille de molécules n’a jamais reçu l’ap­pro­ba­tion de la FDA, et elles doivent donc pass­er un grand nom­bre d’é­tapes régle­men­taires avant de pou­voir être testées sur des humains.

Les étapes suiv­antes risquent d’être déli­cates car les lig­ands G4 peu­vent inter­a­gir avec de mul­ti­ples frag­ments d’ADN et d’ARN. Il est donc essen­tiel de véri­fi­er qu’ils n’in­duisent pas de géno­tox­i­c­ité au niveau des cel­lules et de l’or­gan­isme entier. Même si tout se passe bien, ce proces­sus pren­dra des années. Mais le besoin de nou­veaux antivi­raux est grand. Dans le cas du Covid-19, la plu­part des médica­ments ini­tiale­ment testés avaient déjà été approu­vés ou étaient en cours d’é­val­u­a­tion pour d’autres mal­adies. Ce repo­si­tion­nement des médica­ments nous a fait gag­n­er beau­coup de temps dans la recherche d’un traite­ment… mais mal­heureuse­ment, les essais clin­iques ont sou­vent déçu. Le jeu en vaut donc la chan­delle, et nous devons absol­u­ment explor­er de mul­ti­ples voies pour lut­ter con­tre la pandémie actuelle (et la prochaine !).

Pour en savoir plus

M. Lav­i­gne et al. Nucle­ic Acids Research, Vol­ume 49, Issue 13, 21 juil­let 2021, Pages 7695‑7712,

Auteurs

Jean-Louis Mergny

Jean-Louis Mergny

directeur de recherche Inserm et responsable du département de biologie de l'IP Paris

Diplômé de l'Ecole Normale Supérieure (Paris), Jean-Louis Mergny a effectué son doctorat sur les rôles des acides nucléiques suivi d'un post-doctorat à Bâle, en Suisse. En 2009, il rejoint l'Institut Européen de Chimie Biologie (IECB) à Bordeaux où il est nommé directeur. À la fin de son mandat de 10 ans à l'IECB, en 2020, il poursuit ses projets de recherche au LOB (*unité mixte de recherche CNRS, École Polytechnique - Institut Polytechnique de Paris, Inserm) à Paris. La crise du Covid l'incite à réorienter mes projets de recherche vers les agents pathogènes dans le but de développer de nouvelles approches thérapeutiques contre les infections virales. Il a été nommé responsable du département de biologie de l'Institut Polytechnique de Paris en septembre 2021, et est devenu co-responsable du centre Interdisplinaire « Engineering for Health » (E4H* https://www.ip-paris.fr/en/research/interdisciplinary-centers/e4h) en 2022. Co-auteur de plus de 300 articles originaux, il a rassemblé plus de 41000 citations selon Google Scholar.

 

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