La pandémie de Covid-19 nous a confrontés à une infection contre laquelle nous n’avions pas de médicament efficace. Il existe évidemment des traitements de base, comme le paracétamol ou l’aspirine, qui permettent de soulager certains symptômes dans les cas bénins (toux, fièvre, maux de tête, etc.), mais leur efficacité contre les formes plus sérieuses d’infection est extrêmement limitée. Néanmoins, au fil du temps, de nombreuses pistes de meilleurs traitements ont émergé, avec des effets plus ou moins prometteurs. Les médecins ont également fait d’énormes progrès en termes de détection précoce des patients susceptibles de présenter les formes les plus graves et de protocoles de soins intensifs.
Des médicaments contre le Covid-19
Les médicaments qui ont été développés jusqu’à présent pour traiter le Covid-19 ciblent souvent l’inflammation ou la réponse immunitaire inappropriée déclenchée par l’infection par le virus SARS-CoV‑2 – une suractivation à l’origine des formes les plus graves de Covid-19. On peut, par exemple, citer l’interféron bêta, pour lequel des essais cliniques sont en cours, notamment dans le cadre du projet européen DISCOVERY. Une autre approche efficace consiste à utiliser des anticorps monoclonaux tels que ceux développés par l’entreprise de biotechnologie américaine Regeneron Pharmaceuticals (REGEN-COV).
Il y a cependant peu de solutions antivirales dans la boîte à outils « anti-Covid » qui pourrait permettre un traitement plus précoce de la maladie. De telles options pourraient augmenter les chances d’éviter des formes graves de Covid-19 ou d’autres effets à long terme, que nous connaissons encore mal.
Il est très difficile de cibler un virus, comme nous l’avons constaté avec la lenteur du développement de traitements efficaces contre le VIH ou l’hépatite. Même le meilleur traitement antiviral contre la grippe commune, le Tamiflu, est loin d’être exceptionnel. Alors que les bactéries répondent souvent à au moins un des antibiotiques disponibles sur le marché (hormis le problème croissant de la résistance), le mode de fonctionnement des virus les rend particulièrement difficiles à atteindre. Ils agissent en « piratant » les cellules d’une personne infectée, les forçant à produire davantage de virus, qui infectent ensuite d’autres cellules de son corps. Les bactéries possèdent leurs propres cellules avec leurs propres composants, comme les ribosomes ou certaines enzymes, que nous pouvons utiliser comme cibles thérapeutiques. En revanche, comme les virus n’ont pas leurs propres « usines », il existe moins d’outils ou d’enzymes qui peuvent être spécifiquement ciblés.
Une nouvelle piste contre le SARS-CoV‑2
J’ai passé ma carrière à étudier ce que nous appelons les « conformations inhabituelles » de l’ADN. Quand on pense à l’ADN, on pense souvent à sa double hélice. C’est vrai dans la plupart des cas, mais il arrive que la double hélice se plie en forme d’épingle à cheveux ou que certains segments comportent plus de deux brins. Ces bizarreries sont rares sur l’ADN, mais plus fréquentes sur l’ARN. Comme tous les coronavirus, le SARS-CoV‑2 a un génome à ARN monocaténaire. Ainsi, en janvier 2020, lorsque le génome du SARS-CoV‑2 a été publié, j’ai cherché à savoir si mon expertise pouvait être utile. Cependant, l’analyse initiale du génome du virus à l’aide d’un algorithme que j’ai conçu a suggéré que des conformations inhabituelles étaient peu probables sur l’ARN du virus – il était donc difficile pour mon laboratoire d’intervenir.
Quelques mois plus tard, grâce à une collaboration très fructueuse avec le chercheur de de l’Institut Pasteur, Marc Lavigne, nous avons réalisé qu’il existait un autre angle d’attaque. Une protéine, appelée NSP3, produite par un coronavirus très proche et hautement infectieux (SARS-CoV) peut se fixer sur une conformation inhabituelle appelée « G‑quadruplex ». Grâce à des observations antérieures, nous savions que le génome du SARS-Cov‑2 ne pouvait pas former de G‑quadruplex, de sorte que la protéine NSP3 ne pouvait pas se cibler son propre génome viral. Nous avons donc émis l’hypothèse que la protéine NSP3 interagissait avec un G‑quadruplex dans les cellules infectées – et donc chez les patients !
Bloquer le virus, ralentir l’infection
N’oubliez pas que les virus sont incapables de se multiplier par eux-mêmes. Pour se reproduire, ils doivent s’introduire dans la machinerie cellulaire d’un autre organisme : c’est l’infection. Grâce au soutien financier de l’Institut Pasteur et de l’ANR-flash Covid, nous avons pu montrer que la protéine NSP3 du virus pouvait se lier au G‑quadruplex de l’ARN humain. Nous pensons que cette interaction aide le virus à « pirater » la machinerie cellulaire de l’hôte, empêchant la cellule humaine de produire des défenses.
Nous nous sommes alors demandé s’il était possible d’empêcher la reproduction du virus en bloquant cette interaction. Naturellement, la première approche a été de tester des molécules capables de bloquer l’interaction entre G‑quadruplex et protéine. Après deux décennies de recherche, nous disposions déjà d’une large collection de telles molécules. Nous avons donc conçu des tests de dépistage pour vérifier leur capacité à inhiber la réplication virale.
Parmi les candidats positifs, nous avons identifié un groupe de petites molécules capables de bloquer l’interaction entre la protéine NSP3 et le G‑quadruplex. Les composés synthétisés à Bordeaux par le professeur Jean Guillon étaient encore plus puissants. Une piste clinique s’est ainsi ouverte grâce à cette molécule aux effets prometteurs sur les cellules humaines de culture.
C’était la première fois que l’on parvenait à empêcher la réplication du SARS-CoV‑2 par le biais d’un quadruplex. La préparation de ces composés et leur utilisation à des fins antivirales ont donc été brevetées. Le développement d’un candidat médicament est cependant un long processus, et nous venons de commencer la phase préclinique chez les rongeurs pour d’abord évaluer leur distribution et leur éventuelle toxicité in vivo, puis analyser leurs effets. Cette famille de molécules n’a jamais reçu l’approbation de la FDA, et elles doivent donc passer un grand nombre d’étapes réglementaires avant de pouvoir être testées sur des humains.
Les étapes suivantes risquent d’être délicates car les ligands G4 peuvent interagir avec de multiples fragments d’ADN et d’ARN. Il est donc essentiel de vérifier qu’ils n’induisent pas de génotoxicité au niveau des cellules et de l’organisme entier. Même si tout se passe bien, ce processus prendra des années. Mais le besoin de nouveaux antiviraux est grand. Dans le cas du Covid-19, la plupart des médicaments initialement testés avaient déjà été approuvés ou étaient en cours d’évaluation pour d’autres maladies. Ce repositionnement des médicaments nous a fait gagner beaucoup de temps dans la recherche d’un traitement… mais malheureusement, les essais cliniques ont souvent déçu. Le jeu en vaut donc la chandelle, et nous devons absolument explorer de multiples voies pour lutter contre la pandémie actuelle (et la prochaine !).
Pour en savoir plus
M. Lavigne et al. Nucleic Acids Research, Volume 49, Issue 13, 21 juillet 2021, Pages 7695‑7712,